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[Cinéma] À Fameck, le cinéma pour «comprendre» Gaza


Le film From Ground Zero, une anthologie de 22 courts métrages palestiniens, témoigne qu’en temps de guerre, l’art est un élément essentiel à la survie. (Photo : coorigines production)

Comment se positionner en tant que festival face à la guerre à Gaza, et comment choisir de la représenter ? C’est la question à laquelle répondra le festival du Film arabe de Fameck, du 2 au 12 octobre, avec neuf films sur le sujet.

En 36 ans d’existence, le festival du Film arabe de Fameck n’a jamais manqué, à travers sa programmation ou par son existence même, de refléter les enjeux politiques et humains des pays arabes, et de militer dans ce sens. Un exemple : en 2023, le séisme au Maroc, pays invité du festival moins d’un mois après la catastrophe, a transformé l’évènement en «un soutien supplémentaire», déclarait alors Mahjouba Galfout dans nos colonnes, avec notamment un appel aux dons pour soutenir la région. Un contre-exemple : en 2006, année de la prise de fonction de la programmatrice et coordinatrice générale, c’est le conflit entre Israël et le Liban qui a forcé l’équipe à raboter le programme, entre des invités dans l’impossibilité de se déplacer et l’indisponibilité de nombreux films prévus.

Cette année, la guerre à Gaza, en cours depuis le 7 octobre 2023, s’invite à la manifestation, qui se tiendra du 2 au 12 octobre, alors même que le sujet est partout dans les débats publics et dans la communauté internationale (dont le Luxembourg, qui a annoncé mardi son intention de reconnaître l’État de Palestine en marge de l’Assemblée générale de l’ONU la semaine prochaine). Avec neuf longs métrages, toutes sélections confondues, qui traitent la question palestinienne de près ou de loin (lire encadré), «notre programmation a d’autant plus de sens», glisse Mahjouba Galfout.

«Éducation à l’image»

«Le cinéma, c’est une arme. Faire de la programmation, c’est politique : choisir un film, ce n’est jamais anodin», insiste-t-elle. Mais réfute fermement tout «parti pris», soulignant plutôt que les films choisis «permettent de mieux comprendre le monde actuel». «Le festival, c’est un moment de paix, un espace d’échange, de compréhension, d’ouverture aux autres, de prise de distance, de confrontation de points de vue, tout cela à partir d’œuvres qui font du cinéma, dans des pays souvent et malheureusement en guerre comme ceux que nous représentons, un art de la résistance.» C’est aussi flagrant dans le documentaire Put Your Soul on Your Hand and Walk, dont le tournage s’est terminé avec la mort de son sujet, la photographe Fatem Hassouna, dans une frappe israélienne le 16 avril dernier, que dans le film d’animation Wardi, qui explique la longue et douloureuse histoire des réfugiés palestiniens. Dans un cas comme dans l’autre, «ce qu’on fait, c’est de l’éducation à l’image», martèle la programmatrice.

Le cinéma, c’est une arme. Faire de la programmation, c’est politique

Le festival n’est «pas allé intentionnellement», pas plus cette année que lors des éditions précédentes, «chercher des films qui parlent de la Palestine», précise Mahjouba Galfout : «On visionne les films au fur et à mesure qu’on les reçoit ou qu’on les découvre en festivals, et on s’est rendu compte qu’il y en avait beaucoup cette année qui traitaient de ce sujet, et pas nécessairement de cinéastes palestiniens.» Et si leur importance numérique est à voir comme une preuve évidente de la mobilisation générale autour de l’urgence de la situation à Gaza, l’équipe du festival a tenu à resserrer cette représentation autour de longs métrages «singuliers» et «audacieux», comme en contre-jour de l’actualité. «On croise les regards et les formes, abonde Mahjouba Galfout, avec ces œuvres qui, en fin de compte, se complètent, puisqu’on a des angles très divers, l’historique, le géopolitique, le sociétal, l’humain… Il y a tous les niveaux de récits, et cela illustre aussi la complexité du sujet.»

«Au-delà des clivages»

La présidente du festival, Brigitte Vaïsse, souligne pour sa part la «grande humanité» qui se dégage des longs métrages en question : «Ce sont des récits ou des témoignages qui nous amènent à réfléchir et à en parler, et c’est ce qu’on veut.» Dans certains cas, il y a également la «volonté de donner la parole aux Palestiniens»; en d’autres termes, le festival assume un rôle de plateforme pour des voix «qui manquent cruellement dans les médias» qui, paradoxalement, n’ont jamais autant parlé des massacres de civils à Gaza. «On parle de création artistique, poursuit Brigitte Vaïsse. On est loin des prises de position très émotives que déclenchent les infos, de même qu’on est loin des images choisies par les médias parce qu’elles doivent choquer.» Pour Mahjouba Galfout, ces deux façons d’évoquer la guerre à Gaza évoluent sur des «lignes parallèles» qu’il est nécessaire de confronter : d’un côté, «30 secondes d’images balancées tous les soirs aux infos (…) sans en donner les clés» pour autant, et de l’autre, «une expérience collective d’immersion, deux heures durant, dans une problématique».

