Accueil | A la Une | Concerts estivaux : grandeur et dépendances

Concerts estivaux : grandeur et dépendances


(Photo : Pixabay)

Empêchés par la crise sanitaire et des tournées en panne, les artistes d’envergure internationale retrouvent la scène au Luxembourg ces deux prochains mois. Une affiche «best of» qui se heurte toutefois aux nouvelles réalités du marché.

Après autant de mois de privation et d’attente, la proposition donne le vertige : au Luxembourg, ces deux prochains mois, la scène musicale retrouve son élan d’avant-pandémie et ses offres clinquantes. Un programme «d’envergure», synthétise Olivier Toth, directeur de la Rockhal, sans en dire plus. L’affiche parle en effet d’elle-même : Black Eyed Peas, Imagine Dragons et The Killers au pied des hauts-fourneaux de Belval; Kings of Leon au nouveau festival Usina 22 de Dudelange; Die Fantastischen Vier et Seeed au Luxexpo Open Air; et The Hives, tête de gondole du Siren’s Call.

Sans oublier de multiples offres éclectiques et éparpillées (Gorillaz, Woodkid, The Smile, Ben Harper, Jessie J, Simple Minds, Nick Cave, Alicia Keys, Sean Paul, Tom Jones, Francis Cabrel, The Kid Laroi…). Sur le papier, ça en jette. Dans les faits, ça raconte que depuis avril, la situation dans les salles et au dehors s’est décantée grâce à l’abandon des mesures sanitaires, permettant alors aux groupes et artistes de partir sur les routes, et d’imaginer, enfin, des tournées «viables» financièrement.

Ainsi, le mois dernier à l’Atelier, Michel Welter et son équipe n’ont pas compté les heures : «Il y a eu au total 17 concerts et soirées, pour près de 15 000 personnes», compte-t-il, heureux d’enterrer un début d’année «catastrophique». Mais l’homme reste marqué au fer rouge par la pandémie et le calvaire organisationnel qui s’est ensuivi. De récents exemples le confortent malheureusement dans sa retenue, comme le renvoi, à plus tard, du concert de Seasick Steve, et l’annulation de la venue d’AnnenMayKantereit, tous deux pour la même raison : le covid. «Il n’y a plus de restrictions, mais les risques toujours là!», clame-t-il.

Gagner moins, mais gagner ensemble!

D’ailleurs, le programme à venir, dans sa diversité comme dans sa qualité, s’explique essentiellement par le chaos né de la crise et les vagues incessantes de reports, comme l’explique Olivier Toth. «Il y a peu de nouveautés. Cette énorme richesse est à voir comme une sorte de « best of«  de ces deux dernières années et demie, une compilation des rendez-vous manqués.» Une abondance qui, si elle surcharge le calendrier, n’a pas que des inconvénients, notamment pour ce qui est des liens qui unissent la scène nationale.

Dans ce sens, l’Atelier n’hésite pas à «partager» ses propositions, comme avec le festival de Wiltz, l’Echterlive ou Neimënster, quand il ne compose pas directement avec les collègues (Usina 22, avec De Güdde Wellen et l’Opderschmelz). «On récolte aujourd’hui les fruits que l’on a plantés durant deux ans, précise Michel Welter. Durant la crise, soit on choisissait de pleurer dans son coin, soit on se serrait les coudes. Ensemble, la colonne vertébrale est plus rigide, la stabilité rassurante…» Il ajoute pragmatique : «C’est vrai, on gagne moins en ne prenant pas tous les risques sur nos épaules, mais on gagne plus sûr!»

Des considérations financières qui ramènent à une autre, beaucoup plus aléatoire : si les concerts reprennent leur rythme, le public en fera-t-il autant? «Je n’ai pas cerné toute l’étendue de ce bazar», souffle encore le responsable d’A-Promotions, même si il y a des faits tangibles. «Notre dernier concert avant la pandémie, c’était James Blunt, se souvient-il. Il y avait quelque 3 000 personnes à la Rockhal. Il est revenu mardi à l’Atelier, et c’était presque sold-out. Mais ça fait deux tiers de public en moins…»

Un public coincé entre ferveur et frilosité

De clairs changements, combinés à un contexte économique difficile, qui chiffonnent aussi Olivier Toth : «Aujourd’hui, l’achat de billets se fait souvent en dernière minute. Au vu des reports que l’on connaît depuis mars 2020, c’est une attitude qui se défend. Je comprends le public, même si ça nous met dans une position délicate.» En l’occurrence, une visibilité réduite, pas des plus pratiques pour apprécier de la rentabilité d’un concert. Une remarque d’autant plus vraie quand on attend des mastodontes dès la mi-juin. «Il y a encore un grand volume de ventes qui se fera au dernier moment», confirme-t-il à propos des trois dates payantes de l’Open Air Belval, espérant toutefois faire le plein (soit 10 000 personnes).

