Le président de la Chambre des députés, Claude Wiseler, a mis l’institution au goût du jour et a vécu des moments forts. Ses rencontres avec les lycéens en font partie. La transparence a fait du chemin, en un très court laps de temps.
Les députés de l’opposition aimeraient être plus impliqués, disent-ils, et reprochent au gouvernement de leur manquer de respect. Ils ne veulent pas que la Chambre des députés soit un simple bureau d’enregistrement du gouvernement. Qu’en pensez-vous ?
Claude Wiseler : J’essaye de créer à la Chambre des députés un climat et des conditions de travail où tout le monde puisse s’exprimer, où chacun dispose des informations nécessaires, où majorité et opposition puissent jouer leur rôle l’un comme l’autre. Tout le monde doit être logé à la même enseigne pour pouvoir dire son opinion. C’est le but de ma mission.
Au début de votre mandat, vous répétiez que la Chambre était plus forte que jamais depuis la réforme constitutionnelle. Pourtant, les députés de l’opposition semblent penser le contraire, concernant les avancées des négociations entre le gouvernement et les partenaires sociaux, par exemple.
Aujourd’hui, après la réforme constitutionnelle de 2023, le Parlement a à sa disposition beaucoup plus de moyens qu’auparavant pour effectuer son travail. Il n’est cependant pas anormal que dans le contexte de tensions politiques, comme c’est le cas aujourd’hui, le ton devienne plus rugueux. Chacun a son rôle à jouer. Les discussions entre les partenaires sociaux et le gouvernement relèvent bien évidemment de la compétence de ce dernier alors qu’il appartient à la Chambre des députés de contrôler l’action gouvernementale et, le cas échéant, notamment lorsqu’il en découle une procédure législative, d’avaliser les résultats de ces discussions.
Que dans le cadre de cette répartition des compétences, le Parlement aura son mot à dire, c’est une évidence. Je trouve que le Parlement a depuis une année et demie fait un important travail pour être plus présent auprès des citoyens, pour être plus transparent, pour pouvoir gérer les affaires qui sont les siennes de façon efficace. Le bilan, à mes yeux, est extrêmement positif.
Concernant l’accès aux documents que demandent certains députés pour exercer leur mission de contrôle, il y a encore du chemin à faire. Le député du Parti pirate Sven Clement a décidé d’introduire à deux reprises un recours contre le gouvernement devant le Tribunal administratif, qui lui a donné raison. Faut-il en arriver là ?
L’accès aux documents est fixé par la nouvelle Constitution de 2023 et par le règlement adapté de la Chambre des députés et j’ai transmis les demandes faites dans ce contexte par des parlementaires au gouvernement. Le gouvernement peut exiger que ces documents soient traités de façon confidentielle, comme le prévoit notre règlement, qui établit dès lors une certaine procédure pour pouvoir les consulter, et surtout, dans ce cas, une interdiction d’en parler publiquement. Ce sont des procédures à respecter qui sont relativement lourdes, mais qui sont, je le crois, nécessaires. Nous avons ajouté à cette procédure, au cours des dernières semaines, l’obligation pour le gouvernement de motiver les raisons de la clause de confidentialité, s’il estime devoir l’évoquer. C’est également nouveau dans nos efforts de transparence.
La commission spéciale Caritas s’est heurtée, elle aussi, à des obstacles et en a conclu que le format n’était pas le bon. Un travail a été confié à la cellule scientifique de la Chambre pour remédier à ces inconvénients. Que faut-il améliorer, selon vous ?
Le Parlement est toujours dans une situation un peu spéciale et difficile lorsque l’on traite un dossier qui est également entre les mains de la justice. Une commission spéciale n’a pas plus de pouvoirs qu’une commission réglementaire normale. Elle peut inviter les gens, qui sont libres de refuser de venir ou de ne pas répondre à certaines questions. Puis, de l’autre côté, nous avons un autre instrument qui est celui de la commission d’enquête qui, elle, a un caractère tout à fait différent, avec des pouvoirs plus larges, quasiment identiques à ceux d’un juge d’instruction. D’ailleurs, avec la nouvelle Constitution, l’opposition est en mesure d’en obtenir la mise en place avec les voix de 20 députés seulement.
