Le mauvais prévenu en prison, un appel à l’aide mal interprété, des prévenus qui nient toute implication et aucune preuve matérielle de leur culpabilité… Difficile d’y voir clair.
Le 27 juillet 2021, vers 1 h, la police d’Esch-sur-Alzette pensait intervenir sur une tentative de cambriolage à Belvaux. Arrivés sur les lieux, les agents mettent rapidement la main sur Lucas et l’interpellent. Adolescent au moment des faits, il insiste avec véhémence : il n’est pas un voleur mais une victime! Déconcertés, les policiers ont mené deux enquêtes parallèles avant de croire à son histoire.
Après avoir été agressé et dépouillé par Dylan et Cristiano à proximité de la gare de Belvaux, Lucas avait essayé de trouver de l’aide dans une habitation en tambourinant et en sonnant à la porte. Ce qui a fait peur à l’occupante de la maison. Ce n’est pas le seul couac de l’enquête. Dans un premier temps, un jeune homme qui n’avait rien à voir avec les faits a été envoyé en détention préventive avant que Cristiano ne soit interpellé. Lucas s’était trompé lors de l’identification.
Les deux jeunes hommes d’une vingtaine d’années sont soupçonnés de lui avoir extorqué son smartphone, ses écouteurs et un paquet de cigarettes en le poussant à terre et en le menaçant d’un couteau avant de l’obliger à leur remettre son code secret et son mot de passe. Le duo de prévenus l’avait suivi alors qu’ils se rendait chez sa copine.
«Je vivais chez elle. Deux personnes m’ont suivi, m’ont demandé une cigarette avant de me menacer avec un couteau», témoigne Lucas, qui était hier après-midi face à la 13e chambre criminelle du tribunal d’arrondissement de Luxembourg. «J’ai voulu leur en donner une et ils m’ont poussé à terre avant de me mettre un couteau sous la gorge.» Le duo d’agresseurs a également tenté, selon le jeune homme, d’accéder à ses comptes bancaires en ligne. La jeune victime présumée s’est exécutée, sauf pour les données bancaires.
«Lucas s’est déjà trompé»
«Après être descendu du train, j’ai regardé par-dessus mon épaule et j’ai aperçu deux hommes noirs qui me suivaient», indique la victime présumée qui, comme à l’époque, n’est pas en mesure de confirmer avec certitude que les deux prévenus assis sur le banc à deux pas de lui sont les deux hommes qui l’ont agressé pour lui prendre ses biens.
Les deux prévenus n’ont pas aidé à clarifier la situation. «Nous avions pris le dernier train pour rentrer à Oberkorn où je devais passer la nuit chez Cristiano. Un ami m’a contacté pour nous proposer de nous récupérer en voiture à Belvaux pour me ramener à Rumelange», explique Dylan au président. Une nouvelle version qui ne correspond pas à celle donnée lors de son premier interrogatoire à la police.
Et confirmée maladroitement par Cristiano. «Pourquoi ne pas avoir contacté le mystérieux Roger qui devait venir vous chercher pour qu’il témoigne en votre faveur? Vous auriez eu un alibi», constate le juge, incrédule face aux incohérences de leurs récits. Roger ou Daniel, là aussi, cela dépend des versions. «Lors de votre première déposition, vous vous seriez trouvé dans le train avec un certain Roger et Daniel vous aurait contacté», relève la représentante du ministère public avant de demander à Cristiano s’il ne se ferait pas appeler Roger. Elle n’en tirera rien.
Les deux seules personnes noires visibles sur les images de vidéosurveillance de la gare sont les deux individus qui ont agressé Lucas. Pour la représentante du parquet, cela ne fait aucun doute que les deux prévenus sont les auteurs de l’agression. Elle a eu lieu en pleine nuit à un endroit où Lucas était isolé : un chemin public sombre bordé par des haies et une forêt.
La magistrate a conclu au vol qualifié, qui est normalement puni de 15 à 20 ans de réclusion criminelle. Sans aveux de leur part, avec un casier judiciaire et des condamnations pour le même genre de faits, seul leur jeune âge au moment des faits, 18 ans, serait à prendre en considération en tant que circonstance atténuante. Pour cet «acte gratuit», elle requiert une peine de dix ans de réclusion criminelle.
«Lucas s’est déjà trompé une fois. Pourquoi le croire cette fois?», s’emporte Me Says. «Les deux prévenus contestent avoir commis les faits et nous n’avons aucune preuve matérielle de leur culpabilité. (…) Lucas n’a jamais reconnu personne, ni aujourd’hui ni à l’époque. Il ne se souvient même plus que Dylan l’avait abordé en gare de Luxembourg.» Pour lui, les circonstances ne sont pas claires et le doute doit profiter aux prévenus. Il sollicite l’acquittement de Dylan. Son collègue qui défend Cristiano se rallie à ses conclusions.
Le prononcé est fixé au 12 février.