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CFL : «On va effectuer un saut de qualité»


Marc Wengler qualifie d’«effrayante» la situation sur le marché de l’énergie. «Les CFL sont en fin de compte confrontés aux mêmes problèmes que bon nombre d’autres industries», souligne le directeur général.

Marc Wengler, le directeur général des CFL, dresse un état des lieux des travaux d’envergure sur le rail. La multiplication des chantiers est nécessaire, selon lui.

Barrage de tronçons. Travaux d’urgence. Trains bondés. Éboulement dans un tunnel. Les Chemins de fer luxembourgeois (CFL) vivent une période mouvementée. Leur directeur général, Marc Wengler, revient sur cette lourde actualité, avec la promesse qu’à terme l’offre et la capacité du service ferroviaire vont nettement s’améliorer. La flambée des prix de l’énergie, et plus particulièrement de l’électricité, constitue le prochain défi majeur.

L’été a été très chargé pour les CFL. La cause en est la multitude de chantiers, avec des barrages de lignes entières. Comment s’orchestrent ces travaux d’envergure?

Marc Wengler : Ces travaux sont d’envergure, car on se trouve dans une phase de rattrapage. Les investissements dans le rail ont été placés ces dernières années à un tout autre niveau. Sous l’impulsion de François Bausch, le ministre de la Mobilité et des Travaux publics, d’importants moyens financiers ont été débloqués. Cet investissement massif est dû au fait que le réseau ferroviaire est arrivé au bout de ses capacités. Surtout aux heures de pointe, il était complètement saturé. Impossible, donc, de faire rouler plus de trains et de tenir compte de l’augmentation, sur ces 10 ou 15 dernières années, de 80 % du nombre de clients. Les moyens supplémentaires ont déjà permis d’investir dans du nouveau matériel roulant, avec à la clé une forte augmentation de la cadence des trains. À un moment, on touche toutefois au bout avec une infrastructure qui a aussi ses limites. Tout cela nous amène à cet énorme programme d’extension et de modernisation, lancé il y a quelques années.

Quel bilan intermédiaire pouvez-vous tirer de ces travaux?

D’importants jalons ont déjà pu être posés. Je citerais la mise en service, en 2017, de la gare Pfaffenthal-Kirchberg et du funiculaire ou encore le nouveau viaduc au nord de la gare de Luxembourg qui a permis de dédoubler les voies en direction de Sandweiler. Fin 2021 sont venus s’ajouter les deux nouveaux quais à la gare centrale. La forme en étoile du réseau avec la gare de Luxembourg comme point central ne facilite pas son organisation. Avant la mise en service des deux nouveaux quais, on disposait uniquement de quatre quais pour gérer six grandes lignes. L’envergure des travaux est historique. Une gare comme celle de la capitale, on y touche peut-être une fois tous les 100 ans. La tête nord a été complètement réaménagée en 2021. Avec un léger retard, dû à des pénuries de matériaux, la nouvelle tête sud sera achevée en novembre.

Pouvez-vous détailler davantage les objectifs fixés pour le réseau de demain?

Tous ces travaux contribuent à mettre en œuvre une tout autre vision d’exploitation du réseau. L’idée est d’attribuer un quai spécifique à chaque ligne que nous exploitons. Il est aussi prévu de fusionner les lignes venant d’Esch-sur-Alzette et allant vers Troisvierges. Les clients pourront alors voyager du sud vers le nord et vice versa sans devoir changer de train à Luxembourg. Toutes les autres lignes pourront être desservies séparément, ce qui n’est pas le cas aujourd’hui. L’objectif est de défaire le nœud qui existait en gare de Luxembourg. À une moindre échelle, le même exercice est effectué dans les gares d’Ettelbruck et de Rodange. Tout cela doit éviter l’effet boule de neige dès qu’un train est retardé ou tombe en panne. Les simulations réalisées démontrent que l’on va pouvoir effectuer un saut de qualité.

Le grand défi est que tous ces travaux doivent être réalisés sans couper l’ensemble du trafic ferroviaire

En attendant, les voyageurs doivent encore souvent s’armer de patience…

Le grand défi est que tous ces travaux doivent être réalisés sans couper l’ensemble du trafic ferroviaire. Il est plus simple de construire une toute nouvelle ligne que de moderniser et étendre un tronçon existant, même si des répercussions ne sont pas totalement à exclure. Les travaux en gare de Luxembourg ne peuvent être réalisés qu’en période d’exploitation du réseau. Cela a une grande influence sur l’organisation et le planning. Nous tentons de choisir des plages pour les travaux où l’affluence et la fréquentation des trains sont moins importantes. En toute logique, il s’agit des week-ends et des périodes de vacances scolaires, y compris pendant les vacances d’été, dont on profite depuis plusieurs années déjà pour couper des tronçons entiers. Ce sont aussi les périodes où il est possible de mettre en place des bus de substitution. En temps normal, cela n’est plus possible, car il n’existe ni assez de bus ni assez de chauffeurs pour compenser la capacité des trains.

La planification est-elle suffisamment bien coordonnée avec les chemins de fer voisins et les Ponts et Chaussées?

Les travaux que nous effectuons nécessitent jusqu’à deux ans de préparation. Une des particularités de notre réseau est que la moitié du trafic est transfrontalier. Cette caractéristique nous différencie fortement d’autres réseaux ferroviaires. La concertation est donc indispensable. Et oui, il faut aussi se concerter avec les Ponts et Chaussées. Un chantier comme l’extension du pont Büchler, à l’entrée de la gare de Luxembourg, nécessite aussi la coupure du trafic ferroviaire, sans que le projet ait un lien direct avec le rail.

La qualité du service ne souffre-t-elle pas trop de cette succession de chantiers?

