Accueil | A la Une | [Cinéma] Chucky, l’horreur en miniature à la Cinémathèque

[Cinéma] Chucky, l’horreur en miniature à la Cinémathèque


(photo DR)

Ce samedi, la Cinémathèque diffuse à la suite deux films de la saga Chucky, la poupée la plus méchante du septième art. Focus sur ce petit jouet qui est devenu une icône pop trash.

Un jouet dangereux

Huit. C’est le nombre de films de la saga Chucky sortis jusqu’ici. Tout remonte à l’année 1988, avec Child’s Play (Tom Holland), un petit film d’horreur bricolo, fait de bric et de broc, qui, via sa forme, se trouve en osmose avec le sujet, en admettant que Chucky ressemble à une poupée «faite maison». Le pitch ? En tentant d’échapper à la police, Charles Lee Ray est tué dans un magasin de jouets, sauf que juste avant sa mort, le criminel injecte son esprit maléfique dans la poupée Chucky. Une femme offre ladite poupée à son fils, dont le nom est Andy, oui, comme l’enfant propriétaire de Buzz l’éclair et de Woody dans la célèbre saga de films sur les jouets Toy Story.

 

Mais si le ranger de l’espace et le cowboy facétieux sont les amis d’Andy pour la vie, dans Chucky, les rôles sont inversés : Andy joue avec Chucky, mais c’est Chucky qui, de façon malfaisante, joue avec Andy. Car Charles Lee Ray n’est qu’un triptyque de criminels américains : Charles renvoie à Manson, Lee à Harley Oswald et Ray à James Earl Ray.

S’il n’y a pas de quoi rire, il n’empêche que Chucky est aussi une parodie des poupées qui font office de jouets. Il s’agit du pendant sombre de Barbie, laquelle d’ailleurs n’aura droit à son adaptation que 35 ans plus tard (Barbie, Greta Gerwig, 2023). Même si la plus célèbre des poupées «jouait» déjà dans plusieurs Toy Story.

Poupées maléfiques

Chucky est l’illustration parfaite du «cadeau empoisonné». En replongeant dans les années 1980 et en prenant le concept dudit cadeau, de la créature fort mignonne en apparence qui est, en réalité, un danger public, il y a de quoi penser à Gremlins de Joe Dante (1984). Plus proche encore de l’image de la poupée, dix ans avant Chucky, il y a l’angoissant Magic de Richard Attenborough qui raconte l’histoire d’un ventriloque et de son extension diabolique – le marionnettiste, c’est la marionnette.

En resserrant le concept du film avec des poupées en tant qu’allégories du mal, Todd Browning, après Freaks (1932), réalise The Devil Doll (1937) – là, il est inutile de développer sur plusieurs lignes, puisque tout est dans le titre. La poupée serait en fait, à l’instar du clown, l’illustration du conseil qui dit qu’il ne faut pas se fier aux apparences. Chucky? Elle a des yeux d’ange, où se reflète un ciel pur et pourtant son âme est démoniaque.

Est-ce depuis Stephen King, qui a inventé Ça, que les clowns terrorisent? Ou est-ce que les clowns font naturellement peur, au point d’être des figures idéales de l’horreur ? Il s’agit, en tout cas, d’une phobie, nommée «coulrophobie», or la poupée inspire elle-même des sueurs froides à certains, on parle de «pédiophobie». Stuart Gordon en souffre, comme en témoigne l’origine de son film Dolls (1987).

Eh oui, le réalisateur se retrouve bloqué, un beau jour, dans le musée du Wisconsin, avec des poupées de porcelaine victoriennes; il vit un cauchemar éveillé, car il a l’impression d’être suivi du regard par ces petits visages poupons aux yeux troubles. Il n’est pas le seul du tout car la poupée continue d’être un argument de terreur, si l’on se réfère à Annabelle (John R. Leonetti, 2014) ou à Sabrina (Rocky Soraya, 2018). Ou même au film… Le Pari (Didier Bourdon et Bernard Campan, 1997), qui pourtant est une comédie. Mais quand les deux Inconnus se retrouvent dans la chambre de Laspalès entourés de poupées, c’est l’angoisse, et il conviendrait d’y accoler le terme «vaudous».

