Nous l’avions quitté début mai au moment de l’ouverture de «son» restaurant, Aal Schoul, à Hobscheid, au cœur de la campagne luxembourgeoise. Six mois après sa 3e place au concours Top Chef, Thomas Murer nous a ouvert les portes de sa cuisine… en tant que commis d’un jour.
Mardi, 9 heures, c’est avec une pointe d’appréhension que j’arrive à Hobscheid, village bucolique à la lisière du Grand-Duché, côté belge. Ma mission ? Jouer le commis de Thomas Murer, troisième du dernier «Top Chef». Dans la foulée du concours, début mai, l’Alsacien s’est vu confier les rênes des cuisines de cette ancienne école reconvertie en restaurant par le boucher Guy Kirsch et son associé, l’ancien chef Pascal Ruault.
Alors, en enfilant le tablier, j’y songe un peu : vais-je me faire «etchebestiser» (ndlr : qu’on me gueule dessus parce que j’aurai raté un truc) ? « Va d’abord te laver les mains. » Oups, oui c’est vrai. Les cinq cuisiniers sont déjà en place depuis une heure. Le lundi étant leur (seul) jour off, le mardi est leur premier jour de la semaine : «On reçoit pas mal de livraisons, on met tout en place», explique Thomas. Ca, c’est déjà fait.
Des sauces mijotent déjà sur le feu. «On alterne une semaine sur deux la préparation des sauces et celle des viandes.» Je comprends vite qu’il ne s’agit pas juste de faire la popote pour ce midi. Beaucoup de préparations sont déjà prêtes depuis plusieurs jours, congelées ou mises sous vide. Tout est organisé, anticipé, en vue des services à venir.
« Bon, tu vas effeuiller le basilic, tu jettes les tiges. » Ca va, c’est dans mes cordes. J’assume ma première tache avec application, en essayant de faire vite et bien. Une, deux… cinq barquettes de basilic, ça prend du temps mine de rien ! « Ce sera pour faire un pesto. Ici, tout est fait maison à base de produits frais », insiste le chef en détaillant une carte ramassée et efficace. « On l’a déjà changée deux fois depuis le mois de mai. » Pas question de lasser les clients. Les produits de saison et le niveau des stocks servent de base à l’imagination de Thomas.
L’œuf mollet croustillant… une vraie galère !
La valse des menus du déjeuner, elle, est quotidienne depuis cinq mois : « Le midi, il n’y a pas un seul plat qu’on ait fait deux fois. » Ce mardi : velouté de haddock, crème d’oignon et pickles au vinaigre de framboise ; joue de porc confite, mousseline de topinambour et condiments ; pomelo, mousse de chocolat blanc et glace estragon. Miam, c’est l’heure de manger ?
Pas encore, non. Mais ça va, on discute, le spectre Etchebest s’éloigne. L’ambiance est active mais détendue. Bienveillant, le chef dirige tranquillement, conseille, décide quand il faut. Chacun à sa tâche, les uns aux desserts, les autres aux plats chauds. Thomas me demande de l’aider à écaler les œufs. Facile ? « Une vraie galère », me prévient-il. Car il s’agit de la fameuse recette de l’œuf mollet croustillant qui avait épaté le jury de Top Chef et qui est « énormément commandée ». Comme ils seront ensuite frits en panure, les œufs sont un peu moins cuits (« ça se joue à 20 secondes près »), et donc particulièrement capricieux au moment d’ôter leur coquille sans éclater l’ensemble. Thomas peine autant que moi, ça me rassure (ou pas !).
Poulailler et jardin
Près d’une machine à barbe à papa, à la poche à douille, je remplis des petits moules de pâte à financier pour les mignardises. C’est l’heure d’aller chercher des œufs chez Bob, nouveau producteur à Hobscheid. Thomas souhaite me montrer le poulailler, en plein air, en bordure du village. Le cuisinier d’origine alsacienne tient à cette proximité avec la nature et à ce lien direct avec les producteurs. « C’est ça la cuisine pour moi », glisse-t-il en empoignant un œuf encore chaud, tandis que les pondeuses caquettent.
Un peu plus loin, il m’emmène voir le jardin que Bob a créé pour fournir le restaurant. Un paradis d’herbes aromatiques, plantes sauvages et fleurs comestibles, où poussent aussi quelques légumes. Sarriette, agastache, capucines, fleur de pois… Thomas hume, mâche et cueille quelques barquettes de ces étonnants trésors qui ajouteront saveurs et esthétisme à ses assiettes. Une vraie passion, que le jeune homme de 28 ans avait découvert au sein du restaurant étoilé de sa belle-famille, à Riquewihr.
