Craft et compagnie est une société luxembourgeoise qui met en avant les meilleurs champagnes produits par des vignerons indépendants, souvent jeunes, qui révolutionnent le marché.
Agnès et Sébastien Rouillaux ont posé leurs valises en 2016 au Grand-Duché avec une ambition parfaitement définie : promouvoir et faire partager les pépites de la Champagne. Autoproclamés «éditeurs de champagnes d’artisans vignerons d’exception», les fondateurs de Craft et compagnie ont présenté il y a dix jours deux producteurs (Raphaël Bérêche et Aurélien Gerbais) en même temps que Martin Cubertafond, maître de conférence à Sciences-Po Paris, spécialiste du marché mondial du vin. Car ces vignerons indépendants qui ont fait le choix de l’excellence sont en train de redéfinir le marché des bulles les plus célèbres du monde.
Tous deux sont jeunes, posés, visiblement sûrs du chemin qu’ils empruntent mais également empreints d’humilité devant les terroirs et ce que la nature peut offrir. Aurélien Gerbais (champagne Gerbais à Celles-sur-Ource, dans la Côte des Bars) et Raphaël Bérêche (champagne Bérêche et Fils à Ludes, au nord de la Montagne de Reims) sont les exemples parfaits d’une orientation très haute couture prise par la Champagne depuis plusieurs années.
«Au plus près de l’expression du sol»
Leur but n’est pas d’abreuver les rayons des supermarchés, ils n’ont de toute façon pas la surface de vignes pour les alimenter. Héritiers de domaines qui ont décidé de produire leurs propres bouteilles plutôt que de vendre leurs raisins aux grandes maisons ou aux coopératives, ils ont renforcé cette même inclinaison en recherchant, toujours et encore, à produire des vins qui soient le reflet le plus juste possible de l’interconnexion entre le sol, le climat et les cépages.
«Nous mettons en valeur les lieux que nous travaillons et pas notre marque ou notre « patte », sourit Aurélien Gerbais. Notre motivation, c’est d’aller au plus près de l’expression du sol.» Son domaine est situé tout au sud de l’aire d’appellation du Champagne et cela n’est pas sans effet sur l’identité du domaine. Longtemps ostracisés par rapport à Épernay et Reims, les vignerons de la Marne n’ont pas la même culture de la vigne.
Comme la majorité de ses collègues et voisins, Aurélien Gerbais a étudié à Beaune où la culture des climats et la mise en valeur des caractéristiques de chaque parcelle d’un vignoble sont érigées en religion. À mille lieues, en somme, de la production d’un brut sans année générique qui peut être très bon, mais qui préfère exprimer le style d’une maison plutôt que l’origine des raisins.
Sa cuvée Grain de Celles est un exemple de fraîcheur et d’énergie. Peu dosée (c’est un extrabrut), parfaitement balancée, elle exprime très clairement la minéralité du kimmeridgien en sous-sol, le même substrat qu’à Chablis situé tout près. «Cette cuvée est un assemblage de 50 % de pinot noir, 25 % de chardonnay et 25 % de pinot blanc de vignes âgées d’une quarantaine d’années qui proviennent de vingt parcelles de Celles-sur-Ource», précise le vigneron. Ce pinot blanc, traditionnel au Grand-Duché mais beaucoup plus rare en Champagne, est une originalité portée fièrement par le domaine depuis des décennies. Tous les raisins qui composent le Grain de Celles ont été vendangés en 2016.
«Une approche plus paysanne»
Dans la même veine, Raphaël Bérêche prône «une approche plus paysanne du champagne». «Nous élaborons des produits agricoles, rares, précieux et nourrissants, ajoute-t-il. Qui plus est, nous avons la chance de profiter de magnifiques terroirs et d’une Appellation d’origine contrôlée très connue. Il faut en profiter pour ne pas partir sur l’idée de produire un champagne pour tout le monde, mais plutôt un produit qui reflétera parfaitement son origine. Quitte à ce qu’il coûte un certain prix.»
Son Brut réserve est une cuvée prestigieuse. «Elle provient de trois terroirs : la Montagne de Reims, la Petite Montagne de Reims et Mareuil, dans la Marne», détaille-t-il. Ses 35 % de vins de réserve lui offrent une assise solide et une grande présence en bouche. «Je suis conscient de ne pas être là pour plaire à tout le monde et je l’assume car je ne veux pas lisser les choses, avance Raphaël Bérêche. La fermentation se fait sur levures indigènes et je ne force pas la vinification. Ce qui m’intéresse, c’est d’abord de produire du vrai vin qui me permettra de faire du champagne. Et, par la force des choses, il n’aura pas nécessairement le même goût d’une année sur l’autre.»
Si la voie empruntée par ces deux vignerons n’est assurément pas la plus simple – ils relatent de concert le stress provoqué par les risques financiers qu’ils ont pris –, ils ne peuvent aujourd’hui que s’en réjouir. La presse spécialisée les encense, les marchés à l’export s’ouvrent à eux (New York les adore) et il ne fait aucun doute que, dans les pas d’un Anselme Selosse, ils font aujourd’hui partie du renouveau de la Champagne.
De notre collaborateur Erwan Nonet