Nous ne sommes pas dans une situation où l’on construit des infrastructures qui vont pleinement servir dans 20 ans. On est ainsi confronté au double défi de réaliser des travaux d’envergure historique sans que la qualité de l’offre ne souffre trop lourdement. À terme, les capacités supplémentaires que nous allons nous donner vont permettre d’améliorer la qualité. En cas de perturbation, elle pourra être plus rapidement et facilement compensée. La ponctualité va aussi augmenter. En parallèle, les gares sont rénovées. Le service au client est amélioré grâce à l’équipement de l’intégralité de nos arrêts et gares avec les panneaux d’affichage électroniques du type Auris, couplés aux annonces acoustiques automatisées. L’information est donnée en temps réel.

Une hausse des capacités du réseau nécessite aussi davantage de matériel roulant. Quel est le calendrier de livraison des nouvelles motrices?

Mi-2023 sera livré un premier lot de 34 nouveaux trains. L’arrivée de ces nouvelles motrices représente un gain net de 46 % de capacités de transport de voyageurs. Cette seule commande représente un véritable saut quantitatif en termes de capacités, mais aussi une amélioration du confort et du service. Les nouveaux trains seront équipés de compteurs automatisés. Par le biais de notre système Auris, on pourra alors informer les voyageurs des compartiments dans lesquels se trouvent des places libres.

Beaucoup de critiques sont formulées par les navetteurs du sillon lorrain. Les trains seraient trop bondés aux heures de pointe, les retards et annulations seraient trop fréquents. Que leur répondez-vous?

Sur la ligne en direction de Thionville, les capacités ont, ces 15 ou 20 dernières années, été considérablement revues à la hausse. Aux heures de pointe, la fréquence est passée à un train toutes les 10 minutes. Il faut néanmoins savoir que les lignes venant de France et d’Esch-sur-Alzette se croisent à Bettembourg. Le goulot d’étranglement qui se forme est la raison pour laquelle une nouvelle ligne est en cours de construction pour relier Bettembourg à Luxembourg. Après la gare de Luxembourg, des travaux d’extension sont aussi prévus à la gare de Bettembourg. Voilà donc la réponse que je peux apporter. Dans une phase intermédiaire, il est envisageable de profiter des quais prolongés pour faire circuler des trains plus longs. Le grand saut n’arrivera toutefois qu’au moment de la mise en service de la nouvelle ligne, qui sera en principe destinée aux trains du sillon lorrain ainsi qu’aux TGV. Le potentiel en termes de capacités pourra être doublé. Néanmoins, il existe aussi des préalables qui seront à respecter du côté français.

Pouvez-vous avancer une date pour l’ouverture de ce nouveau tronçon?

Tout d’abord, le très impressionnant pont bow-string assemblé au bord de l’A3 sera poussé au-dessus de l’autoroute. L’opération, très spectaculaire, est prévue pour le week-end des 8 et 9 octobre prochains. Le tronçon proprement dit doit être achevé, du moins techniquement, pour 2026. Après une phase de tests et une période de formation, l’exploitation commerciale devrait être lancée fin 2026 ou début 2027.

Les CFL recrutent très activement et restent un des principaux employeurs du pays. Trouvez-vous toujours la main-d’œuvre nécessaire à votre développement?

Pour l’instant, nous parvenons toujours à trouver les candidats dont nous avons besoin. La tendance se confirme toutefois qu’il devient de plus en plus compliqué de recruter dans certains domaines. Nous recrutons depuis plusieurs années déjà quelque 400 personnes par an. Il s’agit d’un chiffre assez conséquent. Et les recrutements se font dans une large panoplie de métiers. On parle bien évidemment des tâches classiques telles que celles de conducteur ou d’accompagnateur de train. Mais on a aussi besoin de personnes dans le domaine de l’informatique, de la gestion administrative, de la logistique, de techniciens et de plein d’autres métiers de l’artisanat. Nous avons d’ailleurs commencé à former nous-mêmes nos artisans, à l’image de ce qui se faisait à la Léierbud, la formation professionnelle dans l’industrie. On a créé un véritable campus où l’on accompagne activement l’apprentissage. Cela illustre nos efforts, car nous savons bien qu’il ne deviendra pas plus évident de recruter sur le marché du travail traditionnel.

Le rail joue un rôle prépondérant dans la transition écologique. Comme bon nombre d’autres secteurs, il est néanmoins confronté à l’actuelle explosion des prix de l’énergie. Quel impact financier et opérationnel peut avoir la hausse, notamment, des tarifs de l’électricité?

La situation est effrayante. Il faut néanmoins différencier en fonction des activités, qui sont très variées au sein des CFL. Si on prend le service public, le prix de l’électricité représente pour l’instant moins de 10 % des frais d’exploitation. Si le prix est multiplié par dix ou quinze, l’impact sera tout autre. Nous avons néanmoins la chance d’avoir négocié un contrat d’approvisionnement sur quatre ans, qui couvre encore cette année 2022. Cela ne change rien au fait que l’on est fortement préoccupé par la flambée des prix de l’énergie. La spéculation domine sur les marchés énergétiques. Il est, donc, très compliqué de négocier et signer un contrat pluriannuel convenable. Il faut vraiment observer quelle sera l’évolution de la situation. Les CFL sont en fin de compte confrontés aux mêmes problèmes que bon nombre d’autres industries. D’ailleurs, l’industrie est aussi un de nos clients chez CFL Cargo. Si la production est freinée, cela aura aussi un impact sur nous. Le camp politique doit agir, notamment en ce qui concerne le mécanisme de fixation des prix de l’électricité.

«Sur la ligne en direction de Thionville, les capacités ont, ces 15 ou 20 dernières années, été considérablement revues à la hausse», fait remarquer Marc Wengler. (Photos : alain rischard)