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[Cinéma] Sander Burger : «Travailler avec des enfants, c’était une vraie chance»


Sander Burger. (photo DR)

Sander Burger, le réalisateur de la coproduction luxembourgeoise Totem, en salle dès mercredi, raconte la transformation d’un récit de migration et d’une quête d’identité en un conte réaliste à destination du jeune public.

Ama a onze ans et vit à Rotterdam avec sa mère et son frère. Elle excelle à l’école et fait partie des meilleures dans son équipe de natation. L’avenir promet d’être radieux pour la jeune fille, jusqu’à ce jour d’hiver où elle est rappelée à la dure réalité : le service de l’immigration arrête sa famille, demandeurs d’asile sénégalais, et Ama, enfant clandestine, va déambuler dans la métropole à la recherche de son père et de ses racines. Dans sa quête, elle sera aidée par son ami imaginaire et animal totem, un porc-épic géant.

Avec Totem, coproduction luxembourgeoise (Tarantula) en salle dès mercredi, le cinéaste et documentariste néerlandais Sander Burger transforme le drame social en un conte pour enfants, porté par la jeune Amani-Jean Philippe. Dans ce récit, le réalisateur aborde avec intelligence et pédagogie le thème de l’identité, à travers le regard des sociétés occidentales sur les exilés – y compris les mieux intégrés –, le parcours de ces derniers et la difficulté qu’ont les adultes à aborder le sujet. Totem, lauréat des prix du jury enfants et scolaire du 13e LuxFilmFest, est un film profondément humain, qui a aussi permis à son réalisateur de réaliser un rêve d’enfant…

Quelle a été la genèse de Totem ?

Ce qui allait devenir Totem a commencé avec l’idée que j’allais faire un documentaire. À l’époque où je vivais à Rotterdam, j’avais lu dans le journal qu’on estimait à 40 000 le nombre de personnes vivant illégalement dans la ville, soit environ une personne sur vingt. C’est énorme! Je me suis demandé où vivaient ces gens et où ils travaillaient. Ce n’était pas tous des adultes, il y avait aussi beaucoup d’enfants. J’ai commencé mon enquête, mais, pour des raisons évidentes de protection de la vie privée, je n’ai pas pu filmer la moindre image. En revanche, j’ai rencontré énormément de monde et j’ai découvert que les enfants de ces personnes en situation irrégulière allaient à l’école, ce qui est garanti par la loi et protège les enfants. C’est très fort : cela veut dire que les enfants peuvent ne pas être victimes du choix de leurs parents et, en allant à l’école, peuvent envisager de construire un avenir.

Bref, j’ai beaucoup pensé à la façon dont j’allais traiter ce sujet. Si je choisissais de faire un film de fiction avec un enfant pour protagoniste, pour qui voudrais-je le faire? M’adresser à un jeune public impliquait, à mon sens, de confronter le spectateur à la situation de ces enfants de migrants.

 

Quelle a été l’influence du public visé sur votre façon d’aborder le thème du film ?

On peut faire le même film, avec un enfant dans le rôle principal, à destination des adultes. Ça deviendrait très réaliste, très dur, un truc à la Dardenne. Et puis, il y a ces films pour jeune public que les enfants n’aiment pas tellement, mais que les adultes adorent (il rit). Il était clair pour moi que si j’allais faire un film pour enfants, il devait s’adresser avant tout aux enfants, sans déplaire aux adultes. Je devais trouver un juste milieu pour ne pas être à fond dans la dure réalité, ni que ce soit trop naïf. Ce qui m’a aidé à trouver l’équilibre, c’est le porc-épic, qui fait basculer le film dans le réalisme magique, ou le conte de fées réaliste, comme je préfère l’appeler. Les ingrédients du conte de fées sont nécessaires : ils amènent le spectateur à apprendre quelque chose, ils le poussent à réfléchir à un sujet à partir d’une autre perspective. C’est ce que j’ai essayé de faire ici.

Inévitablement, on pense à l’univers de Steven Spielberg ou, dans une moindre mesure, de Stephen King. Un film comme E. T. était-il une référence pour vous ?

