Défendre son bilan jusqu’au bout et prouver sa vision d’avenir : bousculée par ses adversaires, Vera Spautz se livre dans un ultime entretien.
Défiée de toute part, sur sa gauche par déi Lénk comme sur sa droite par le CSV et le DP, Vera Spautz assume sa politique. Dans le sprint final, la bourgmestre d’Esch-sur-Alzette – qui a succédé à Lydia Mutsch en 2013 – revient sur les grands thèmes qui ont marqué la campagne.
Quelle est la vraie dette d’Esch-sur-Alzette ? Certains disent 50 millions d’euros, d’autres 75 millions…
Vera Spautz : Chacun a ses chiffres, pourtant il n’y a qu’une vérité! Notre dette est actuellement de 57 millions d’euros. À mon sens, cet endettement n’a rien d’inquiétant (NDLR : toutes les communes s’endettent, l’enjeu est de savoir jusqu’où aller). D’autant que la réforme fiscale va bénéficier à Esch : 10,5 millions d’euros supplémentaire dès l’an prochain, et plus encore les années suivantes.
Vos adversaires ont fait du logement un enjeu majeur. Le CSV et le DP estiment que vous faites trop de social, déi Lénk pas assez…
Nous manquons de place à Esch, voici le constat de base. À part le Nonnewisen, nous n’avons plus de terrain. Et qu’avons-nous fait là-haut ? Un projet de 900 unités de logement, dont presque la moitié est déjà réalisée ! Le projet prévoit du locatif social, du logement abordable pour les familles qui veulent devenir propriétaires, quelques unités d’un standing plus élevé aussi. Tout le monde y travaille : la commune, le Fonds du logement, les promoteurs… Notre créneau c’est la mixité, et nous le prouvons !
Déi Lénk estime que 459 ménages attendent un logement social à Esch.
Il y a une liste d’attente, mais dire que le logement social régresse à Esch est faux. La commune possède 341 logements sociaux, c’est moins que lors du précédent mandat car nous avons fusionné des petits appartements : nous avions trop de studios alors que des familles sont sur liste d’attente. Nous avons aussi acheté des petites maisons dans Esch, nous en avons une vingtaine actuellement.
Que faire face aux logements vides ? Comment convaincre les propriétaires récalcitrants ?
On nous reproche de ne pas taxer les logements inoccupés, mais ça ne se fait pas en claquant des doigts! Il faut répertorier tous les logements vides avant d’aller voir les propriétaires, sinon on risque le procès pour amende arbitraire. Nous allons mandater un agent pour achever cette mission. Mais notre travail porte déjà ses fruits : un tiers des propriétaires de terrains laissés en friche sont venus vers nous. Par ailleurs, nous voulons créer une société de logements communaux. Elle fonctionnerait sur le modèle de Sudstroum (électricité locale). Elle permettrait de racheter des logements inhabités et de les louer sans passer par d’autres opérateurs, comme nous le faisons déjà ponctuellement (exemple : logements pour étudiants dans l’ancien Mercure ou au Diva).
Parlons des écoles, un autre point clé. Esch tarde à en construire alors que le nombre d’habitants augmente encore.
C’est le problème du manque de place, encore. Mais l’horizon va se dégager, tant sur le territoire que sur les reconversions de friche. Deux écoles vont être bâties rapidement au Wobrécken et à Klappen, pendant que celles du Brouch et de la Grand-Rue seront agrandies. C’est un travail de longue haleine. Pour la Grand-Rue, il a fallu s’arranger avec des propriétaires. Quant aux reconversions de friches, je promets une école sur Esch-Schifflange et une voire deux sur la lentille Terres-Rouges.
La lentille Terres-Rouges, on a du mal à y croire… Ça fait trop longtemps que c’est une friche !
Et bien, je vous le dis : la lentille Terres-Rouges sera reconvertie. Elle appartient à la fois à Mittal et à un autre propriétaire, je ne veux pas trop en dire. Sachez juste qu’on m’a présenté un projet séduisant, et qu’il y aura au moins une école là-haut.
Que dire du manque de place en maisons relais ? Le CSV évoque 800 enfants sur liste d’attente, déi Lénk 1 000…
Les maisons relais, il y en avait une en 2000, treize aujourd’hui et il y en aura quatre supplémentaires d’ici 2019. Nous tablons sur 560 « chaises » en plus. Maintenant, je veux redire une vérité ici : sur la liste d’attente, nous avons pris en considération (en non prioritaire) les familles dont un seul parent travaille. Deuxième point : nous n’avons pas besoin de 1 000 places ! Les parents en attente ont des demandes variables : deux heures de garde ici, une heure là… personne n’exige de faire garder son enfant 24h/24. Cinq cent soixante chaises en plus, c’est un grand pas.