L’accent est mis sur ces «expressions artistiques au-delà des clivages», et Brigitte Vaïsse se félicite de n’avoir «jamais eu de problèmes» quant à la représentation de la question palestinienne au sein de l’évènement, dont l’ONG France Palestine Solidarité est un partenaire de longue date. Mais «dans le climat actuel», Mahjouba Galfout et son équipe de programmateurs bénévoles ont «pu avoir parfois l’impression de s’autocensurer : il y a 15 ou 20 ans, on avait beaucoup plus de facilité à sélectionner des films et à débattre, tandis qu’aujourd’hui, on prend le temps, on réfléchit, on trouve un cadre». Pour autant, la présidente assure qu’il en faudra plus pour entraver la liberté du festival, qui «refuse de se laisser contraindre par un environnement totalement délétère, violent et stigmatisant» – même si on a pu, par le passé, menacer l’évènement d’être privé de certaines subventions si la Palestine avait été le pays invité. «On n’en a jamais été à des levées de boucliers, rassure Brigitte Vaïsse, mais c’est lorsqu’on est au cœur des tensions, comme aujourd’hui, qu’il faut être attentif, tout en restant fidèle à notre objectif – la promotion de films fait par de jeunes cinéastes et souvent injustement distribués – et à notre ADN d’ouverture et de vivre-ensemble.» Pour rappel, ce festival «œcuménique» a été fondé en 1990 par Mario Giubilei, prêtre ouvrier catholique, et René Cahen, d’origine juive, dans une ville à majorité musulmane et maghrébine. Il y a de quoi donner à réfléchir.

Festival du Film arabe de Fameck, du 2 au 12 octobre.

Focus sur la Palestine

Avec neuf films au programme, c’est plus d’un quart des 35 longs métrages présentés cette année à Fameck qui aborderont le sujet de la Palestine et ses enjeux politiques, sociaux et humanitaires. Tour d’horizon.

EN IMMERSION

Au cœur du documentaire Put Your Soul on Your Hand and Walk, il y a la photographe Fatem Hassouna, qui témoigne de la violence de l’occupation de Gaza pour la cinéaste iranienne Sepideh Farsi. Pour sa sortie luxembourgeoise, le 1er octobre, le film sera accompagné au cinéma Utopia du vernissage d’une exposition des photos de Fatem Hassouna, tuée avec sa famille le 16 avril 2025 par une frappe israélienne.

From Ground Zero réunit 22 films courts (fiction, documentaire, expérimental, animation…), tous réalisés par de jeunes cinéastes palestiniens qui témoignent qu’en temps de guerre, l’art est un élément nécessaire à la survie.

EXILS

Le documentaire La Vie qui nous reste, premier film de la star tunisienne Dorra Zarrouk, suit les traces d’une famille gazaouie réfugiée en Égypte, entre éloignement et nécessité de se reconstruire.

Dans le film d’animation Wardi (Mats Grorud, 2018), une Gazaouie de 11 ans vivant dans un camp au Liban va découvrir sa douloureuse histoire familiale, racontée par trois générations de réfugiés.

Vers un pays inconnu, de Mahdi Fleifel, suit deux cousins palestiniens exilés à Athènes qui multiplient les combines afin d’obtenir un faux passeport pour l’Allemagne : un thriller social avec les codes du «buddy movie» américain. Le film sortira le 26 novembre au Luxembourg (avant-première le 10 novembre au Ciné Scala de Diekirch dans le cadre du cycle «Parmi nous – Unter uns»).

FICTIONS ET RÉEL

Les frères Arab et Tarzan Nasser livrent Once Upon a Time in Gaza, western moderne teinté d’humour noir, sur la trace d’un Gazaoui cherchant à venger la mort de son frère, tué par le Hamas. Prix de la mise en scène Un certain regard au dernier festival de Cannes.

Côté patrimoine, la projection le 4 octobre de Hanna K. (Costa-Gavras, 1983), film de procès dans lequel une avocate immigrée en Israël doit défendre un jeune Palestinien accusé de terrorisme, sera suivie d’une discussion entre Costa-Gavras et le journaliste Edwy Plenel autour de la représentation de la question palestinienne au cinéma.

FRESQUES HISTORIQUES

Un autre film de patrimoine, Leïla et les loups (Heiny Srour, 1984), narre le voyage intérieur d’une artiste à travers l’histoire de la Palestine et du Liban, pour en réfuter la version officielle, masculine et coloniale.

Porté par un casting international (Hiam Abbas, Jeremy Irons…), Palestine 36, d’Annemarie Jacir, retrace la préparation de la grande révolte arabe visant à créer un État indépendant, alors que le territoire est sous domination britannique. Le film représentera la Palestine aux Oscars 2026.