Satire décomplexée du monde du cinéma mettant en avant les luttes d’ego, Competencia oficial met en haut de l’affiche Penélope Cruz et Antonio Banderas, en roue libre.
C’est peut-être difficile à croire, mais avant qu’ils ne se retrouvent en haut de l’affiche pour Competencia oficial, Penélope Cruz et Antonio Banderas n’ont joué dans le même film qu’à deux reprises, dont une fois où les deux ne se croisent jamais, et l’autre avec une durée totale d’apparition ensemble à l’écran juste sous les deux minutes.
C’était Los amantes pasajeros (2013), réalisé par un Pedro Almodóvar qui, pour le film qui marquait son grand retour à la comédie débridée, s’était fendu d’un clin d’œil à ses deux muses de cinéma (le réalisateur a tourné à huit reprises avec chacun des deux acteurs) en les faisant apparaître dans le costume de deux employés d’aéroport pas très pros. Dans l’autobiographique Dolor y gloria (2019), l’un devenait l’alter ego d’Almodóvar, tandis que l’autre était choisie pour incarner la mère du réalisateur. Jouant sur deux temporalités différentes, le principe même du film empêchait leur rencontre.
Deux icônes du cinéma espagnol
«On ne nous avait même jamais proposé de projet ensemble, que l’un aurait pu faire mais pas l’autre», expliquait Penélope Cruz en juin, au New York Times. «Pedro nous raconte parfois des idées qu’il aimerait faire avec nous (…) mais nous ne savons jamais s’il plaisante ou si c’est une possible réalité.» Les deux icônes du cinéma espagnol, liées par une amitié longue de trente ans, partagent désormais l’affiche d’un film dont elles sont les stars, dans un trio complété par l’acteur argentin Oscar Martínez. Pas devant la caméra d’Almodóvar, donc, mais devant celle d’un duo argentin, Mariano Cohn et Gastón Duprat, dont les deux Espagnols avaient notamment adoré El ciudadano ilustre (2016), qui avait valu à Oscar Martínez le prix d’interprétation masculine à Venise.
L’industrie du cinéma (est) un monde subjectif dans lequel se trouvent beaucoup d’imposteurs
Si tout se recoupe, c’est parce que Competencia oficial (présenté à la Mostra de Venise 2021 et en ouverture du dernier LuxFilmFest) est autant une déclaration d’amour à ses acteurs qu’il est une charge féroce sur les travers du cinéma et les dessous de la création d’une œuvre.
Tout commence par le rêve d’un milliardaire, qui au crépuscule de sa vie veut «laisser une trace» dans l’histoire. Son idée : financer un film, mais pas n’importe lequel. Le meilleur. Le livre dont il a acheté les droits? Même pas lu. Mais en confiant la caméra à Lola Cuevas (Penélope Cruz), réalisatrice de génie, cela ne peut donner qu’un grand film. À son tour, Lola fait appel aux deux meilleurs acteurs de leur génération : le monstre de théâtre Iván Torres (Oscar Martínez) et la superstar internationale Félix Rivero (Antonio Banderas). Et le trio de s’embarquer dans dix jours de répétitions où les luttes d’ego prendront le pas sur le travail.
Antonio Banderas en version grotesque de lui-même
Pour Antonio Banderas, qui incarne une version grotesque de lui-même, «les arts, et en particulier l’industrie du cinéma, sont un monde subjectif dans lequel se trouvent beaucoup d’imposteurs». Le pari – réussi – des réalisateurs est de s’être inspiré de nombreuses personnalités qu’eux et les acteurs ont côtoyées, et d’avoir incorporé leurs travers et leurs sales manies dans un scénario pour faire rire. «Je crois que beaucoup de gens vont se reconnaître en regardant ce film», affirmait pour sa part Gastón Duprat; le cas échéant, «ils feraient mieux de ne rien dire».
C’est dire à quel point Competencia oficial est sans concessions. Son personnage de réalisatrice visionnaire à l’ego dévorant et à la crinière rousse défiant la gravité, Penélope Cruz l’a créé, comme ses collègues, à la façon «d’un Frankenstein», en «partageant les choses les plus étranges qui nous soient arrivées sur un plateau» de tournage.
On rit jaune de la mesquinerie de ces personnages
Tout ce que montre Competencia oficial n’est bien sûr pas vrai, mais on s’amuse à deviner la réalité derrière la comédie. Comme quand, à la première répétition, Félix Rivero martèle le charisme et la crédibilité avec lesquels il dira les répliques suffiront à faire croire que le personnage existe, plutôt que de perdre du temps à lui inventer un passé. Ou quand, en conférence de presse, le même Félix ment à un journaliste – à l’insu de la plupart des personnes présentes – pour faire une bonne promotion du film.
On rit jaune de la mesquinerie de ces personnages presque sympathiques, mais on rit aussi beaucoup lorsqu’ils sont ridiculisés, devant un Félix qui doit répéter la même ligne de dialogue en jouant graduellement l’ébriété, de presque sobre à totalement déchiré. Ou encore devant le duo d’acteurs ayant ramené leurs Golden Globes et autres récompenses pour les besoins d’un exercice, sans savoir qu’ils vont assister, impuissants, à leur destruction…
Voilà la satire d’un milieu d’affreux, de sales et de méchants, mais, en définitive, «le film décrit une partie de l’être humain», juge Antonio Banderas. «Dans ce cas, ce sont des acteurs, mais on pourrait très bien l’appliquer à la politique ou à n’importe quelle activité humaine.»
Competencia oficial, de Mariano Cohn et Gastón Duprat