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Conclave  : derrière les murs du Vatican


Fan d'All the President's Men, Edward Berger a eu l’idée de transposer les codes du thriller politique au cœur du Vatican. (Photo diamond films/focus features)

Avec Conclave, Edward Berger met en perspective les enjeux contemporains de l’Église dans un film qui reprend tous les codes du thriller : discussions de couloirs et écoutes aux portes, secrets et cachettes, intrigues et rebondissements.

C’est à Rome qu’Edward Berger a eu la conviction de réaliser un film sur l’Église en partant d’une simple constatation : en voyant les religieuses et autres archevêques prendre leur café, fumer leur cigarette ou vaquer à leurs tâches quotidiennes comme n’importe quel quidam, il s’est dit que, derrière leurs atours et la portée de leurs fonctions, ils ne sont que des femmes et des hommes comme les autres, avec leurs erreurs, leurs regrets, leurs ambitions et leurs péchés. Lui qui adore All the President’s Men (1976) a eu alors l’idée de transposer les codes du thriller politique au cœur du Vatican.

Pour ce faire, il avait sous la main le roman du Britannique Robert Harris, dont des œuvres ont déjà été portées à l’écran par Roman Polanski (The Ghost Writer ou J’accuse). Et à ses côtés, un scénariste qui s’y connaît en intrigue : Peter Straughan (qui s’est notamment occupé du paranoïaque Tinker Tailor Soldier Spy en 2011).

House of Cards au pays des soutanes

On file donc au Vatican où la panique se mélange aux larmes : le dernier pape vient en effet de mourir et «rejoindre Dieu». Tout le monde est sous le choc : «Je pensais qu’il nous enterrerait tous!», lâche un homme d’Église au doyen de la curie, Lawrence, à qui revient la lourde tâche d’organiser la sélection du successeur au trône du Saint-Siège, laissé vacant. Il convie tous les cardinaux du monde entier (103 en l’occurrence) à venir participer au conclave, assemblée à huis clos, confinée et coupée du monde, au terme de laquelle le nouveau souverain pontife sera élu. Mais rapidement, on se rend compte que le défunt a emporté un secret avec lui et que l’un des prétendants au règne aurait commis une faute grave. Mais laquelle? Et qui est ce mystérieux cardinal officiant… à Kaboul, invité de dernière minute et que personne ne connaît?

Oui, on va aller de surprises en coups tordus avec cette sorte de House of Cards au pays des soutanes, où tous les codes du thriller sont déroulés : discussions de couloirs et écoutes aux portes, secrets et cachettes, intrigues et rebondissements, le tout sur fond de violons entêtants qui posent l’ambiance, tendue à souhait. «L’ambition est le parasite de la sainteté!», lâche le cardinal Bellini, qui résume bien l’idée derrière le film : montrer que les coulisses du Vatican sont les mêmes que celles de n’importe quel gouvernement ou multinationale, dans la mesure où la lutte pour le pouvoir conduit à des tactiques équivalentes : alliance, corruption, trahison et mensonge.

À ce jeu, «personne n’est irréprochable», et tout le monde «mesquin». Dans ce théâtre de «guerre» idéologique où tout le monde se connaît et où les rancunes sont tenaces, tous les coups sont permis, car l’homme d’Église est d’abord un simple mortel. «Nous servons un idéal, mais nous ne sommes pas des êtres idéaux», synthétise le cardinal Lawrence.

Nous servons un idéal, mais nous ne sommes pas des êtres idéaux

On ne pourra pas reprocher à Edward Berger d’avoir soigné son geste, lui qui avait créé la surprise l’an dernier aux Oscars en remportant quatre statuettes avec le pacifique À l’Ouest, rien de nouveau, sorti directement sur Netflix. Esthétiquement parlant d’abord, avec un film qui, lent et silencieux, apporte une précaution au rendu photographique et aux couleurs. Plus pragmatique, le long métrage tient également à être le plus réaliste possible, notamment à travers les décors (dont une reproduction de la chapelle Sixtine où se déroule le scrutin). Enfin, il aligne un casting de haut rang : au premier plan, Ralph Fiennes, impeccable en cardinal-enquêteur qui «doute de tout». Au second, Stanley Tucci, Sergio Castellitto et John Lithgow, sans oublier une Isabella Rosselini en religieuse, rare femme dans cet univers patriarcal.

Conclave a de louables intentions, dont une centrale : mettre en perspective les enjeux contemporains de l’Église. Il aborde ainsi, rapidement, les casseroles qu’ont traînées d’anciens papes (fascisme, nazisme, pédophilie). Et, au-delà des luttes intestines, il évoque les rivalités politiques entre progressistes et conservateurs, entre ceux qui prêchent pour une religion ouverte sur le monde et ceux qui souhaitent faire la messe en latin. Finalement, l’Église est à l’image de la société, clivante et en mouvement perpétuel.

Conscient de l’analogie, Edward Berger, sur sa lancée, a alors cherché à répondre à d’autres questions, comme celle du fanatisme ou de l’intersexuation, qu’il a condensées dans une fin pour le moins étonnante, pour ne pas dire burlesque. Le geste de trop, qui fera sûrement bondir les catholiques et sourire les autres. Mais c’est connu : au même titre que les voies du Seigneur, celles du cinéma sont aussi, parfois, impénétrables.

Conclave d’Edward Berger avec Ralph Fiennes, Stanley Tucci, Isabella Rossellini… Genre thriller. Durée 2 h 00