Mais là, c’est encore une fois plus difficile lorsque nous sommes en présence d’un cas qui est traité par la justice. Mener deux instructions sur une même affaire n’est pas évident du tout. Je suppose que c’est pour cette raison que l’opposition n’a pas choisi de demander une commission d’enquête pour le dossier Caritas. Cela étant dit, j’estime tout de même, après avoir lu le rapport de la commission Caritas, qu’un grand nombre de propositions tout à fait utiles ont été faites. Tout le travail réalisé a abouti à des suggestions au gouvernement afin d’éviter au possible que ce qui s’est produit se reproduise.
La majorité des commissions parlementaires seront diffusées en direct sur chd.lu après le 15 septembre, passant de cinq à dix-huit commissions retransmises. Les verts ont déclaré qu’il s’agissait d’un choix « arbitraire », car la Défense n’y figure pas, ni les Finances ou encore les Affaires étrangères.
On peut aussi dire qu’il y a un an et demi, après de longues années de discussions, on était à zéro retransmission! J’ai tendance à penser qu’il faut avancer, faire un pas après l’autre. Dans ce cas précis, ce n’est pas seulement un pas, mais on a fait un très long chemin dans un laps de temps très court. Je suis extrêmement satisfait d’avoir pu atteindre ce qui a été atteint. Quant aux commissions qui ne sont pas retransmises, il y a énormément de sessions où le ministre des Finances, le ministre des Affaires étrangères, la ministre de la Défense viennent expliquer en commission des positions, notamment dans le cadre de dossiers européens ou internationaux, qui, pour des raisons évidentes, ne doivent pas être rendues publiques.
Je suis extrêmement satisfait d’avoir pu atteindre ce qui a été atteint
La cellule scientifique de la Chambre, créée en septembre 2021, a déjà élaboré plusieurs documents de recherche et elle est de plus en plus sollicitée par les députés. Arrive-t-elle à suivre le rythme ?
La cellule scientifique a pris une place importante en un très court laps de temps auprès des députés, mais également dans l’espace public, en livrant des opinions qui sont bien fondées et bien écrites. Mais se pose le problème entre l’empressement de la politique, qui veut avoir des résultats et des réponses très rapidement, et la rigueur scientifique qui, elle, prend son temps pour faire un bon travail. Pour résoudre un peu ce dilemme, on a demandé à la cellule scientifique d’externaliser plus de travaux, c’est-à-dire de collaborer avec des universités, des instituts de recherche, tout en gardant le contrôle et en avalisant les rapports. Cela nous permet d’aller plus vite et d’élargir le champ de compétences à notre disposition. C’est le cas, par exemple, pour le « stress test« sur la démocratie. On va externaliser un certain nombre des notes à faire parce que sinon on ne va pas y arriver dans le temps imparti.
Études et formation. Après des études secondaires à l’Athénée de Luxembourg (1972-1979), Claude Wiseler s’inscrit à l’université Paris III (Sorbonne-Nouvelle), où il obtient une maîtrise de lettres modernes et une licence en littérature générale et comparée (1983). En 1989, il obtient son doctorat à l’université de Paris-Sorbonne.
Fonctions ministérielles. Claude Wiseler est nommé ministre de la Fonction publique et de la Réforme administrative, ministre des Travaux publics en date du 31 juillet 2004. Et enfin, ministre du Développement durable et des Infrastructures de 2009 à 2013.
Opposition. Après les élections de 2013, Claude Wiseler rejoint les rangs de l’opposition. Chef de la fraction CSV à la Chambre des députés, il est désigné tête de liste pour les élections législatives de 2018. Il échoue et reste dans l’opposition.
Président. À l’issue des élections législatives de 2023, Claude Wiseler est élu président de la Chambre des députés, bien décidé à moderniser l’institution.
Profession. De 1983 à 1987, il est professeur de français. Il est ensuite professeur attaché au ministère de l’Éducation nationale, avant d’occuper le poste de conseiller de gouvernement au ministère de la Famille et de la Solidarité sociale ainsi qu’au ministère des Classes moyennes et du Tourisme.
Justement, ce test de résistance sur la démocratie représente-t-il un travail de recherche important ?
La question qu’on a posée est une question très pratique. Jusqu’où les institutions démocratiques peuvent-elles résister face à des tentatives pour les déstabiliser, les affaiblir ou les abolir? Si une personne ou un parti arrivait au pouvoir avec une majorité absolue ou relative et qu’il voulait affaiblir ou abolir la démocratie, qu’est-ce qu’il ferait? Et qu’est-ce qui se passerait? Comment pourrait-on garantir que cinq années plus tard, il y aurait encore des élections?
