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Coopération : entre géopolitique et générosité


 Xavier Bettel, ministre des Affaires étrangères et de la Coopération, avertit que la politique dans ce domaine fait face à de nouveaux défis. (Photo : le quotidien/fabrizio pizzolante)

Le Luxembourg maintient le cap en matière de coopération au développement avec 550 millions investis en 2024. Mais les temps changent, les gouvernements aussi et les défis sont nombreux.

La coopération au développement n’a rien à voir avec une forme contemporaine de colonisation. C’est le ministre de tutelle, Xavier Bettel, qui l’affirme dans sa déclaration faite hier matin devant les députés. Le Luxembourg «ne demande pas de contrepartie, ne recherche ni minerai, ni autre bénéfice» en échange de son action, souligne le ministre de la Coopération.

Dans le dernier examen du Comité d’aide au développement de l’OCDE, la politique du Luxembourg a justement été saluée pour la quantité de son aide et pour ses caractéristiques concentrées sur la lutte contre l’extrême pauvreté. Si le pays maintient sa coopération à un haut niveau, 1 % de son PIB y est consacré, Xavier Bettel observe que parmi ses partenaires européens, ce poste est en diminution. Quand les budgets battent de l’aile, c’est la coopération qui trinque.

Le Luxembourg a dépensé 550 millions d’euros dans l’aide au développement en 2024, sans compter l’aide à la lutte contre le changement climatique ou l’accueil des réfugiés qui ne sont pas inclus dans ce montant. La majeure partie de cette somme, 72 %, va aux projets bilatéraux, et 28 % à l’aide multilatérale.

Le droit international et les principes humanitaires seraient de plus en plus remis en question, comme le multilatéralisme. La récente décision du président américain de fermer le robinet met en difficulté l’aide au développement et Xavier Bettel  annonce que le secteur privé sera davantage mis à contribution à l’avenir.

«Les fonds publics de développement ne suffisent pas à eux seuls à répondre aux énormes besoins des pays en développement. Nous avons donc besoin d’un financement durable et à long terme, auquel participe également le secteur privé, surtout maintenant que nous vivons dans un contexte de polycrise constante et où de plus en plus de pays réduisent leur aide au développement ou l’utilisent à d’autres fins», déclare-t-il.

Les crises diverses et les coups d’État sont autant d’incertitudes quant à la poursuite des programmes en cours. L’exemple du Sénégal, un pays partenaire depuis 37 ans, en est la preuve. «Le nouveau gouvernement sénégalais a du mal à engager avec nous une discussion sur les droits de l’homme et plus particulièrement sur la protection des minorités dans la société. J’ai moi-même eu une conversation difficile avec le président Faye à New York à l’automne, qui a abouti au fait que, selon lui, le Sénégal préférait renoncer à notre soutien plutôt que d’entamer un dialogue régulier avec nous sur l’évolution de la situation des droits de l’homme. De tels pourparlers constitueraient probablement une ingérence inacceptable dans la souveraineté du Sénégal», dit-il.

Il veut être rassurant sur ce point : «Ce n’est pas à nous de leur dire quoi faire, mais on peut éviter que certaines choses soient faites», poursuit le ministre. Il cite l’Afghanistan, où une femme n’a plus le droit d’aller à l’université, ni d’aller à l’école, ou d’autres pays où les minorités sexuelles sont criminalisées. «Nous ne demandons pas l’avortement, nous ne demandons pas un mariage pour tous, nous ne demandons pas qu’on construise partout des synagogues ou des églises. Mais il ne devrait y avoir aucune marche arrière», ajoute-t-il. En résumé, «pas de basculement dans le populisme».

Pas d’annonce

La situation géopolitique au Burkina Faso, au Mali et au Niger oblige le Luxembourg à chercher de nouveaux pays partenaires. «Je n’ai pas d’annonce à vous faire pour le moment», précise toutefois Xavier Bettel. La recherche de nouveaux partenaires «n’est pas une science exacte, et on peut être très flexible sur les critères avec les pays les moins avancés». Dans la zone du Sahel, le travail se poursuit avec le Togo et le Bénin. L’aide bilatérale avec le Mali et le Burkina Faso expirera cette année en raison des coups d’État militaires alors que la coopération avec le Niger est suspendue depuis 2022 pour cette raison. Le personnel de l’agence Luxdevelopment a été soit licencié, soit transféré dans les grandes villes en raison de problèmes de sécurité.

Le Cap-Vert, en matière de coopération au développement, reste un bon exemple, le pays étant passé au stade de «pays au revenu moyen».

