Pour la première fois en dix-huit éditions, la Pologne est le pays invité du festival CinÉast, qui lui consacre son «plus gros focus jamais organisé» entre nouveautés, films de patrimoine… et coproductions luxembourgeoises.
«Fini les conneries, maintenant on entre dans l’âge adulte, c’est du sérieux!», rigole pourtant Radek Lipka, fondateur et directeur du festival CinÉast. Et pour cause : le deuxième évènement cinématographique majeur au Luxembourg – pas mal, pour un évènement focalisé sur les cinématographies d’Europe centrale et orientale – célèbre cette année sa 18e édition.
La majorité, donc, et la maturité, puisque le patron souligne la nécessité d’avoir «trouvé un souffle» à l’évènement, habituellement long, et qui, sous sa nouvelle forme, débutera officiellement demain soir après un «warm-up» le week-end dernier, entre concerts et premières projections, et qui se poursuivra onze jours durant. Une nécessité due, aussi, à la fermeture de la Cinémathèque de la Ville de Luxembourg, principal partenaire du festival et premier lieu de projections, qui a favorisé la tenue de cette nouvelle mouture plus dense, et qui déplacera les séances de la Cinémathèque dans l’auditorium du Cercle Cité (lire ci-dessous).
Cinémathèque : le «projet test»
Non, la fermeture de la Cinémathèque, début septembre, n’est pas près d’éteindre sa volonté de diffuser chefs-d’œuvre d’hier et pépites contemporaines. Le temple luxembourgeois du 7e art, partenaire de CinÉast depuis 2009 (la deuxième édition du festival), et dont il est le lieu de projections et de rencontres privilégié, reprendra du service dès cette semaine : l’évènement servira de «projet test» dans la reconfiguration temporaire de la Cinémathèque, selon Georges Bildgen, son nouveau conservateur, qui prendra officiellement ses fonctions au 1er janvier 2026 en remplacement de Claude Bertemes, parti à la retraite.
Pour les quatre années à venir, la Cinémathèque prend ainsi ses quartiers chez ses voisins du théâtre des Capucins, où se dérouleront également la majorité des séances du programme régulier à partir du mois de novembre. Mais avant cela, dans le cadre de CinÉast, les projections et rencontres habituellement accueillies à la Cinémathèque se dérouleront à l’auditorium du Cercle Cité, équipé pour l’occasion d’un vrai projecteur de cinéma. Pour ses «premiers pas» hors les murs, «on a tout fait pour améliorer la qualité de projection et nous rapprocher au maximum de l’expérience de la salle de cinéma», indique Georges Bildgen, qui ajoute que «les techniciens de la Cinémathèque et ceux du Cercle Cité ont travaillé ensemble» afin de mener au mieux cette entreprise.
CinÉast, qui prolonge depuis la pandémie son aventure en ligne avec un «Online Cinema», sera présent dans onze salles du pays et de la Grande Région. Le festival collabore également pour la première fois cette année avec le réseau Cinextdoor et s’invite dans quatre de ses huit cinémas : le CNA Starlight à Dudelange, la Scala à Diekirch, le Kinoler à Kahler et la Kulturhuef de Grevenmacher. Quant à la Cinémathèque, elle reprendra dès la fin de CinÉast sa programmation habituelle, qui se penchera en novembre sur la «trilogie du dollar» de Sergio Leone ou les films de Guillermo del Toro et d’Orson Welles, et inaugurera, pour célébrer son installation aux Capucins, une rétrospective au long cours sur le théâtre au cinéma.
Si cette édition promet encore de briller par sa richesse (65 longs métrages, 50 courts) et sa qualité – citons, entre autres temps forts, l’hommage rendu au cinéaste bosnien et président du jury Danis Tanović (No Man’s Land, Eyes of War…); la rencontre entre la ministre Yuriko Backes et la documentariste Alisa Kovalenko pour son film My Dear Theo, filmé sur le front ukrainien; le film de clôture, Mother, de Teona Strugar Mitevska, qui raconte une semaine décisive de la vie de Mère Teresa –, le véritable évènement dans l’évènement concerne le pays invité : la Pologne.
«On s’est nous-mêmes étonnés de ne jamais lui avoir réservé cet honneur» auparavant, concède Radek Lipka, lui-même polonais, qui souligne néanmoins avoir montré souvent et beaucoup des films de ce pays au sein du festival – d’ailleurs né dans la continuité de la Semaine du film polonais qu’il avait organisée en 2006. Mais cette année, c’est une tout autre affaire : CinÉast veut rattraper le temps perdu avec «le plus gros focus jamais organisé» sur un pays invité. Qui a d’ailleurs commencé le week-end dernier, avec l’inauguration d’une exposition, à l’Ancien Cinéma de Vianden, consacrée aux affiches polonaises de cinéma de 1960 à 1990 et leur langage visuel inventif et emblématique.