J’aimerais savoir comment les « checks and balances« réagiraient au Luxembourg (NDLR : les mécanismes institutionnels concrets qui permettent aux différents pouvoirs de se contrôler mutuellement). Qu’est-ce qui se passerait? Est-ce que ce serait facile ou pas? Et par la suite, bien évidemment, voir où est-ce qu’on pourrait renforcer notre système institutionnel pour qu’il puisse résister à des tentatives de déstabilisation. Les effondrements des régimes ne se font pas aujourd’hui par des coups d’État ou par des guerres ou par des actes violents, mais se font surtout par un travail souterrain qui vise à décrédibiliser les hommes, les institutions, jusqu’à ce que le système ne fonctionne plus.
Il n’y a qu’à voir ce qui se passe dans d’autres pays que je ne citerais pas. Comment font un certain nombre de personnes aujourd’hui pour affaiblir la presse, l’université, l’administration, les institutions, le Parlement, pour nommer des fonctionnaires qui leur sont favorables à des postes stratégiques? Si on faisait exactement la même chose au Luxembourg, comment réagiraient nos institutions? Je voudrais qu’on analyse toutes ces situations et qu’on détermine où sont les points faibles pour notre pays et où est-ce qu’on pourrait encore améliorer les choses, renforcer le système démocratique pour le stabiliser au maximum.
Quel a été le moment le plus fort que vous ayez vécu en tant que premier citoyen du pays au cours de cette dernière session ?
Ce qui m’a beaucoup touché, c’est l’invitation lancée par Ruslan Stefanchuk, le président du Parlement ukrainien, pour le troisième anniversaire des massacres de Boutcha. On a visité ensemble la ville, parlé à des hommes et des femmes qui ont survécu au massacre et qui nous ont raconté ce qu’ils ont vu et ce qui était leur destinée personnelle. Honnêtement, ce sont des moments que je n’oublierai plus jamais, des témoignages qui me hantent encore. Émotionnellement, c’est fort. Ruslan Stefanchuk m’a dit que tout ce que ces personnes-là veulent, en fait, c’est que nous fassions savoir ce qui leur est arrivé pour que rien ne soit oublié.
D’autres moments importants pour moi sont les rencontres avec les lycéens. Je me suis rendu dans un certain nombre d’établissements et les discussions que j’ai pu avoir avec les jeunes m’ont également beaucoup touché. Ils posent des questions sans gêne, sans filtre et ça fait beaucoup de bien. Je remarque que, depuis quelques années, les questions qu’on me pose révèlent leurs inquiétudes et sont souvent liées à la situation internationale, aux guerres et à tout ce qui est anxiogène. Ce n’était pas du tout le cas il y a quatre ou cinq ans. Je considère qu’il est important d’essayer d’avoir ce contact-là, de le faire de façon apolitique et de montrer aux jeunes que nous, en tant qu’élus, nous sommes là pour les écouter et pour répondre à leurs questions. Leurs interrogations portent souvent sur ce qui est fondamental en politique et, finalement, ils attendent beaucoup des responsables politiques, beaucoup d’espoir ressort de ces discussions. Je voudrais que la politique ne les déçoive pas, c’est là mon plus grand souhait.
La séance de la rentrée sera très particulière, avec la prestation de serment du nouveau Grand-Duc. Comment le président de la Chambre des députés se prépare-t-il à un tel évènement ?
Je considère que c’est un très grand honneur de pouvoir procéder à cette assermentation au nom de la Chambre des députés et au nom de la population luxembourgeoise. Parce que c’est un moment historique et y participer est inattendu et procure beaucoup d’émotions. Comment je m’y prépare? En me posant la simple question : « Qu’est-ce que je vais dire?« . Le 23 juin dernier, pour le 25e anniversaire de règne du Grand-Duc Henri, fut déjà un moment qui, pour moi, était très fort, parce qu’il m’a obligé à résumer 25 années tout en me permettant d’exprimer en quelques notes personnelles mon appréciation pour un quart de siècle de règne réussi. Tout cela en sept minutes, ce qui n’était pas facile. Le 3 octobre, ce sera un changement d’époque. Un grand moment.