Une confiance peut-être due au show de MEUTE, mardi à domicile, auquel le directeur de la Rockhal a assisté. «La ferveur du public m’a fait chaud au cœur. Le live, c’est un moment unique! J’ose croire que les anciennes habitudes vont revenir.» Olivier Toth compte ainsi, ces prochains mois, «recréer de l’enthousiasme» auprès des spectateurs, particulièrement vers les plus jeunes. «Ils n’ont pas pris l’habitude d’aller aux concerts, simplement parce qu’il n’y en avait pas! Il y a un effort à faire vers cette population « empêchée« ».

John Rech, à la tête d’Opderschmelz, a également remarqué ces chutes d’affluence, notamment ce tiers «frileux» (pas des plus jeunes pour le coup) qui manquait à l’appel lors du dernier Like a Jazz Machine. «Mais à l’extérieur, c’est sûrement moins anxiogène», enchaîne-t-il, avec deux arguments dans sa manche : le succès des concerts en plein air donnés à Dudelange durant les étés 2020/2021, et la billetterie de Kings of Leon qui se porte comme un charme : «Le but est quasi atteint!», sourit-il, soit 8 000 personnes (et plus si affinités) qui pourront en prendre plein les oreilles au Neischmelz.

Écologie et loi du marché

Mais qui dit envie de grandeur dit aussi moyens à la hauteur. Et là aussi, la crise sanitaire a fait des dégâts, moins visibles ceux-ci. Michel Welter commence : «Il y a eu une fuite du personnel vers d’autres secteurs, comme ç’a été le cas en restauration ou dans le bâtiment.» Une main-d’œuvre «souvent indépendante ou en intérim», mise à disposition par les boîtes de production, partie vers d’autres métiers. «Ça devient un sujet important qui demande de la planification et de l’anticipation», abonde Olivier Toth. Comprendre avoir les bonnes ressources aux bons moments. «En Allemagne, il y a eu des festivals annulés, et ce n’est pas dû aux ventes, ni au virus!», martèle, définitif, John Rech.

Histoire de rendre l’affaire plus complexe, cette pénurie touche aussi les équipements (son, lumière, vidéo), indispensables à l’enrobage de toute production d’envergure. «On se retrouve à aller chercher du matériel à l’étranger, et pour plus cher!», lâche Michel Welter qui ajoute du sucre sur la dent déjà cariée. «Aujourd’hui, les agents minimisent les risques. Il est préférable pour eux de laisser partir un artiste juste avec son groupe, mais sans matos, ni personnel de production», laissant donc les organisateurs gérer toute l’intendance.

John Rech a dû lui aussi faire ses courses plus loin que d’habitude, notamment pour Kings of Leon, même s’il avoue «réserver le matériel plus d’une année à l’avance». Ce qui n’est toutefois pas le cas pour les deux autres grands rendez-vous de Dudelange : la fête de la Musique et le Zeltik (qui fête en plus ses 25 ans d’âge). «Tout vient de la Grande Région. C’est important, ne serait-ce que pour l’impact réduit sur l’environnement.» D’aimables élans écologiques qui ne pèsent certes pas lourd face à la dure loi du marché : avec un milieu aux moyens (matériels et humains) plus limités, et une offre qui elle explose d’un coup, l’inflation guette! «Sur les nouvelles tournées, on voit bien que les prix ont augmenté», conclut-il, prédisant même un bond de «30 % à 40 %» pour certaines manifestations.

«De nouveaux challenges à surmonter», glisse Michel Welter en habitué, à surveiller dès la rentrée, après les réjouissances estivales. Ce sont elles qui, pour l’instant, intéressent Olivier Toth, qui a déjà enfilé le bleu de chauffe pour des jours qui s’annoncent «intenses». Il en profite pour rappeler qu’une nouvelle et quatrième proposition s’est greffée à l’Open Air Belval : un grand concert gratuit à «célébrer en famille», comme l’écrit la Rockhal, avec Gast Walzing à la direction d’une large brochette d’artistes et groupes du Luxembourg. La palette est désormais complète et l’appel du pied au public toujours évident. Le cri de ralliement est même prêt. «Il y aura des concerts dans des lieux différents et capacités différentes. On pourra être en plein air ou à l’intérieur. Il y aura plein de styles de musique, avec des artistes que l’on revoit et des nouveaux. Il n’y a plus d’excuse pour ne pas venir!»

Cette énorme richesse, c’est une compilation des rendez-vous manqués

En Allemagne, il y a eu des festivals annulés, et ce n’est pas dû aux ventes, ni au virus!