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Chorale d’entreprise, la polyphonie au travail


La chorale des Hôpitaux Robert-Schuman en plein concert pour les patients. Fanny Aymer est vêtue de noir, à gauche. (Photo : choral and company)

Fanny Aymer, passée par l’Opéra de Paris, a créé en 2020 au Luxembourg des chorales d’entreprise et des ateliers de team building musical. Elle vient d’obtenir un Benelux Enterprise Award.

Quel est votre parcours professionnel ?

Fanny Aymer : J’ai travaillé 23 ans à Paris dans de grosses entreprises, d’abord à l’Opéra de Paris, puis chez Orange en communication interne et RSE. Je suis arrivée au Luxembourg en 2019. J’ai des ascendances luxembourgeoises et lorraines, donc un lien d’affection particulier avec cette région. J’ai toujours rêvé d’être à mon compte, je me suis dit que c’était l’occasion de clore l’époque des grandes entreprises certes rassurantes, mais avec des fonctionnements assez hiérarchisés. J’ai décidé de créer une activité rassemblant ce que je sais et ai envie de faire, avec la conviction très profonde que le chant choral a beaucoup à apporter à l’entreprise. Choral and Company est née.

Pourquoi, dans une entreprise, participer à une chorale plutôt qu’à une séance de sport ?

Parce que c’est intergénérationnel et inclusif. Le chant choral développe la dopamine comme quand vous faites votre footing et diminue le cortisol. Vous stimulez aussi l’ocytocine, l’hormone de l’attachement et du lien social et, en fait, c’est une espèce, entre guillemets, de caresse collective. Vous êtes dans une activité de l’ordre de l’indicible, c’est-à-dire que vous partagez des émotions que vous n’avez pas besoin de verbaliser. Un lien très particulier se crée entre les participants parce qu’on a compris la puissance et la beauté de la musique, et on l’a fait ensemble.

Quel répertoire reprenez-vous ?

On explore le gospel, la chanson française, la pop, la variété internationale, les comédies musicales… J’ai toujours un premier rendez-vous avec l’entreprise qui me donne un peu des grandes lignes de répertoires. Elle peut avoir des attentes. Certaines ne veulent pas de classique ou au contraire en demandent. En fin d’année, pour intégrer la dimension interculturelle, on va par exemple chanter Douce Nuit en français, allemand et luxembourgeois. On donne aussi des concerts pour les collègues ou les patients avec la chorale que j’anime en milieu hospitalier.

Concrètement, comment s’organise une chorale d’entreprise ?

On décide du créneau horaire, du jour. Il faut au moins huit participants pour débuter. On crée un groupe WhatsApp, déjà pour constituer un esprit de groupe, et je fournis pour tous les morceaux, pour chaque voix, les enregistrements des voix. C’est moi qui me déplace, cela économise du temps de transport pour les salariés. J’arrive avec mon piano, mes partitions, j’ai juste besoin d’une salle lumineuse de préférence, avec une prise de courant. Je ne suis pas un karaoké (elle sourit), il n’y a pas de musique enregistrée, c’est vraiment de la musique vivante. À la fin de la saison, on se produit pendant 20 à 30 minutes, on présente 7 à 8 morceaux, pas plus mais solides.

Vous insistez sur la polyphonie…

Oui. Alors ça peut être du deux, du trois, voire du quatre voix, ça dépend des forces en présence. Mais ce que je trouve intéressant avec la polyphonie, même si vous partez sur un canon, c’est que vous êtes vous-même, mais vous êtes différent de l’autre, que vous devez aussi écouter. Et quand ça sonne juste, je vois littéralement les regards se lever :  « ah, on l’a fait! ».

Je ne suis pas un karaoké

Vous refusez les solistes ?

Si les gens ont des voix plus travaillées, je les prends plus comme « locomotive ». Je ne veux pas que leurs voix sortent de l’ensemble. J’essaie de repérer si les participants ont d’autres cordes musicales à leur arc. Ça peut être une femme qui joue très bien du piano ou de la flûte traversière et nous accompagne le temps d’une chanson… Tout cela permet de changer le regard que l’on porte sur son collègue de la chorale.

Et les timides, les « je chante faux » ?

Il y a beaucoup d’autocensure héritée. Statistiquement, une petite minorité chante structurellement faux, mais 95 % de la population chante juste avec un peu de technique, en améliorant sa posture, son souffle, c’est comme tout, ça s’apprend. Je place les voix en mélangeant les chanteurs confirmés et débutants. Je dis aux personnes qui ne sont pas sûres ou qui chantent à côté : « écoutez d’abord votre oreille gauche, votre oreille droite, ensuite essayez de faire pareil. Et puis, ça vient ».

Un exemple parlant au Luxembourg ?

Cette année, j’ai proposé un projet à deux de mes chorales, celles de la Banque de Luxembourg et des Hôpitaux Robert-Schuman : deux univers très différents, deux concerts miroirs, quelques morceaux communs répétés séparément puis ensemble. Au final, on forme un grand chœur au-delà des secteurs d’activité, des métiers et des hiérarchies du monde professionnel.

Le team building, autre atelier que vous proposez, c’est la même chose ?

Non, c’est différent, vous êtes sans filet. Cela peut prendre la forme de modules de deux heures avec pause ou bien de pauses musicales lors de séminaires. On démarre par des canons (Frère Jacques fonctionne toujours pour la polyphonie), puis un morceau commun accompagné au piano. C’est très utile pour mélanger deux services qui ne collaborent pas facilement : on ne parle plus de la  »com » ou de la « compta », mais d’Isabelle et Fanny qui ont fait un truc ensemble.

Vous posez des garde-fous ?

Oui, trois pierres : joie, bienveillance et amour du travail bien fait. Des règles claires (personne ne commente la prestation d’un autre, je ne laisse pas un pupitre seul un quart d’heure pendant que je m’occupe d’un autre, etc.). Je ne parle pas de performance.

Fanny Aymer. Photo : choral and company

Combien ça coûte? Y a-t-il un retour sur investissement ?

Je ne publie pas de tarifs, ça dépend des formats et des demandes. Il y a plusieurs indicateurs clés performance et la voix est un instrument intime, on n’instrumentalise pas les gens. Mes indices sont sobres : je constate que les gens continuent année après année et sont de plus en plus nombreux.

Des limites que vous assumez ?

Bien sûr. Une chorale n’est pas un outil miracle ni un médicament contre tous les conflits en entreprise. Je ne promets pas de résoudre une tension précise. En revanche, je vois des équipes plus détendues, un réseau interne qui se tisse et des collègues qui se rencontrent alors qu’ils ne se seraient jamais croisés ailleurs.

Et l’award que vous avez eu, comment ça s’est passé ? 

J’ai reçu un mail en me disant que j’avais remporté le Benelux Enterprise Awards. Je me suis dit : « OK, qu’est-ce que c’est? » (elle rit). Plus sérieusement, c’est chouette. J’ai été très heureuse de cette récompense qui constitue un bel encouragement. Qu’extérieurement, il y ait des gens qui disent que ce que vous faites c’est bien, que ce soit par des témoignages de participants ou par une récompense, ce n’est que du bonus.

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