Le cas du Rwanda

En juin 2024, le Luxembourg et le Rwanda ont signé un Memorandum of Understanding (MoU), qui prévoit le renforcement de leur partenariat dans le domaine de la coopération au développement qui avait repris en 2021 avec une enveloppe qui se situe entre 10 et 12 millions d’euros depuis cette date. Mais les événements ont pris une tournure tragique. Le conflit dans l’est de la République démocratique du Congo a pris de l’ampleur et l’armée rwandaise est venue en support du groupe rebelle M23 sur le territoire congolais, au grand dam du secrétaire général de l’ONU qui a appelé récemment «les forces rwandaises de défense à cesser de soutenir le M23 et à se retirer du territoire de la RDC».

Déi Lénk a déposé une motion invitant le gouvernement à résilier le Memorandum of Understanding et à ne plus conclure de nouvel accord. Cette motion a été rejetée. La majorité gouvernementale a voté contre, seuls les pirates ont apporté leur soutien à la gauche alors que les verts, les socialistes et l’ADR se sont abstenus.

Ce qu’ils en pensent

Paul Galles, pour le CSV, a bien apprécié l’état des lieux de la politique de coopération et s’interroge sur la position du Luxembourg dans certains pays. «La politique de coopération ne peut pas être instrumentalisée à des fins d’intérêt économique», dit-il, comme l’a souligné Xavier Bettel. Il estime que l’accent doit être mis sur le renforcement de la démocratie et de l’éducation. Il s’inquiète des personnels de Lux Dev encore en poste au Niger, au Mali et au Burkina. «Où vont-ils allés?», questionne-t-il.

De son côté, Gusty Graas (DP), tient à la coopération avec le Rwanda. «Il y a des problèmes dans cette région, mais il faut garder les contacts avec Paul Kagamé», estime-t-il. Il rappelle aussi que les pays les plus riches sont responsables du dérèglement climatique et qu’ils doivent en assumer les conséquences. Concernant le Global Gateway, dont l’objectif est de contribuer au développement des pays partenaires de l’Union européenne (UE), principalement en Afrique, à travers la mobilisation du secteur privé pour accélérer les transitions numérique, énergétique et écologique, il apprécie que Xavier Bettel vise d’abord les PME.

Franz Fayot (LSAP), pour sa part, est ravi de la continuité en matière de politique de développement. Ancien ministre en charge de cette politique, il a conscience que la coopération est en crise vu que certains pays taillent dans ces budgets. Il insiste sur l’intégrité de Gaza «qui est attaquée» et l’idée d’une Riviera évoquée par Trump «est une tendance de droite qui veut nettoyer Gaza». Il ajoute à l’adresse de Xavier Bettel que c’est tout à son honneur de soutenir l’aide aux Palestiniens «malgré la position de la Knesset».  Il estime dramatique l’éventualité d’un arrêt du programme indicatif de coopération (PIC) au Sénégal, «car Lux Dev est encore très engagé là-bas». Franz Fayot estime encore qu’il est important, dans le contexte de la crise avec la RDC, de continuer à apporter une aide au développement au Rwanda.

Alexandra Schoos (ADR) ne remet pas en question les projets de coopération, mais s’interroge sur la forme. «Est-elle toujours bien choisie», se demande-t-elle. «À partir de quel moment retire-t-on notre aide si un pays devient autonome?», poursuit-elle, mettant en garde contre d’éventuels gaspillages. Quant à l’Ukraine, pays pour lequel le Luxembourg a investi 950 millions d’euros d’aide, elle espère que la guerre pourra bientôt toucher à sa fin.

Les verts, par la voix de Meris Sehovic, critiquent le retrait des États-Unis de l’aide au développement et juge que l’on crée «le chaos pour ensuite en récolter les fruits». Il a déposé une motion pour que le gouvernement s’engage au niveau européen afin que l’UE intervienne là où les États-Unis laissent un vide. Motion rejetée.

Sven clement (Pirate) dit rester sur sa faim et ne comprend pas ce que signifie cette déclaration de Xavier Bettel : «Nous restons où nous sommes et irons là où nous serons les bienvenus.» Il critique le Rwanda et Kagamé, qui finance les milices.

Quant à David Wagner (déi Lénk), il est très content de l’investissement du Luxembourg dans la coopération au développement, mais se dit surpris de la manière dont Xavier Bettel relativise la situation au Rwanda. «Poutine a fait la même chose en Ukraine», compare-t-il.

 

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