Six films, quarante ans de cinéma et de provocations : Andy Bausch compile ses courts métrages d’hier et d’aujourd’hui dans Make It Short, à voir au cinéma.
On connaissait Johnny Chicago, interprété par Thierry Van Werveke, et sa troupe de gangsters à la petite semaine (la trilogie Troublemaker, 1987-2010), les ex-sidérurgistes heureux sans emploi (Le Club des chômeurs, 2003) ou les retraités luttant pour leur autonomie (Rusty Boys, 2017). On sait moins que, dans la grande galerie de personnages désœuvrés qui habitent le cinéma d’Andy Bausch, il y a tout un tas d’autres marginaux : des cow-boys, des prostituées, le diable en personne… et même Freddie Mercury. Tous sont visibles dans Make It Short, ce programme de six courts métrages aujourd’hui au cinéma, qui dévoile la face cachée – ou pour le moins méconnue – de 40 ans de création d’un auteur emblématique du cinéma luxembourgeois.
Actif depuis le début des années 1980, auteur d’une cinquantaine de films en équilibre entre courts, longs et documentaires, Andy Bausch est habituellement du genre à anticiper l’avenir plutôt que de s’enfermer dans la nostalgie. C’est précisément ce cheminement qui l’a poussé à fouiller dans sa malle aux trésors : par le biais d’un film «tout frais», qui a reçu sa touche finale «début 2025», explique le réalisateur. The Butcher joue la double carte de la parodie et de l’hommage au film noir, avec cet apprenti boucher appelé à s’occuper d’un cadavre encombrant pour le compte d’un tueur à gages.
«Pendant le tournage, on s’est demandé ce qu’on allait faire de ce film, comment l’amener au public», rembobine Nilton Martins. Collaborateur régulier d’Andy Bausch «depuis vingt ans» des deux côtés de la caméra, l’interprète de l’apprenti boucher et coproducteur de Make It Short sait la difficulté de donner de la visibilité au format court, «plutôt réservé aux festivals ou à des séances spéciales». «De fil en aiguille, on s’est dit : pourquoi ne pas en faire un programme qui dure le temps d’un film long, pour une sortie en salle ?»
Le projet est lancé, vite rejoint par le CNA, et l’enthousiasme général a surtout gagné Andy Bausch qui, pour cet insolite retour au cinéma, a tenu à réaliser un nouveau petit film pour introduire le spectacle : «Une séance, ça commence par des bandes-annonces, alors c’est ce qu’on a fait : on a tourné un « trailer » pour un film qui n’existe pas… et qui ne se fera jamais.» Horse Trouble – un titre qui évoque, volontairement ou non, le grand classique d’Andy Bausch – est le dernier petit clin d’œil à une œuvre traversée tout entière par les fantasmes de l’Amérique : un western à l’esthétique influencée tant par Budd Boetticher que par Sergio Leone, et au scénario gentiment provocateur et franchement drôle, qui relit les codes du genre sous le prisme du politiquement correct. Autrement dit, la parfaite introduction à l’univers du réalisateur.
Totale liberté
Le cinéaste de la marge, des cabossés et des laissés-pour-compte présente un programme qui témoigne de son attachement à la création sans entraves : «Aucun de ces courts n’est passé devant un comité de lecture», prévient Andy Bausch. Dans le détail, Freddie (2016), Horse Trouble et The Butcher ont été produits par Nilton Martins; Letters Unsent (1996) «a été une carte blanche du ministère de la Culture pour l’année culturelle 1995»; Language School (2002), qui fait partie du film collaboratif Visions of Europe, «a reçu de l’argent d’ARTE et Zentropa (NDLR : la société de production de Lars Von Trier, initiateur de ce projet qui réunissait des cinéastes de 25 pays d’Europe, dont Aki Kaurismäki, Béla Tarr ou Fatih Akin)»; tandis que Der Däiwel (1984) et le polar The Last 50 Hours of Frankie Blue (2006) ont été entièrement autoproduits. «J’ai donc eu pour tous ces films une liberté totale», assure Andy Bausch.
Conséquence (ou pas), le «troublemaker» joue la provoc à fond. Notamment dans Language School, une comédie sociale narrant l’histoire de prostituées étrangères inscrites à un cours de luxembourgeois avant d’aller «travailler» au Parlement européen. Aussi – et surtout – dans Der Däiwel, l’un de ses premiers courts, en équilibre entre Freaks (Tod Browning, 1932) et les films de Polanski et Buñuel. On y retrouve Thierry Van Werveke dans la peau du diable, à peine délivré d’une attraction foraine et qui va dès lors empoisonner la vie de son sauveur. Un rare exemple de vraie noirceur derrière l’imagerie bizarre et la comédie effrontée – et un rôle franchement emblématique, autant que méconnu, pour l’acteur fétiche de Bausch, disparu en 2009.
