C’est un retour pour le moins inattendu, 30 ans après la dernière incarnation de Leslie Nielsen. Mais cette fois, c’est Liam Neeson qui endosse le costume du flic le plus gaffeur d’Hollywood.
Icône comique du cinéma américain des années 1980 et 1990, Leslie Nielsen incarnait une forme de comédie qui a disparu avec lui, mort en 2010 à l’âge de 84 ans, et jamais remplacée depuis. Acteur prolifique de télévision puis de cinéma, le Canadien s’était initialement imposé à Hollywood, enchaînant les rôles dans les westerns, les polars et les romances légères, tantôt dans la peau du héros, plus souvent dans celle du méchant. Mais c’est en 1980, quelque 30 ans après ses débuts devant la caméra, que Leslie Nielsen entame une seconde carrière, qui deviendra la plus fameuse, sous l’impulsion de Jerry Zucker, Jim Abrahams et David Zucker, qui lui offrent le rôle d’un docteur un brin stupide dans leur premier film, Airplane!.
Deux ans plus tard, avant leur deuxième long métrage tout aussi culte, Top Secret! (1984), les ZAZ, comme on les appelle communément, transposent leurs géniales idioties à la télévision avec Police Squad! (1982), parodie des séries policières populaires dans les années 1960 et 1970. Si le trio a élevé l’humour infantile au rang d’art à part entière, il a aussi créé, avec Police Squad!, le rôle d’une vie pour Leslie Nielsen : celui de Frank Drebin, un lieutenant de police gaffeur et toujours à côté de la plaque, qui réussit néanmoins, toujours sans le faire exprès, à attraper les méchants. Dans une interview en 2006, l’acteur se souvenait : «Pour moi, (Police Squad!) allait être la meilleure série jamais faite!» Mais après quatre épisodes (sur six), la chaîne ABC, qui avait maltraité le programme en changeant chaque semaine son heure de diffusion, le supprime définitivement en mars 1982. Et l’ex-«acteur comique dans le placard» de retourner un temps aux thrillers, aux films d’horreur et aux rôles dramatiques.
Sois sérieux. N’essaie pas d’être drôle. Tiens-toi au flic sérieux qui est un peu débile
Jusqu’à ce qu’en 1988, Zucker, Abrahams et Zucker proposent à Nielsen d’endosser à nouveau le costume de Frank Drebin pour leur nouveau film : The Naked Gun : From the Files of Police Squad!. Leur recette est la même : dialogues truffés de jeux de mots, de contresens et de non sequiturs que l’on peut citer à l’infini, gags visuels à gogo souvent travaillés jusqu’à l’absurde, parodies de films cultes et blagues sous la ceinture (avec leur lot de bruits de pets), le tout délivré avec un sérieux déconcertant – qui y est pour beaucoup dans l’effet comique. Dans ce sens, Leslie Nielsen, toujours parfaitement impassible, s’est imposé comme le descendant potache de Buster Keaton.
Le policier y suit la trace d’un trafiquant d’héroïne et met à jour un complot visant à éliminer la reine Elizabeth II d’Angleterre, en visite officielle au même moment à Los Angeles. Le tout, cela va de soi, en semant une sacrée pagaille dans la ville. On pourrait citer ses séquences d’anthologie, comme celle où Drebin, pour identifier le tueur, se fait passer pour le chanteur d’opéra Enrico Palazzo, massacrant au passage l’hymne américain avant un match de baseball, puis pour l’arbitre du même match, faussant complètement le jeu en réalisant le pouvoir qui lui est donné. Ou la célèbre phrase de flic «Circulez, il n’y a rien à voir», prononcée par Drebin devant des badauds, tandis qu’une maison explose de façon spectaculaire en arrière-plan. Ou encore le premier rencard avec Jane (Priscilla Presley), qui au moment de passer à l’acte demande à Drebin s’il se protège… avant de les montrer tous deux sur le lit, vêtus de préservatifs géants. Les ZAZ ont même profité de l’insuccès de Police Squad! en reprenant certains gags de la série et en faisant revenir ses personnages – outre les collègues Ed (George Kennedy) et Nordberg (O. J. Simpson avant le drame), on compte Johnny, le cireur de chaussures qui, moyennant un billet, est capable de confier tous les secrets de l’univers, ou le responsable du laboratoire scientifique de la police et créateur de gadgets, que l’on rencontre toujours en train de faire des allusions déplacées à un jeune garçon.
Oui, tout va toujours très vite chez les ZAZ, et tant pis si l’on rate quelques blagues au passage – ce qui est forcément le cas –, cela donne l’occasion de revoir leurs films encore et encore, et de rire toujours autant. Pour preuve, The Naked Gun a connu le triomphe que Police Squad! n’a pas eu, et a engendré deux suites, The Naked Gun 2½ : The Smell of Fear (David Zucker, 1991), où Drebin déjoue un complot à la Maison-Blanche, et The Naked Gun 33 ⅓ : The Final Insult (Peter Segal, 1994), avec son terroriste qui prévoit de faire exploser une bombe à la soirée des Oscars. Avec toujours des scènes hilarantes (Drebin au volant d’un tank, fonçant dans un zoo et libérant les animaux dans le 2, Drebin en prison dans le 3), et une affection sincère et sérieuse qu’éprouvait Leslie Nielsen pour ce personnage délirant. Selon la volonté de l’acteur, c’était d’ailleurs le thème jazz d’Ira Newborn qui jouait à son enterrement, le même que dans les fameux génériques de début, vus depuis le capot d’une voiture de police qui s’infiltre partout (grand huit, douches des femmes, piste de bobsleigh…).
À première vue, Leslie Nielsen et Liam Neeson n’ont rien en commun, si ce n’est l’étrange ressemblance dans leurs noms. Mais, 31 ans après «l’insulte finale», l’acteur irlandais fait ses débuts en comédie dans la peau de Frank Drebin Jr. pour un quatrième volet qui a laissé les ZAZ – ou du moins les frères Zucker, Jim Abrahams étant décédé en 2024 – sur la touche, au profit du scénariste et réalisateur Akiva Schaffer, membre de The Lonely Island, autre trio comique rendu culte par l’émission Saturday Night Live dans les années 2000. Si l’acteur de Schindler’s List (Steven Spielberg, 1993) s’est, comme Leslie Nielsen en son temps, découvert une vocation tardive, lui comme acteur de films d’action (dont la saga Taken), il a pour la première fois à 73 ans l’occasion d’explorer son côté comique dans ce nouveau volet, qui voit le fils Drebin tenter de déjouer les plans d’un magnat de la tech. Entouré d’une belle galerie de stars (Pamela Anderson en premier rôle féminin, Paul Walter Hauser et Moses Jones sont les fils d’Ed et Nordberg), l’acteur promet de parodier sa propre image, toujours avec l’extrême sérieux qui le caractérise, lui et l’«irremplaçable» film original, dit-il : «Je ne voulais pas imiter le formidable Leslie Nielsen, la seule chose que j’ai repris de lui était : « Sois sérieux. N’essaie pas d’être drôle. Tiens-toi au flic sérieux qui est un peu débile ».» Pour en juger, réponse aujourd’hui en salles.
The Naked Gun,
d’Akiva Schaffer.