À 81 ans, il reste le coureur luxembourgeois ayant réalisé la meilleure performance dans Paris-Roubaix depuis l’après-guerre (18e en 1971). Simple anecdote. Mais évidemment, c’est en menant au succès Luis Ocana sur le Tour que le père de Frank et Andy Schleck a fait carrière.
Votre plus belle victoire ?
Johny Schleck : Je n’en ai pas eu beaucoup, mais la plus belle, c’est l’étape au Tour d’Espagne en 1970. J’étais échappé avec un groupe. Luis Ocana, mon leader, était derrière, avec le maillot jaune. Ils m’ont sifflé pour que j’arrête mon effort, mais je me sentais tellement bien que je voulais remporter l’étape et je n’ai pas obéi. J’ai lâché (Guido) Reybrouck, qui était un bon sprinteur, et trois autres coureurs et j’ai gagné cette 12e étape disputée entre Calatayud et Madrid (204 km). J’avais remporté l’étape reine du Tour d’Espagne, mais le soir, on ne m’a pas félicité, car je n’avais pas respecté les consignes. J’étais isolé. C’est peut-être bien la seule fois de toute ma carrière où je n’avais pas obéi à mon directeur sportif.
Le coureur perdu de vue que vous aimeriez revoir ?
J’en ai revu beaucoup, mais j’avais un bon copain de l’équipe Bic, le Français Anatole Novak (vainqueur de Paris-Luxembourg 1966, d’une étape du Tour en 1961 et d’une étape du Tour d’Espagne en 1970), que j’aurais aimé revoir (il est décédé en 2022). J’ai revu des copains comme Jan Janssen (vainqueur du Tour de France 1968), Roger Rosiers (vainqueur de Paris-Roubaix 1971). J’ai revu Jean-Marie Leblanc (l’ancien patron du Tour de France avec qui Johny Schleck courait chez Bic) voici deux ans déjà, lors d’un anniversaire chez Jan Janssen.
La plus grosse bagarre sur un vélo ?
C’était l’étape Orcières-Merlette-Marseille (12e étape du Tour de France 1971), où Eddy Merckx avait attaqué Luis (Ocana) qui avait le maillot jaune depuis deux jours. On était à deux minutes et demie derrière. Dans l’échappée d’une dizaine de coureurs, Merckx avait deux coéquipiers avec lui. On avait roulé tellement vite, à 49 km/h, qu’à l’arrivée à Marseille, il n’y avait personne, on avait plus d’une heure d’avance.
Le plus grand champion avec lequel vous avez couru ?
Eddy Merckx et Jacques Anquetil. Eddy, c’était un bagarreur, comme l’est aujourd’hui (Tadej) Pogacar. Il voulait tout gagner, sur tous les terrains. Ils sont toujours là pour gagner, pas pour s’entraîner. Sur chaque course, ils jouent la gagne. Jacques Anquetil était plus calme. Il préparait ses objectifs et lui ne pensait qu’aux grands tours. Il a fait sa carrière là-dessus et cela lui a bien réussi.
Dans la descente du mont Ventoux, lors du Tour de France 1967, je suis rentré dans un rocher. Mon vélo était foutu, mais je n’avais rien
Votre plus grande frayeur ?
Dans la descente du mont Ventoux, lors du Tour de France 1967, je suis rentré dans un rocher. Mon vélo était foutu, mais je n’avais rien. J’ai attendu un quart d’heure avant que mon coéquipier, le Suisse Bernard Vifian (le Tour 1967 se disputait par équipes nationales et Johny Schleck, tout comme Edy Schütz, participait au sein d’une équipe mixte Suisse/Luxembourg), arrive. Puis j’ai continué jusqu’à Carpentras (cette 13e étape sera marquée par la mort du Britannique Tom Simpson dans l’ascension du mont Ventoux).
Le plus méchant sur un vélo ?
J’ai fait le Tour du Maroc en 1964 où je me souviens qu’il n’y avait pas beaucoup de règles, où on se tirait par le maillot, c’était la bagarre tous les jours pour les sprints et les primes. D’ailleurs, je pense que c’était la course la plus dure que j’aie jamais faite. Il y avait beaucoup de coureurs de l’Est, des Polonais, des Allemands de l’Est, des Russes.