Humanisation de l’infernal

Au cinéma, il y a Dolls (Takeshi Kitano, 2002), un long-métrage poétique dans lequel les femmes seraient presque des poupées, comme il y a – pour rester au Japon – Air Doll (Hirokazu Kore-Eda, 2009), dans lequel cette fois-ci une poupée (gonflable) est considérée comme une femme. Oui, une poupée est, par définition, inanimée,  mais ce qui ne veut pas dire qu’elle est déshumanisée. Et ce qui est intéressant dans Chucky, c’est cette idée de faire d’un jouet un être «vivant», et de le rendre, par la même occasion, inhumain. Il s’agit aussi de retourner la situation, en prenant Chucky non pas comme l’archétype d’un être doux et docile, mais, pour paraphraser Michel Polnareff, comme «une poupée qui fait non».

L’idée de Chucky, c’est celle d’un seul homme : Don Mancini. Il est à la fois le «créateur» de la poupée et de la saga à succès, le responsable de huit scripts et de trois mises en scène. Traduction : si Chucky est une franchise d’exploitation, c’est, paradoxalement, l’oeuvre d’un auteur. Qui plus est, le CV de Mancini n’est composé… que des films Chucky.

Depuis 1988, ces films-là sortent, parfois directement en vidéo, parfois très vite des écrans. Mais peu importe : ce qui compte, c’est la poupée. Bien plus qu’en tant que symbole des traumas les plus enfouis ou davantage qu’un produit dérivé qui ressort des tiroirs poussiéreux les soirs d’Halloween, Chucky, c’est la fusion entre l’inoffensif et le déviant, une mascotte qui a droit en fin de compte à une réappropriation… humaine.

En effet, cette créature des ténèbres apparaît sympathique, à travers le prisme moins de la poupée vaudou que de la peluche doudou; elle concentre la somme, non plus de nos pires cauchemars, mais bien celle de nos instincts les plus «dark». Comme disait François Mauriac à propos de Françoise Sagan, Chucky est un «charmant petit monstre».

Fétiche trash

Selon ce raisonnement, on peut faire l’analogie entre la «poupée qui fait non, non», et la figure de la sorcière, largement réhabilitée en tant qu’icône féministe, et, en premier lieu, par Mona Chollet (Sorcières : La puissance invaincue des femmes, 2019). La sorcière a trop souvent été vue comme la «méchante», Chucky l’est, bien sûr, mais face au «sois belle et tais-toi» convenue d’une poupée, sa «punkitude» en doigt d’honneur s’avère jouissive. Si France Gall chantait Poupée de Cire Poupée De Son, Chucky est, pour citer le second volet de la saga, une belle «poupée de sang».

«La fille de Chucky si si/Je m’en fous du 69/Je veux juste du 666» : c’est ainsi qu’Antha, du duo rap-goth Orties, achève son couplet dans Plus putes que toutes les putes, une chanson qui se retrouve dans Grave (Julia Ducournau, 2016), comme s’il s’agissait d’un clip alternatif. Il s’agit surtout d’une intronisation de Chucky sur grand écran façon hommage subliminal.

Chucky enfin, c’est une voix, celle de Brad Dourif, elle est quasi aussi «parlante» aux yeux et aux oreilles de la pop culture que le grain d’outre-tombe de Vincent Price dans la vidéo du Thriller de Michael Jackson. Et la voix de Chucky, en plus de ses mimiques, fait penser à Mathilde Fernandez d’Ascendant Vierge, quand cette dernière fait un numéro la ventriloquie. Autre exemple pour finir, concernant les images de poupées méchantes dans le metal, il faut bien rendre à la Chucky ce qui appartient à Chucky. Autrement, elle va faire un carnage.

«Chucky Double Bill» Avec Child’s Play (1988)  & Child’s Play 2 (1990). Samedi à partir de 18 h. Cinémathèque – Luxembourg.