Rendre la musique accessible aux personnes sourdes et malentendantes, c’est possible. Le chœur luxembourgeois Voices International le prouve en chanson.
I Sing Because I’m Happy. Voilà un titre de chanson qui annonce la couleur. Un titre que le chœur Voices International compte bien prendre au pied de la lettre. Leur objectif : rendre un maximum de personnes heureuses en leur permettant d’accéder à la musique. Même les personnes sourdes et malentendantes, grandes oubliées des spectacles musicaux.
Il faut dire que lorsque l’on pense à la musique, on pense forcément à l’ouïe, le sens qui permet de percevoir les sons. Pourtant, la musique peut aussi être ressentie d’autres façons. C’est justement là tout l’enjeu du nouveau spectacle de Voices International, «Harmony of Senses».
«Les personnes sourdes ne peuvent pas entendre la musique comme une personne entendante, mais elles vivent la musique d’une autre façon, via les vibrations, les émotions qu’on transmet sur notre visage», explique Mélissa Fiegel, membre du chœur en charge de l’inclusion.
Alors, pour que ces personnes puissent profiter du spectacle comme les autres, le chœur l’a pensé comme une expérience «multisensorielle» où ouïe, vue et même toucher se donnent rendez-vous en harmonie.
Langue des signes
La première étape pour inclure les personnes sourdes et malentendantes dans un spectacle musical, c’est d’y incorporer la langue des signes. Voilà déjà deux saisons que le chœur le fait. «On a eu l’idée il y a cinq ans de ça, au début, c’est vrai que la chorale s’est demandé si ça avait vraiment du sens de signer une chanson», se remémore Mélissa.
Très vite, la réponse à la question s’est révélée positive. «Le but, c’était de rendre la langue des signes plus visible et de l’intégrer dans le monde de la culture.»
Pour concrétiser son projet, le chœur s’est tourné vers le Centre de logopédie. Ils s’occupent des enfants sourds scolarisés à l’école luxembourgeoise. Véronique Steinmetz y est interprète en langue des signes.
C’est elle qui les aide à signer l’une des chansons du spectacle. «J’ai reçu la chanson Still Still Still et j’ai partagé avec Mélissa Fiegel une vidéo de ma traduction et des photos des signes utilisés.»
L’interprète confie ne pas avoir été convaincue tout de suite par le projet… Jusqu’au moment où elle a été conviée à l’une de leurs répétitions : «On était vraiment ému et touché du nombre de personnes de cette immense chorale qui s’étaient déjà organisées à répéter cette chanson en utilisant les signes.»
Pour cette saison, c’est la musique I Sing Because I’m Happy que le chœur a choisi de signer. Les choristes, agencés en arc de cercle autour de leur chef de chœur, mettent du cœur dans leur répétition.
Alors que les voix s’élancent sur des notes de gospel joyeuses et chantantes, les mains s’élèvent vers le haut et commencent à signer en chœur avec les paroles. «On signe le mot qu’on chante et chacun signe sa partie. On maintient le signe en même temps qu’on maintient la note. C’est donc le tempo des signes qui s’adapte au tempo de la musique», précise Nicolas Bertrand, un choriste ténor.
Mais apprendre à signer une musique à 150 chanteurs ne marche pas sans ses petits couacs. Cette fois-ci, c’est l’un des signes qui pose problème. «Ce signe est faux, ça ne veut pas dire que l’on est heureux, mais qu’on appelle quelqu’un !», lance une chanteuse dans la salle de répétition.
Les réactions sont surprises et quelque peu perdues. James Libbey, le chef de chœur, reste pro. «Très bien, alors on vérifiera ça auprès de nos interprètes et on corrigera pour les prochaines répétitions», répond-il, non sans une pointe d’enthousiasme.
Et autres technologies
La langue des signes n’est pas le seul moyen pour inclure les personnes sourdes et malentendantes. Certaines technologies le permettent aussi. «On va par exemple essayer d’utiliser des sacs à dos connectés aux instruments qui amplifient les vibrations du concert», explique Mélissa.
Le chœur travaille sur ce projet de «subpacs» pour le rendre accessible le plus vite possible. Si ce n’est pas pour cette saison, ce sera pour la prochaine.
De son côté, le chef de chœur travaille avec ses élèves sur le logiciel Music:Eyes qui traduit la musique en image. Le logiciel prend le tempo et les rythmiques pour en faire des animations colorées.
D’abord utilisées comme un outil d’apprentissage de la musique, les vidéos permettent aussi aux personnes malentendantes de se représenter les chansons autrement. «Ça permet de lire la musique sans avoir besoin de savoir lire les notes.» Cette saison, trois chansons du spectacle auront droit à leurs visuels.
«Notre idée, c’est vraiment de rendre la musique accessible au plus de personnes possible, et d’en faire profiter à des personnes qui, d’habitude, ne sont pas la cible première des chansons», conclut Nicolas.
Le spectacle «Harmony of Senses» du chœur Voices International est prévu le 16 juin à 17 h au grand auditorium de la Philharmonie à Luxembourg. La billetterie est complète.
Un chœur «à l’image du Luxembourg»
La chorale Voices International a fait de sa multiculturalité sa force et son originalité.
Son nom «Voices International» ne vient pas de nulle part. Le chœur compte 150 membres de 39 nationalités différentes. Et ses choristes sont tous d’accord pour dire que c’est ce qui fait sa force. «Je pense que cette chorale a du succès parce que justement, elle est multiculturelle», confie le choriste Nicolas Bertrand, non sans une pointe de fierté dans la voix.
Cette diversité culturelle procure la même émotion chez sa collègue ténor Mélissa Fiegel : «Pour moi, c’est vraiment à l’image du Luxembourg. C’est ça que j’adore dans ce pays. C’est la preuve que ça peut fonctionner, qu’en mettant plein de gens d’horizons différents ensemble, on peut en faire un truc beau à la fin.»
La multiculturalité du chœur permet à ses membres d’apprendre des langues, des habitudes, des coutumes… Et aussi de se régaler. «Lorsqu’on répète le samedi, on finit par un repas participatif où chacun amène un plat de sa région ou de son pays», ajoute Nicolas.
Un répertoire varié
Ce soir-là, le chœur répète pour le Gala de l’inclusion. Les membres commencent par un échauffement physique de la voix avant de se lancer dans le vif du sujet. Après quelques musiques en anglais, les voix commencent à s’harmoniser d’une puissance nouvelle sur une musique bien particulière : Temen Oblak. Pas d’anglais cette fois-ci, mais du bulgare.
«On chante dans beaucoup de langues différentes», explique Nicolas. Bulgare, espagnol, français et même latin… Il y en a pour tous les goûts. «La langue ne sera jamais une limite pour notre chef de chœur.» Ce dernier le confirme. «C’est intéressant d’explorer tous les genres et langages du monde.» Pour le chef de chœur, ne chanter qu’un répertoire classique, occidental et anglophone est ennuyant. «Je préfère l’exploration musicale du monde !»
Pendant la répétition, Nicolas prend un temps pour regarder son chef de chœur diriger l’ensemble. «Depuis que James est là, la chorale a grandi. Il a apporté son contact humain, son expérience et sa vision artistique moderne !»