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[Cinéma] Studio 16 : une déclaration d’amour au cinéma


Dans les années 1960-1970, des jeunes de Villerupt, fils et filles d’ouvriers, décident de faire des films. Studio 16 était né. Jean-Louis Sonzogni revient sur cette histoire profondément humaine.

C’est une belle histoire. Celle d’une passion. Celle aussi d’un affranchissement à un âge où tous les rêves sont possibles et les barrières sociales encore poreuses. Au milieu des fumées de l’industrie sidérurgique et au cœur des années 1960, une bande de jeunes décident de rompre avec un destin qui leur est tracé : celui d’aller pointer à l’usine et de vivre au rythme des «trois-huit» à la chaleur des hauts fourneaux, comme l’ont fait avant eux leurs pères et leurs grands-pères. Une aventure entre ciel et terre avec, d’un côté, des envies d’ailleurs sans limites, et de l’autre, la dure réalité du quotidien : le milieu ouvrier et les aciéries qui toussent face au ravage du capitalisme et des délocalisations. Mais l’enthousiasme peut faire des miracles : ainsi, il y aura la création du Studio 16, auteur d’une poignée de fictions et de documentaires, et à l’origine de la création du festival du Film Italien de Villerupt en 1976.

Jean-Louis Sonzogni y était. Il avait alors 13 ans. «J’étais le petit qui allait chercher des trombones à la maison de la presse et qui apportait les bobines de films dans la salle, se souvient-il. J’y allais en mobylette. Je n’avais pas le permis!». Une année avant, il entrait au club photos de la MJC locale, avant d’y découvrir l’atelier cinéma porté par des garçons et filles plus vieux que lui : Jean-Paul Menichetti, Daniel Brachetti, Alain Luchetti, Patrice Parachini, Maryse Turci, Jacques Maccarini… Dans la vie de tous les jours, ils ne sont que de jeunes immigrés italiens, nés dans un drôle d’Eldorado. Avec le Studio 16, ils troquent leurs conditions et deviennent réalisateur, caméraman, perchiste, compositeur, scripte et acteur. Un nouveau monde s’offre à eux et pour ceux qui suivent leur sillage : «Je voulais rendre hommage aux personnes qui m’ont mis le pied à l’étrier, m’ont fait connaître une passion, un métier», prolonge le chef opérateur, à peine revenu d’un tournage à Marseille pour Canal+.

De la VHS à l’intelligence artificielle

Ses égards prennent aujourd’hui la forme d’un documentaire d’un peu moins d’une heure, facilement intitulé Studio 16, et diffusé ce samedi à domicile à l’Arche de Villerupt avec, à la lumière des projecteurs, tous ses  protagonistes, aujourd’hui âgés «entre 70 et 80 ans», estime-t-il. Un seul manque à l’appel : le «Jack», décédé en 2018. Un  grand mou à la belle gueule qui traîne les baskets, crache et joue au baby-foot. «C’était le frère que je n’ai pas eu», lâche Jean-Louis Sonzogni qui s’est alors donné une mission : retrouver toutes les productions de ses amateurs doués et pas si naïfs. S’il n’a pas encore mis la main sur L’Impasse, court métrage réalisé en 8 mm, d’autres sont déjà sortis de l’oubli et mis à neuf (ou presque), comme Castagnettes et tango (1969), Vingt Jours ailleurs (1970) ou encore L’Anniversaire de Thomas (1982), auquel il a participé.

Il y réalise son premier panoramique («avec des à-coups» car l’huile de la tête de la caméra avait gelé) et tremble chaque fois qu’il manipule les bandes : «À l’époque, dix minutes de film, ça coûtait 2 300 francs», soit le salaire mensuel de son père à l’usine, avant qu’il y soit licencié. Mais un film, plus que tous les autres, l’intéresse grandement : Des quetsches pour l’hiver (1973), qu’il a mis dix ans à dénicher et à rafraîchir (il sera d’ailleurs également diffusé samedi). «J’avais une vieille cassette VHS que m’avait donnée Daniel (Brachetti), inexploitable. Un jour, un de mes copains qui bosse en laboratoire m’appelle et me dit qu’il l’a trouvé sous un autre nom», le premier imaginé par le collectif avant de le considérer trop déprimant : Un aller simple pour Fos. Depuis 2022, grâce à des aides conjuguées de l’OGBL, du Conseil départemental de Meurthe-et-Moselle et d’une intelligence artificielle (pour le son), il recompose l’objet aux accents très «Nouvelle Vague». Ce devait être le sujet principal de son documentaire. Il en sera différemment : «Je voulais raconter l’histoire d’un tournage. Ce sera finalement une sur des destins de vie», profondément «humaine».

«Spielberg des cités» et luttes syndicales

À l’image, on rembobine. Pas encore l’âge pour porter un bonnet rouge façon commandant Cousteau comme aujourd’hui, Jean-Paul Menichetti est un garçon qui adore aller voir les exploits d’Hercule aux cinémas du coin, avant, solitaire, d’écrire des scénarios sur les bancs du lycée au lieu de bosser. Ce «Spielberg des cités» va trouver des compagnons aussi rusés que lui pour concrétiser ses idées : pour financer les projets, ils mettent en place un système de bons de souscription et organisent des concerts. On filme où l’on peut, durant l’été et les vacances scolaires, souvent avec les moyens du bord. Les familles, elles, encouragent cette jeunesse débrouillarde (toute activité qui éloigne du spectre de l’usine est alors vue d’un bon œil), quand elles ne prennent pas part à l’entreprise (comme la mère de Maryse Turci). À l’écran, on évoque le rôle des femmes (au foyer), les luttes syndicales, les manœuvres patronales et la solidarité. On montre aussi ces coulées ardentes qui illuminent les nuits à trimer à l’ARBED de Micheville.

Mais Studio 16, entre les lignes, est à voir comme une œuvre sur le transfuge de classes, cette légitimité à s’inventer un avenir loin de ses racines, loin de son nom. Par exemple, Jean-Paul Menichetti, à l’époque soutenu par le célèbre réalisateur Chris Marker, ne va pas profiter de l’opportunité qui s’offre à lui dans la capitale, selon une formule exprimée dans le film : «La réalité, c’était Villerupt; l’imaginaire, c’était Paris». «Il est passé à côté d’une énorme carrière s’il avait coupé le cordon ombilical», soutient Jean-Louis Sonzogni, qui parle de «regret» plutôt que d’«échec» à la vue du CV de l’homme (il a occupé la fonction d’attaché de presse chez Gaumont et a dirigé un complexe cinématographique à Longwy). Au passage, il loue également le talent de Daniel Brachetti et de Patrice Parachini, «aussi bon qu’Ennio Morricone!». Autant de gens doués restés simples et fidèles à leurs terres. Jean-Louis Sonzogni, lui, s’en est échappé en sautant dans un train de nuit direction Bruxelles et son école de cinéma (INSAS). Oui, il leur devait bien cet hommage.

Studio 16, de Jean-Louis Sonzogni.
Ce samedi soir à partir de 20 h à L’Arche (Villerupt)
Projection suivie de celle Des quetsches pour l’hiver.