Dernier point très discuté, la perte d’attractivité d’Esch. Que faire pour les commerces ? Que faire pour les verrues comme celle du Monopol ?
Sur les commerces, méfiance avec les solutions toutes faites. C’est complexe et l’association des commerçants fait des efforts importants, comme en ce moment avec l’exposition artistique. Quels sont mes vrais leviers d’action ? Réformer le marché du vendredi par exemple, pour en faire un lieu encore plus convivial (une place de restauration centrale) et l’étendre, car nous avons 50 marchands sur liste d’attente. Le monde attire le monde, ça serait bon pour nos commerces fixes !
Pour les cellules du centre, nous souhaitons favoriser les indépendants. Avec les grosses franchises, la communication est difficile. De jeunes Eschois s’installent avec des idées fraîches, comme le nouveau caviste rue de l’Alzette (Drupi’s) et on s’en réjouit. Nous discutons beaucoup avec les propriétaires pour qu’ils baissent les loyers, que croit le CSV ? Mais le commerce est un bras de fer, ils n’ont qu’à essayer d’aller parler avec H&M…
Une remarque enfin : l’attractivité, c’est aussi un projet phare comme la capitale européenne de la culture 2022 que nous portons ! (NDLR : tous les partis saluent ce succès, ça ne fait pas débat, donc nous ne l’évoquons pas.)
C’est vrai, mais comment changer les symboles négatifs comme le Monopol ?
On a tenté beaucoup de choses. J’avais eu un entretien hallucinant avec les repreneurs de l’immeuble à l’époque. On était là, dans mon bureau, j’avais l’impression qu’eux- mêmes ne savaient pas ce qui se cachait derrière le fonds. J’avais fini par leur dire : « Quel est votre prix de revente ? » Les types m’avaient tendu un code pour accéder à un site web permettant de proposer une enchère. Vous croyez quoi ? Que j’allais revenir vers le conseil en disant : « venez, on va faire un tour sur internet ? » C’était de la pure spéculation immobilière, c’était honteux, et les communes ne sont pas armées face à cela ! Un nouveau propriétaire (bien concret) possède désormais l’immeuble. Ça pourrait bouger.
Un dernier mot sur les coalitions possibles ?
J’ai un scoop : je ne ferai jamais de coalition avec l’ADR ! (elle rit) Pour le reste, 95% des décisions ont été adoptées à l’unanimité lors du dernier mandat : nous aimons tous notre ville. On verra qui obtient un bon score et qui est compatible avec nos visions d’avenir : les portes sont ouvertes.
Entretien avec Hubert Gamelon
Vera Spautz (bourgmestre)
Dan Codello, Jean Tonnar, Henri Hinterschied (LSAP, échevins), Martin Kox (déi gréng, échevin), Mike Hansen (LSAP), Astrid Freis (LSAP), Taina Bofferding (LSAP), René Penning (LSAP), Paul Weidig (LSAP), Laurent Biltgen (déi Lénk), Guy Kersch (déi Lénk), Luc Majerus (déi gréng), Pim Knaff (DP), Bernard Zenon (KPL), Georges Mischo (CSV), Christian Weis (CSV), André Zwally (CSV), François Marold (CSV).
Réservoir d’idées chez les poursuivants
Beau réservoir d’idées en face du LSAP ! Pour éviter la confusion, nous isolons les propositions qui font vraiment la différence. CSV, DP (ceux qui veulent renverser la table), déi greng (rester au pouvoir) et déi Lénk (réorienter le pouvoir): focus sur les quatre vrais challengers.
CSV : une ville plus «populaire»
Le premier parti d’opposition veut faire un gros coup sur Esch, surfant sur le discours décliniste que l’on entend parfois. Entre les lignes : «Esch se fait voler son leadership par Differdange et Dudelange tellement il ne s’y passe rien.» Pour relancer l’attractivité, Georges Mischo veut gérer les commerces du centre comme un centre commercial à ciel ouvert. Une société serait créée pour gérer les cellules vides en apportant des garanties financières aux propriétaires.
Autre idée importante, une refonte «plus claire» de l’urbanisme, avec des quartiers dédiés à certaines personnes ou certaines activités : le sport au Lankelz, les personnages âgées autour de l’hôpital du CHEM, du résidentiel haut de gamme sur la reconversion des friches d’Esch-Schifflange. Dernière idée : donner un aspect plus populaire aux évènements locaux. Le CSV voudrait une grande fête foraine sur la place de l’Hôtel-de-ville et les allées du Marco-Polo. Ou encore, monter des écrans géants et des stands pour chaque évènement (ex : JO, Coupe du monde, etc.)