E. T. est l’exemple absolu du film qui s’adresse parfaitement à la fois aux enfants et aux adultes, qui trouve l’équilibre entre réalisme et fantastique, et qui raconte beaucoup plus que ce qui est montré. Ce qui est amusant, c’est que E. T. devait être à l’origine un ami imaginaire, et non un extraterrestre, qui allait aider le héros à surmonter l’épreuve du divorce de ses parents – c’est l’histoire de l’enfance de Steven Spielberg. De la même façon, le porc-épic aide Ama à découvrir ses racines, dont elle ignore tout. L’irruption du fantastique permet de raconter ce thème de l’identité de manière visuelle.

Vous êtes né en Côte d’Ivoire et avez grandi entre l’Asie et l’Europe, mais vous connaissez vos racines. Quel écho y a-t-il entre l’histoire d’Ama et la vôtre ?

Mes parents sont néerlandais et il a toujours été très clair pour moi que j’étais néerlandais. Il se trouve que je suis né en Afrique et j’ai eu la chance énorme d’avoir une enfance très riche et d’avoir vu le monde avant l’âge adulte. Je n’ai jamais eu à faire face à une double identité, mais c’est une question qui existe pour beaucoup de gens aux Pays-Bas, où il y a d’importantes communautés turque et marocaine. Après et depuis le 11-Septembre, beaucoup de mes amis d’origine turque vivent la pression de devoir choisir : « Tu es turc ou néerlandais ?“ ou, pire, « Tu es néerlandais ou musulman ? » Ce qui est merveilleux, c’est de pouvoir être les deux ! Les Néerlandais de deuxième ou troisième génération qui n’ont pas la peau blanche entendent souvent cette question : « D’où est-ce que tu viens vraiment ? » C’est absurde !

Travailler avec une animatronique était un rêve d’enfant pour le fan de Jim Henson que je suis

Vous avez tourné Totem à Rotterdam, une ville multiculturelle et très vivante. Une ville au style excentrique aussi, qui donne à ce récit un décor particulier…

Je crois que Rotterdam est une ville très cinégénique : j’y ai tourné la plupart de mes films. À mon sens, c’est la ville des Pays-Bas qui a l’allure la plus internationale. Et c’est une ville portuaire, si bien qu’on y trouve un brassage ethnique et culturel important, qui en fait l’une des villes les plus bouillonnantes du pays.

C’est la première fois que vous travaillez avec une distribution d’enfants acteurs. Qu’avez-vous appris de cette expérience avec eux ?

D’une manière générale, je crois qu’il faut toujours être très mature dans nos rapports avec les enfants, au travail comme en famille. Pour ma première expérience avec des enfants, j’étais largement hors de ma zone de confort, et c’était une vraie chance de travailler avec eux, notamment Amani. Dès que je l’ai vue arriver au casting, j’ai trouvé qu’elle était très proche du personnage que j’avais en tête. Même si j’ai continué à faire passer des auditions à d’autres enfants, pour moi, c’était elle. Elle comprenait parfaitement son personnage. La maquilleuse (NDLR : la Luxembourgeoise Katja Reinert) m’a dit quelque chose de très juste à son sujet : « C’est une vieille âme. » Amani avait une compréhension telle du personnage que je n’ai même pas eu besoin de lui expliquer les choses en profondeur, elle en captait toutes les subtilités et savait quoi faire. Ce qui m’a posé plus de problèmes, c’est le porc-épic (il rit)

Pour la créature, vous avez choisi la voie traditionnelle avec un porc-épic en animatronique (NDLR : animé par des marionnettistes). C’est aussi la part d’héritage de E. T. et de Spielberg ?

Il y a trois raisons à cela, en réalité. D’abord, E. T. a prouvé que l’animatronique ne vieillit pas : l’année dernière, le film a fêté ses 30 ans, et la créature est toujours parfaitement crédible, même avec tous les progrès qu’il y a eu depuis. Une autre motivation a été que, si j’avais voulu une créature numérique, Amani aurait eu comme partenaire de jeu un oreiller vert ou quelque chose du genre, ce qui aurait rendu leurs interactions moins spontanées, et le jeu en aurait souffert. Enfin, travailler avec une animatronique était un rêve d’enfant pour le fan de Jim Henson (NDLR : le créateur des Muppets) que je suis. Mais alors que Jim Henson tournait tous ses films en studio, nous, on a tourné en extérieur et en plein hiver, sous la pluie et la neige (il rit) ! Je dois le reconnaître : c’est un choix artistique que j’ai totalement sous-estimé, mais si je devais le refaire, je le referais tout pareil.