Au cœur de la forêt
Dans les chiffres, ce focus comprend quatorze longs métrages récents ou en avant-première, un «marathon» de plus de deux heures courts métrages allant de 1958 à 2020 (on y trouvera notamment des œuvres de jeunesse de Roman Polanski ou Krzysztof Kieślowski), une dizaine d’invités, des concerts (dont celui de clôture, aux Rotondes, avec le groupe folk Bubliczki), une «soirée polonaise» et deux rétrospectives. La première est consacrée à un géant du cinéma polonais, Wojciech Has (1925-2000), pour le centenaire de sa naissance – l’occasion de redécouvrir son œuvre culte et hallucinatoire The Hourglass Sanatorium (1973) –, la seconde met à l’honneur le duo formé par la cinéaste Malgorzata Szumowska et le chef opérateur Michal Englert, garants d’une nouvelle génération d’auteurs polonais, qui rencontreront le public de CinÉast autour de leur nouveau long métrage, All Inclusive.
Enfin, le festival présentera quatre longs métrages coproduits au Luxembourg, dont deux films polonais, marquant les «premiers rapprochements entre cinéma polonais et l’industrie luxembourgeoise depuis longtemps», note Radek Lipka. Dans ce sens, le film qui risque de faire du bruit s’intitule Winter of the Crow, un drame historique aux accents de film noir signé Kasia Adamik (lire ci-dessous).
L’autre, comme le précédent un film Iris Productions (ici producteur majoritaire), est le documentaire Whispering Forest : l’artiste polonaise installée au Luxembourg Katarzyna Kot et son collègue artiste Stéphane Guiran sont allés rencontrer des habitants au cœur de la forêt de Bialowieza, dernière forêt primaire d’Europe, pour cette quête poétique mise en musique par Pascal Schumacher. L’affiche de cette 18e édition, qui évoque le «road movie», ne trompe pas : du Luxembourg à la Pologne, CinÉast nous emmène en voyage.
Jusqu’au 26 octobre. www.cineast.lu
Cinq coups de cœur
CHOPIN, CHOPIN!, de Michal Kwiecinski. En ouverture du festival, ce biopic singulier explore la psychologie de Frédéric Chopin dans les quinze dernières années de la vie du pianiste. Avec un casting international, plus de 5 000 figurants et 16 millions d’euros de budget, le film est «la deuxième plus grosse production de l’histoire du cinéma polonais», indique Radek Lipka. Un véhicule idéal pour lancer cette édition.
FIUME O MORTE!, d’Igor Bezinovic. «O Fiume, o morte» était le cri de guerre de Gabriele D’Annunzio, poète et militaire italien ayant occupé en 1919 la ville de Rijeka (ou Fiume), revendiquée par Rome à la fin de la Première Guerre mondiale – car à majorité italophone – mais rattachée à la Yougoslavie. Un siècle plus tard, Igor Bezinovic reconstitue avec les habitants de la ville cet épisode oublié dans un docufiction étonnant reconstitué avec les habitants de la ville croate.
MR NOBODY AGAINST PUTIN, de David Borenstein et Pasha Talankin. Enseignant dans une école primaire en Russie, Pasha Talankin a documenté la propagande au sein de son établissement scolaire dès le lendemain de l’invasion de l’Ukraine : chants patriotiques, cours sur le maniement des armes à feu… Un documentaire à hauteur d’enfant, unique en son genre, filmé jusqu’aux derniers soupçons pesant sur le réalisateur, qui a dû fuir le pays avec ses rushes.
WINTER OF THE CROW, de Kasia Adamik. Une coproduction luxembourgeoise «suivie depuis trois ans» par le festival à travers sa plateforme de rencontres CinÉast Pro : ce thriller historique situé au moment de l’instauration de la loi martiale en 1981 en Pologne, compte notamment dans sa distribution la musicienne et actrice Sascha Ley, qui a loué la «chance» de tenir un «rôle d’antagoniste passionnant» face à l’actrice britannique Lesley Manville.
THE ALTAR BOYS, de Piotr Domalewski. Cagoulés, armés et dangereux : les enfants de chœur du nouveau film de Piotr Domalewski n’ont d’innocent que leur occupation du dimanche. Le reste du temps, ils se font justiciers, façon Robin des bois, portés par un code d’honneur et une rage rebelle, afin de faire régner la justice sociale que mérite leur paroisse.