À l’instar de ce dernier, ils sont tous là, ou presque, les visages familiers du cinéma d’Andy Bausch : Marco Lorenzini est cet étrange facteur qui nous guide à travers les récits perdus de Letters Unsent, mais aussi le tueur au sang-froid de The Butcher; Hervé Sogne est le maquereau des héroïnes de Language School… Nilton Martins, pour sa part, est la vedette de trois films. Dont Freddie, une évocation poétique du tragique destin de Freddie Mercury, qu’Andy Bausch imagine en loge, avant un concert, seul avec son propre fantôme. Le rôle a été «un vrai challenge» pour l’acteur, qui s’est «préparé physiquement» pour prendre la silhouette du chanteur de Queen, avec un résultat impressionnant.
«Quand il écrit un scénario, il a toujours sa petite idée de qui il va prendre pour tel rôle», explique Nilton Martins. Mais, plus encore que les défis qu’imposent certains rôles (Freddie Mercury et le diable en tête), les films d’Andy Bausch se font dans le «plaisir de rassembler des gens qui aiment travailler ensemble et qui sont déterminés à le faire bien», poursuit l’acteur. Depuis qu’Andy Bausch lui a confié son «premier grand rôle au cinéma» dans Trouble No More (2010), il lui est toujours resté fidèle.
Le réalisateur défend lui aussi cet «aspect familial» qui, en plus de quarante ans et par la force des choses, a évolué et s’est renouvelé : dans les années 1980 et 1990, il a profité d’avoir «tourné des téléfilms un peu partout en Allemagne» pour «faire venir au Luxembourg des gens avec qui j’avais travaillé». «Pour Letters Unsent, poursuit Andy Bausch, j’ai fait venir deux grands acteurs allemands, Otto Sander et Karin Baal. Ils ont tous les deux joué gratuitement, pour un billet d’avion : parce qu’on aimait travailler ensemble.»
Tournée luxembourgeoise
Le programme Make It Short, copieux, s’inquiète autant de la valeur «historique» des films que de leur potentiel «divertissant». À ce titre, la véritable surprise, ce sont les publicités placées entre chaque court métrage, piochées parmi les «quelque 60 pubs que j’ai réalisées pendant toutes ces années», indique le réalisateur. Parodie des Blues Brothers pour les bus Demy, Thierry Van Werveke à la recherche d’une bière de fin de soirée pour finalement se rabattre sur une brique de lait dans un spot publicitaire très pop pour Luxlait, ou encore une très officielle et sérieuse campagne nationale contre le cannabis : il y en a pour tous les goûts, même les plus surprenants.
Comme pour le cinéma, cela s’explique par l’évolution d’un système, un changement de paradigme : «Dans le temps, faire de la pub, c’était autre chose : le client me contactait directement, il n’y avait pas trois agences de pub entre nous. Il me faisait confiance et il était content qu’Andy Bausch fasse sa pub», résume l’homme à la casquette. «Je suis réalisateur de cinéma depuis pas mal de temps, et pour vivre de ses projets de cœur, ça n’est pas évident. Idem pour mes acteurs : si ce sont eux qui jouent dans mes pubs, c’est parce qu’ils étaient contents de gagner un peu de fric.»
Auteur d’une quinzaine de courts métrages en tout, Andy Bausch aurait largement de quoi rempiler pour un Make It Short volume 2, mais balaye l’idée du revers de la main. «La plupart de mes autres courts ont été faits dans les années où je n’étais pas encore cinéaste professionnel. Ils ont sûrement un certain charme, comme One-Reel Picture Show (1984), un film muet basé sur une histoire d’Edgar Allan Poe, ou les premiers courts de Thierry…» Mais une rétrospective complète des courts métrages d’Andy Bausch n’est pas à attendre. «Pas du tout», même.
Avec la sortie en salle de Make It Short, Andy Bausch et Nilton Martins vont accompagner ce programme un peu partout dans les salles luxembourgeoises : ce soir au Ciné Scala, à Diekirch, puis à partir de la semaine prochaine à Bettembourg, Grevenmacher ou Wiltz, pour une tournée qui doit durer jusqu’à la mi-décembre. Puis Andy Bausch, 66 ans et infatigable, retournera à ses futurs projets : «un nouveau scénario» pour lequel il est en recherche de financement, «ce qui peut prendre des années», précise-t-il, et… une série tirée de son Troublemaker.
«Ce ne sera pas un remake, prévient Andy Bausch. L’idée est de garder l’univers, l’ambiance, les références, mais ce sera une toute nouvelle histoire.» Lui-même cocréateur et coscénariste, avec Govinda Van Maele et Roxanne Peguet, il dit n’avoir eu aucunement l’intention de réaliser ou produire la série. Plutôt, il s’assure que l’esprit originel ne se perde pas – dans ses mots, il «essaie d’être l’avocat du diable». Troublemaker – D’Serie a reçu en mars le soutien du Film Fund, mais «il reste encore du chemin à faire» avant de la voir sur les écrans, à l’horizon 2027. D’ici là, nul doute que les courts d’Andy Bausch auront aussi eu le temps de devenir cultes.
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