L’un des films luxembourgeois les plus attendus de l’année, Gutland, est sorti en salle mercredi. Le réalisateur Govinda Va Maele signe son premier long-métrage, après trois courts et un documentaire remarqués par la critique.
Qu’est-ce qui vous a attiré au départ vers le monde du cinéma?
Govinda Van Maele : C’est un chemin que j’ai commencé à emprunter il y a bien longtemps, un peu par hasard. Je suis quelqu’un de très obsessionnel, lorsque j’ai une
envie, une passion ou un intérêt pour quelque chose, je vais jusqu’au bout. Tout a commencé lorsque j’étais petit et que je voulais être fermier – d’où le sujet de Gutland –, j’ai alors photographié tous les tracteurs de mon village. Ensuite, je me suis passionné pour les trains miniatures et je voulais être conducteur de locomotive. Jusqu’au jour où j’ai acheté mon premier magazine de cinéma, je suis tout de suite devenu accro au cinéma, sans avoir vu de film. J’ai eu ma première connexion avec le cinéma à travers l’écrit, les critiques. Je n’avais pas de téléviseur à la maison, donc je ne pouvais pas voir les films dont je lisais les critiques, j’étais trop jeune pour aller au cinéma, alors j’ai tout lu, tout ce que je pouvais. Ce n’est que vers l’âge de 13 ans que je suis allé pour la première fois au cinéma, à Paris, parce que les films étaient autorisés aux plus jeunes, ce qui n’était pas le cas au Luxembourg. Je me souviens que nous sommes allés voir Fargo, j’ai alors eu envie de faire des films moi-même. On réalisait des films dès qu’on avait un après-midi de libre avec mes amis, puis vers 15 ans nous avons eu envie de faire un premier vrai film, un long métrage, avec un scénario. Ce qui devait nous prendre un été nous a pris trois ans. C’est en voyant ce film que Pol Cruchten m’a embarqué comme assistant pendant deux ans et a produit mon premier « vrai » court métrage.
Après trois courts et un documentaire, tous remarqués par la critique, vous présentez aujourd’hui votre premier long, Gutland, qui a déjà beaucoup voyagé à travers les festivals du monde. Quel a été le déclic pour se lancer dans la cour des grands?
Il n’y a pas vraiment eu de déclic ou de sentiment que c’était le bon moment, je travaille vraiment sur un film après l’autre, je n’avais pas le scénario de Gutland en tête depuis des années. Il m’a fallu près de trois ans pour l’écrire. Chacun de mes films propose un autre cinéma, évolue dans un style très différent par rapport aux précédents, j’aime les films de genre. Pour Gutland, je pense que j’avais envie d’un retour aux sources, de revenir dans le village où j’ai grandi et dans l’univers qui compose cette atmosphère singulière qui règne dans les petites communautés. Je me suis beaucoup inspiré à la fois de ma propre expérience d’enfant issu de l’immigration grandissant dans un petit village luxembourgeois, mais aussi d’une expérience que j’ai vécue en voyageant en Amérique du Sud il y a quelques années, pendant laquelle je me suis retrouvé quelque part dans la même situation que mon personnage Jens. Pour ce long métrage, j’avais envie de faire ce que j’aime, un film entre art et essai et grand public, sur les sujets qui m’intéressent : l’identité, l’intégration, la communauté.
Sur fond de thriller, Gutland interroge beaucoup le fonctionnement des petites communautés que sont les villages avec leur lot de secrets, de non-dits et, à travers cela, vous interrogez le fonctionnement de la société luxembourgeoise. Si le film a pour l’instant reçu un très bon accueil au niveau international, quelle va être la réception du public luxembourgeois face à ce miroir que vous lui tendez?
Pour l’instant, nous avons de très bons retours de la part de la communauté luxembourgeoise à l’étranger qui a eu l’occasion de voir le film lors de sa présentation en festivals, c’était pour beaucoup une première de voir un film luxembourgeois, en langue luxembourgeoise, qui se déroule dans un village et pas dans l’univers de la ville, des banques et des institutions européennes. Pour l’instant, Gutland a surpris et ému le public luxembourgeois. Je pense qu’il est important et sain dans une société d’avoir des outils qui nous servent de miroir, qui nous permettent d’être honnêtes avec nos aspects les plus sombres, avec qui nous sommes vraiment et le cinéma doit être un de ces outils. Le Luxembourg a une fâcheuse tendance à éviter de se regarder en face, mais il n’est jamais trop tard!
Entretien avec Mylène Carrière.