Entre science-fiction et drame contemplatif, « Maret », le troisième long métrage de Laura Schroeder, arrivera demain en salles. La cinéaste luxembourgeoise en raconte la genèse.
Mercredi, Laura Schroeder fêtera ses 43 ans… avec la sortie en salles de Maret, son deuxième long métrage. Après avoir amené Isabelle Huppert et sa fille, Lolita Chammah, aux abords du lac de la Haute-Sûre, où se déroulait Barrage, son précédent film, la cinéaste tourne sur l’île espagnole de Lanzarote, en allemand et avec Susanne Wolff, épatante dans le rôle-titre. La Maret qu’incarne cette dernière est une artiste victime d’amnésie. Bien que décidée à découvrir qui elle était, une autre possibilité s’offre à elle : subir une opération du cerveau qui lui promet la paix intérieure et la satisfaction.
En 2019, Laura Schroeder avait réalisé un épisode de la série documentaire Routwäissgro, sur RTL, intitulé Brain Is Cool, une plongée dans le quotidien d’une jeune chercheuse de l’université de Belval qui s’emploie à trouver de nouveaux moyens de prévenir et combattre la maladie de Parkinson. L’un des traitements, très invasif, est la stimulation cérébrale profonde, ou l’implantation d’électrodes dans le cerveau, agissant ainsi sur les neurones. Cette opération, bien réelle, est au cœur de Maret, faisant basculer le film dans une étrange sorte de science-fiction. Laura Schroeder fait part au Quotidien de ses recherches, ses découvertes et les questionnements qui ont mené à ce nouveau long métrage, qu’elle accompagnera ces prochaines semaines à travers une tournée des cinémas du Luxembourg.
Qu’est-ce qui a déclenché l’idée de Maret ?
Laura Schroeder : Mes premières idées, du moins, les premières bribes d’histoire que j’avais en tête, remontent à longtemps… C’est quand je suis allée en vacances à Lanzarote, en 2016, avant le tournage de Barrage, que tout a commencé à s’imbriquer : je savais que l’histoire qu’allait vivre ce personnage allait se dérouler dans un univers familier, mais qu’il y aurait derrière cela un autre univers à découvrir. Quand j’ai vu Lanzarote, ça a fait tilt. Puis, en m’intéressant à la mémoire et à la neurochirurgie, j’ai découvert la stimulation cérébrale profonde : ça a été une révélation, cette idée que l’on puisse régler des troubles de façon organique, en appuyant sur le bon bouton, plutôt que de passer des années en thérapie. Je me suis plongée dans cette recherche, et plus je m’y intéressais, plus je trouvais ça fascinant. Inquiétant, aussi…
Maret est, à certains égards, presque un film d’anticipation. Comment la science a-t-elle nourri la fiction ?
La plupart des gens n’ont jamais entendu parler de la stimulation cérébrale profonde – moi-même, avant de travailler à ce film, j’ignorais tout de ça. Quand j’ai rencontré en 2017 le Dr Hertel, le neurochirurgien qui m’a conseillé sur ce film, il pratiquait cela depuis quinze ans déjà et avait opéré 700 ou 800 patients ! Un tel volet de la science, dans lequel il y a eu énormément de progrès, existe presque de manière cachée. J’avais envie que, dans le film, on montre au spectateur de quoi il s’agit, en lui donnant tout de même une idée de ce que ça représente, et de comprendre à quel point cette opération est invasive. C’était cela, le plus grand défi. D’ailleurs, quand on a envoyé le dossier à des fonds de création à l’étranger, on m’a pratiquement reproché d’avoir inventé une branche de la science qui existait déjà. Il fallait que je raconte quelque chose de bien réel – à 90 % –, sans que cela devienne un film naturaliste.
Ce que j’ai projeté sur Lanzarote, ou ce que cette île m’a donné, a eu un impact sur tout le reste du film
Après avoir perdu la mémoire et en changeant de décor, Maret pourrait prendre un nouveau départ, mais elle tente, au contraire, de comprendre qui elle était, de retourner vers son passé…
Elle veut tout de même être quelqu’un d’autre. Cela ne m’a pas intéressé de faire de Maret un personnage qui change de vie après sa perte de mémoire. Il y a de très bons films qui ont déjà abordé le sujet, d’ailleurs ! J’espère, en revanche, que le film pose cette question : si on pouvait se comporter différemment, voudrait-on vraiment le faire ? Je me suis souvent demandé ce que serait ce film si je n’avais pas abordé la perte de mémoire; j’aurais pu traiter le sujet de plein de façons différentes. La perte de mémoire, c’était ma manière de vider le personnage, d’en faire une coquille vide. Ainsi, elle ne peut pas comparer avec ce qu’elle a été. Au fil du récit, elle découvre – malgré elle – comment elle a pu être, mais elle n’en a pas de souvenirs directs et concrets. Un défi qui m’a motivée était de trouver comment faire entrer le spectateur dans cette quête.
