L’Allemagne grisonnante observe, interloquée, sa jeunesse la provoquer tous les vendredis en séchant les cours pour manifester en faveur du climat, un engagement politique inédit depuis la Réunification et teinté de conflit entre générations.
L’impatience est à son comble avant la venue pour la première fois vendredi à Berlin de Greta Thunberg, l’égérie du mouvement « FridaysForFuture ». « Nous avons besoin de vous tous pour que le 29 mars soit une grève formidable », écrivent les organisateurs sur Twitter.
Depuis décembre, des milliers d’étudiants, lycéens et collégiens allemands suivent l’exemple de la Suédoise de 16 ans en manifestant chaque vendredi pendant les heures de cours.
Comme Jakob Blasel à Kiel, malgré le bac qu’il prépare cette année. « Nous avons peur pour notre avenir », confie le jeune homme de 18 ans, un organisateur des protestations dans cette ville des bords de la Baltique.
« Nous voulons obtenir un tournant dans la politique climatique », et « nous voulons des mesures tout de suite », déclare-t-il, énumérant la fermeture des centrales à charbon et le lancement de politiques respectueuses de l’environnement dans les transports ou l’agriculture.
Le « modèle » Greta
La première économie européenne n’avait pas connu un tel intérêt politique de ses jeunes depuis la Réunification, souligne Klaus Hurrelmann, professeur de la Hertie School of Governance de Berlin. « C’est très inhabituel », indique-t-il.
L’engagement de la jeunesse allemande avait touché le fond pendant la crise financière mondiale de 2008, et renaissait doucement depuis, essentiellement via les réseaux sociaux, au fil d’un retour de la prospérité économique et d’une réduction du chômage.
Greta Thunberg, qui a démontré l’importance de la mobilisation dans la rue, a été un élément déclencheur. « On copie son obstination, on copie ses grèves, on copie aussi sa très bonne préparation sur le thème (du climat), bref Greta est un modèle », juge-t-il.
Des responsables politiques aux accents paternalistes
Face à leur détermination, les responsables politiques se sont retrouvés « à la fois irrités et démunis », poursuit le professeur Hurrelmann.
Notamment ceux du parti conservateur de la chancelière Angela Merkel. Un brin paternaliste, le ministre de l’Économie, Peter Altmaier, a tancé les enfants qui sèchent l’école. « Les manifestations ne seraient pas moins pertinentes en dehors des cours », a-t-il récemment estimé.
La chancelière a elle salué leur combat, ce que Jakob Blasel juge « ridicule » car « la protestation est dirigée justement contre Angela Merkel et son gouvernement qui ne font rien pour stopper la crise du climat ! »
« Secouer les partis »
Globalement, jeunes et adolescents allemands réclament que les responsables pensent à eux dans un pays où un adulte sur cinq a plus de 65 ans, selon l’office des statistiques, et où les seniors constituent déjà le plus gros contingent d’électeurs.
Et le phénomène va s’accentuer avec le départ à la retraite à partir de 2020 d’une grande partie des « baby boomers » nés après la Seconde Guerre mondiale.
D’ailleurs, les débats au sein de la grande coalition réunissant conservateurs et sociaux-démocrates sur un projet de retraite de base illustrent les priorités des partis traditionnels.
« Les jeunes manquent d’une politique claire sur ce à quoi notre société va ressembler dans 20, 30 ans », et veulent avoir voix au chapitre, soulignaient récemment Horst Opaschowski, de l’institut de recherche sur l’avenir Hambourg, qui a publié une étude sur l’engagement politique des 14-20 ans.
Leur révolte touche donc à un conflit de générations. Car s’il n’est pas inhabituel que les jeunes rejettent la politique de leurs aînés, « un vote de défiance aussi clair, tel qu’il s’est exprimé ces dernières semaines, est unique et devrait secouer les partis », pointe le magazine Der Spiegel.
Cela pourrait constituer une chance, enchaîne Klaus Hurrelmann, si les formations représentées au Parlement décidaient de prendre la jeunesse au sérieux.
Abaisser l’âge du droit de vote à 16 ans, comme évoqué par le Parti social-démocrate (SDP), ou un quota fixe de candidats de moins de 30 ans aux prochaines élections, pourraient selon lui les encourager à adhérer à des partis qui ont besoin « de se trouver de nouveau en phase avec la jeune génération ».
AFP