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Corruption et délinquance en col blanc : ces élites criminelles


Pour Carla Nagels, les hommes politiques n’appréhendent pas la corruption comme la population générale. (photo Julien Garroy)

Qu’est-ce que la corruption ? Qui la pratique ? Nos États occidentaux, sous couvert de bonne gouvernance, et ses élites, n’en sont pas exempts, a rappelé la chercheuse Carla Nagels.

Non, la corruption n’est pas l’apanage de certains chefs d’État africains, qui se gaveraient et feraient profiter à leur famille entière des subsides versés par l’Occident au lieu de créer des infrastructures pour leur population. Ou celui d’employés administratifs que seul un bakchich pourrait mettre à la tâche. Les États occidentaux, prétendument ancrés dans la bonne gouvernance, ne sont pas à l’abri de ce fléau, même si la corruption y prend le plus souvent des formes différentes : plus sophistiquées, feutrées et indirectes (bien que le «Qatargate» avec ces sacs de billets retrouvés chez l’ancienne vice-présidente du Parlement européen, Eva Kaili, viennent contredire cet aspect !).

C’est pour discuter de la corruption qui sévit dans nos sociétés qu’Action solidarité tiers monde (ASTM), en partenariat avec ETIKA (Initiativ fir Alternativ Finanzéirung), a organisé mardi un déjeuner-débat avec pour invitée Carla Nagels, coauteure de Sociologie des élites délinquantes et professeure de criminologie à l’université libre de Bruxelles. «Qu’est-ce que la corruption ? Il y a trois définitions communément admises dans le monde scientifique. La première, la définition légale stricte, indique qu’il s’agit de toute forme réprimée d’abus de fonction publique qui occasionne des avantages privés. Une autre est plus centrée sur l’atteinte à l’intérêt général. Moi, je préfère celle de la perception sociale : qu’est-ce qui est vécu comme de la corruption par des individus et des groupes sociaux, et selon quels critères ?», pose la chercheuse.

Les hommes politiques, un monde à part

Est-il grave de contacter un élu pour obtenir une place dans une crèche  ? Quid du fait de détourner des millions d’euros? Si le premier exemple est en général perçu comme une forme de corruption relativement anodine et le second, comme étant infiniment plus grave, il existe entre ces deux extrêmes toute une palette de ressentis, une «zone grise». «L’appréciation du degré de gravité de la conduite va dépendre du type d’acteur impliqué – plus il est loin de nous, plus on trouve le fait grave. On va avoir un jugement plus positif envers un élu communal par exemple. Évidemment, le montant détourné importe aussi – plus il est élevé, plus on trouve le méfait grave. Enfin, notre jugement va également dépendre du bénéficiaire : il sera jugé plus grave de détourner une forte somme d’argent pour le mettre dans ses poches que pour financer un parti par exemple», ajoute Carla Nagels.

Mais ce qui est véritablement déterminant pour définir ce qui relève ou non de la corruption, c’est surtout l’appartenance à un groupe social, en l’occurrence : faire partie de ceux qui détiennent un mandat politique ou non, avance la spécialiste de la criminalité économique et financière. Il ressort en effet de ses recherches que «les hommes politiques n’appréhendent pas la corruption de la même manière que la population générale. Ils ne sont pas en accord avec ce que celle-ci considère comme moralement répréhensible».

Pour Carla Nagels, il est évident qu’il faut se pencher sur tous ces délinquants à col blanc pour comprendre – et éventuellement pouvoir changer – le monde. «La criminalité à l’origine étudie les délinquants issus de la population, qui augmentaient dans les prisons. Mais je me suis tournée vers la criminalité des élites, ces personnes qui disposent d’un capital économique, mais surtout d’un capital social et culturel, car ce sont elles qui structurent notre monde et qui nous divisent. L’univers des riches et des ultra-riches nous échappe, et c’est fait exprès. Ce sont des populations qui ont toujours vécu à l’abri des regards, elles qui décident quand elles sont regardées. Les élites ont un rapport aux normes et aux valeurs très différentes de celui du commun des mortels, bien qu’elles soient productrices de cette norme qu’elles jugent importantes à respecter – sauf pour elles.»

«La fraude et l’évasion fiscale ne sont pas limitées au Sud global et se font toujours au détriment des finances publiques et donc d’intérêts sociaux : l’éducation, la santé, etc. La fraude se paye par l’affaiblissement des fonctions sociales et redistributrices des pouvoirs publics», a rappelé Michaël Lucas, coordinateur général au sein de l’ASTM.

Un commentaire

  1. La corruption commence tout en haut de l’UE.