Le film oppose deux parties : la première marquée par cet hôpital, donc froide et explicative, que l’on a rapproché de la science-fiction. Avec la seconde, on entre dans un univers plus aérien, presque méditatif. Vous aviez en tête cette expérimentation autour de la forme ?
Pas consciemment. J’avais en tête plusieurs rythmes. Dans la première partie, il faut être très attentif; quand on bascule dans la deuxième partie, on peut se laisser aller à la contemplation. Mon rapport à la forme est intuitif; ici, il a également été porté par ce que je ressentais devant les décors, qui m’ont différemment inspirée. J’ai passé beaucoup de temps à Lanzarote avant le tournage. J’ai découvert cet endroit avec un œil de Luxembourgeoise, j’ai fini par me l’approprier; je savais comment j’allais les filmer, comment j’allais faire vivre le personnage à l’intérieur… Ce que j’ai projeté sur Lanzarote, ou ce que cette île m’a donné, a eu un impact sur tout le reste du film. Même si, finalement, la moitié du film seulement s’y déroule. Il ne faut pas oublier qu’on tournait en pleine pandémie, et la construction de l’espace était importante : il fallait rester proche de l’hôpital, et en même temps ne pas oublier qu’on était sur une île.
À la Berlinale, Susanne Wolff et moi, on n’arrêtait pas de se croiser : je l’avais même repérée à la première de Barrage !
Votre actrice, Susanne Wolff, est de tous les plans. Imaginiez-vous le film avec elle dès les balbutiements du projet ?
Elle est arrivée très tôt sur le projet. Je le connaissais pour l’avoir déjà vue dans un ou deux films, ainsi qu’au théâtre. On s’est rencontrées en 2017, quand Barrage était à la Berlinale. On n’arrêtait pas de se croiser : je l’avais même repérée à la première de Barrage ! On a gardé le contact et, très tôt, vers 2019, je lui avais donné à lire une première version du scénario. Ça a été une collaboration assez étroite, avec beaucoup d’échanges sur ce personnage. Je ne veux pas dire qu’elle « est » Maret (elle sourit), mais durant ce processus en amont, j’ai pu longtemps l’observer, et faire glisser beaucoup de choses à elle dans son personnage. Sachant que Susanne est une actrice très physique, je voulais que Maret, plutôt que de parler, allait exprimer beaucoup de choses avec son corps. Lorsque nous travaillions ensemble sur le scénario, Susanne m’avait fait remarquer que l’île est l’endroit où les corps se libèrent. Sans doute ai-je inconsciemment été attirée par cette île pour cette raison précise.
À un moment du film, Maret, qui était une artiste, ne reconnaît pas son art. On a cette impression, furtive, qu’en ayant perdu la mémoire, elle a aussi perdu une certaine sensibilité…
Il y avait une scène, au début du film, où l’on voyait son travail d’artiste, mais je m’étais dit que c’était trop tôt pour montrer cela, que le spectateur allait porter cette image avec lui et s’imaginer qui elle est à partir de cela. Je l’ai donc enlevée. On voit assez peu ses « gribouillis« (elle rit), mais on voit tout de suite qu’il s’agit de quelque chose de très nerveux. Ça, c’est ce qu’elle a fait avant – et, donc, ce à quoi elle ne s’identifie plus. Maintenant, elle prend des Polaroids : c’est tout le contraire! Ce n’est pas seulement une façon de créer de nouveaux souvenirs, mais de continuer la pratique artistique d’une façon totalement différente, et qui ressemble à ce qu’elle est actuellement. Ou ce qu’elle recherche…
Sortie mercredi. Avant-première ce mardi soir à 19 h 30, suivi d’un débat avec Laura Schroeder, le Dr Frank Hertel (chef de neurochirurgie au CHL) et le Dr Dirk W. Droste (neurologue au CHL). Utopia – Luxembourg.