L’analyse : un programme pour ceux qui estiment qu’Esch donne trop dans la tendance bobo, au profit d’une ville recentrée sur les fondamentaux, plus populaire, mais aussi plus standardisée.
DP : à la reconquête des classes supérieures
Selon le DP, les élus accordent trop de place à la politique sociale, ce qui tire Esch vers le bas à tous les niveaux. Il faut miser sur un renouveau culturel ambitieux, seul plan capable de séduire de nouveau des populations plus élitistes. Pim Knaff et son équipe veulent construire un îlot culturel (Art Factory et centre pour associations) non loin du Conservatoire.
Ce poumon culturel serait relié au cœur historique de la place du Brill (théâtre et musée) par un passage souterrain.
Une plate-forme créative du style 1535° de Differdange émergerait sous une partie du pont CFL pour compléter le tableau. Enfin, des commerces pop-up (installations volontairement temporaires que l’on peut pérenniser) permettraient de rapidement réinvestir des vitrines.
L’analyse : un programme pour ceux qui estiment qu’Esch donne trop dans le social, au profit d’un Esch plus libéral, plus élitiste et plus… inattendu !
Déi Lénk : à gauche, toute !
Le manque d’ambition sur le volet social et écologique est pointé du doigt. Le parti de Laurent Biltgen veut mettre le paquet sur les logements sociaux (500 seraient débloqués lors du prochain mandat), sur la mobilité alternative (libérer la rue de l’Alzette du trafic transversal, faire du rond-point de Raemerich une place longée par un boulevard), sur les énergies vertes (proposer un plan des toits qui peuvent être munis de panneaux solaires) et sur la jeunesse (développer la vie estudiantine à Belval, augmentation des subventions à la Kulturfabrik).
L’autre volet se situe sur la remise à niveau des infrasctures scolaires. Déi Lénk y voit une condition pour attirer les familles à Esch. Le parti veut investir massivement sur les places en maison relais (passer de 35 % à 50 % de capacité d’accueil total des effectifs d’écoliers) et souhaite privilégier les écoles de petites tailles, plutôt que les écoles de plus de 500 élèves, comme c’est trop le cas aujourd’hui. Déi Lénk refuse aussi que les écoles soient dispatchées en plusieurs annexes.
L’analyse : un programme pour ceux qui estiment qu’Esch s’est éloignée des plus démunis et ne tente pas assez de solutions vraiment alternatives. Quitte à parfois rêver un peu.
Déi gréng : encore un bout de chemin ?
Les verts espèrent être reconduits dans une coalition avec le LSAP. Le parti fait valoir les nombreuses avancées écologiques à mettre à son crédit depuis les années 2000 : lancement de l’opérateur Sudstroum (fournisseur local d’électricité verte), jardins partagés, rénovation du parc animalier du Galgenberg, production de légumes bios consommés dans les cantines eschoises, etc.
Déi gréng estiment que leur rôle sera encore important ces prochaines années, car la transition écologique n’est pas achevée. L’idée d’une piste cyclable entre Belval et Esch pourrait enfin aboutir, grâce à une entente avec le Fonds du rail pour longer d’anciennes lignes de l’ARBED. Cette piste relierait le futur quartier sur la friche Esch-Schifflange, en empruntant les anciennes infrastructures de l’ARBED ! Déi gréng souhaitent également multiplier les infrastructures pour les plus jeunes : city-stade sous le viaduc et grand parc aventure sur la friche d’Esch-Schifflange.
L’analyse : un programme pour ceux qui aiment le vélo, manger bio, partager un jardin, etc. Des idées reprises (piquées !) par beaucoup de concurrents aujourd’hui, ce qui n’aide pas à sortir du lot.
LSAP : la réalité de l’exercice du pouvoir
Nous ne reviendrons pas sur les idées du parti sortant, Vera Spautz ayant pu s’expliquer dans l’interview ci-dessus. Que dire sur l’analyse ? La continuité ? C’est bateau… Disons que le LSAP, rodé à l’exercice du pouvoir, propose un programme pour ceux qui pensent que les baguettes magiques n’existent pas. Mais que l’humanisme d’Esch-sur-Alzette, qui tient à des équilibres fins, a déjà quelque chose de magique en soi.
Hubert Gamelon