« Je vais manger pour la première fois au restaurant »
Retour à Aal Schoul. Re-lavage de mains. Je trie quelques feuilles puis j’aide Eric à enlever le muscle et et le corail de noix de Saint-Jacques en barquettes. « Elles viennent d’Ecosse, la saison va reprendre, on travaillera bientôt avec des fraîches dans leurs coquilles », précise Thomas. 11h30, c’est l’heure de manger. Comme chaque midi et chaque soir, les cinq compères avalent à la va-vite un plat cuisiné pas vraiment bon, assis sur un escalier extérieur. Tout l’inverse des clients qui ne vont pas tarder à arriver. « Ce soir, je mangerai pour la première fois au restaurant, j’invite mon amie pour son anniversaire », confie Kenny, second de cuisine. « On goûte évidemment nos plats, mais là ce sera différent, je pourrai prendre le temps et vraiment apprécier. »
Le temps de faire le point avec la carte du jour avec le chef de salle, et c’est le retour en cuisine. Sauces, garde-manger, herbes, condiments… : tout est en place pour le service qui va démarrer. La cuisine étant en sous-sol, la communication des bons se fait via une petite imprimante. J’aide timidement à dresser quelques veloutés de haddock, mais très vite le commis se transforme en goûteur. Thomas veut me faire découvrir ses plats, à l’image de cette superbe assiette de Saint-Jacques snackées, palets de pommes de terre, éperlans frits, algues, caviar d’Avruga et salicornes.
« Le riz est trop humide »
« On fait de la brasserie haut-de-gamme. Au Luxembourg, peu de restaurants proposent ce type de cuisine à la fois simple et originale dans les associations. Et nos tarifs sont très raisonnables. » Thomas croit en ce qu’il fait. Je déguste une raviole de porc façon thaï ainsi qu’un joli tartare de bœuf aux condiments originaux et ketchup maison. Le dessert du jour aussi, pomelo, chocolat blanc et glace estragon. Un délice. Thomas me montre le «Mac Schoul», un burger au bœuf, pieds de porc et foie gras. Ouch, je suis repu.
Je positionne mal une assiette sur le monte-plats. Bim, elle se renverse, il faut en redresser une. Yves, qui est en train de m’apprendre à rouler des makis (qui seront ensuite frits), se fait disputer à ma place. Quarante couverts ont été servis sans que je m’en aperçoive. Thomas relativise : « C’est un petit service et les gens prennent moins de plats à la carte le midi. Mais le soir, quand il faut envoyer une soixantaine de couverts avec des tables de sept ou huit, c’est une autre histoire. » Veillant au grain, il jette un œil au riz des makis : « Il est trop humide ! Il fallait le cuire dans des marmites plus petites ! » Le fautif enregistre.
Grand succès depuis l’ouverture
Avant même la fin du service, d’autres tâches ont été lancées. Absent ce soir, Kenny épluche des potimarrons et découpe les filets de bœuf. Une énorme marmite de patates douces est déjà en cuisson en vue d’une purée, des kumquats confisent doucement. Julien travaille son sucre qui enveloppera des pommes d’amour. Entre deux préparations, Thomas et ses cuisiniers en profitent pour m’expliquer tout le mal qu’ils pensent du diktat de sites «bidonnés» comme Tripadvisor (alors même que les commentaires y sont flatteurs pour Aal Schoul), ou encore des guides gastronomiques dont ils jugent les choix très contestables.
Les étoiles 2017 du Michelin au Grand-Duché seront dévoilées le 21 novembre. Thomas s’en balance, concentré sur sa cuisine et la fidélisation des clients. Bien qu’Hobscheid soit un brin excentré de la capitale, ces cinq premiers mois d’ouverture ont connu un grand succès, certes au prix d’un « rythme de fou » pour l’équipe en cuisine, le temps de prendre ses marques. L’effet de curiosité des débuts a cédé la place au bouche-à-oreille. Le carnet affiche souvent complet, mais des disponibilités demeurent chaque semaine. « On a déjà eu plusieurs demandes en mariage au restaurant et on accueille régulièrement des banquets », se félicite l’Alsacien du Luxembourg.
Dîners à quatre mains
Toujours en relation avec les anciens de Top Chef, Thomas s’apprête à effectuer un dîner « à quatre mains » à Aal Schoul le 21 octobre avec Kevin Roquet – « c’était complet super vite, on a même 20 personnes en liste d’attente » -. Deux autres soirées sont en projet avec Clément Torres en Belgique et Charles Gantois à Hobscheid. Pas question de s’installer dans la routine.
Et Philippe Etchebest, il est déjà venu manger ? « Non, il est trop occupé. » Après avoir ouvert sa brasserie à Bordeaux, le chef gueulard va en effet rempiler pour une nouvelle saison de Top Chef (la diffusion d’Objectif Top Chef démarrera le 17 octobre sur M6).
14h30, il est temps pour moi de partir. Thomas et ses collègues termineront vers 15 heures, avant de revenir à 17h30 jusqu’à… 23 heures. Avec à peine une journée et demie de pause par semaine, le lundi et le samedi midi. Une semaine de vacances par ci par là, chacun son tour, et deux semaines de fermeture en décembre. Un boulot de passionnés.
Sylvain Amiotte
Lire aussi : « Aal Schoul » (Thomas Murer) dévoile sa carte, et on a testé
cela donne l’eau à la bouche, nous allons y aller