Le plus gentil ?
Roger Pingeon, le vainqueur du Tour de France 1968, un mec toujours très agréable.
Votre plus grande fête ?
À Paris, lorsqu’on a gagné le Tour de France 1973 avec Luis (Ocana). Mais cela n’a pas duré toute une nuit entière, car le lendemain, nous disputions un critérium. Ce n’est pas là qu’on faisait les plus grosses fêtes. On avait bien dîné, mais c’est à peu près tout.
J’ai fait une fois douzième de Liège-Bastogne-Liège (1966). J’étais échappé seul devant et j’avais été rattrapé par Jacques Anquetil dans la côte des Forges
Votre plus grosse déception ?
Lorsqu’en 1969, Raphaël Géminiani est devenu directeur sportif de Bic, il ne m’a pas pris pour le Tour de France. Son argument était que je n’allais « pas assez vite ». Il a pris Michael Wright, un Anglais qui avait quand même gagné des étapes sur le Tour. C’est la seule année où je n’étais pas sur le Tour.
Votre meilleure équipe ?
Bic. En France, c’était la meilleure équipe. La meilleure au monde, c’était l’équipe de Merckx, Molteni.
Votre plus belle classique ?
J’ai fait une fois douzième de Liège-Bastogne-Liège (1966). J’étais échappé seul devant et j’avais été rattrapé par Jacques Anquetil dans la côte des Forges. Je n’avais pas pu rester avec lui.
Votre meilleur vélo ?
J’ai eu un De Rosa qui était pas mal. À l’époque, on était sponsorisés par Motobécane, mais on allait se fournir en cadres en Italie, puis on repeignait le vélo aux couleurs de l’équipe. J’ai aussi roulé sur des Sauvage-Lejeune. Bon, les vélos, c’étaient des vélos. Mais les vélos italiens étaient à l’époque un peu en avance.
S’il remporta la Flèche du Sud 1963, c’est en 1965 qu’il passa professionnel dans l’équipe française Pelforth – Sauvage – Lejeune où il restera quatre ans avant de rejoindre Bic, où il finira sa carrière en 1974.
Deux fois sacré champion national (1965 et 1973), il remporta une étape du Tour de Luxembourg et du Tour de Picardie la même année, en 1967.
C’est son succès d’étape sur la Vuelta 1970 qui reste son principal fait d’armes. Il faisait partie des coureurs régulièrement présents dans les classiques de printemps, sa douzième place dans Liège-Bastogne-Liège 1966 en témoigne, ou encore sa 18e place dans Paris-Roubaix 1971. Mais Johny Schleck a réalisé principalement sa carrière en tant que coéquipier, à une époque où les «domestiques» ne disposaient que de bien peu de liberté.
Ce qui ne l’empêcha pas de se placer dans les grandes courses (qui étaient à peu de chose près les mêmes qu’aujourd’hui), comme avec cette 8e place dans le Tour de catalogne 1965. Il disputa huit fois la Vuelta (qui à l’époque se déroulait avant le Giro et le Tour) et huit fois le Tour. C’est son association avec Luis Ocana, dont il était un intime, avec le fameux succès du coureur espagnol dans le Tour de France 1973, qu’on retient.
Johny Schleck, marié à Gaby, père de trois enfants (Steve, Frank et Andy), a fêté ses 81 ans le 22 novembre dernier.
Il arrêta sa carrière cycliste à l’âge de 31 ans, puis travailla longtemps au Parlement européen, comme chauffeur, où il a conduit des présidents comme Simone Veil (de 1979 à 1982) et Pierre Pflimlin (de 1984 à 1987).
«J’ai conduit pendant dix ans les secrétaires généraux. Il n’y avait pas encore de GPS et grâce au cyclisme, je connaissais toute l’Europe et toutes les grandes villes. C’était un grand avantage. Et je parlais toutes les langues», explique-t-il.
Pendant des années, il fut chauffeur pour la société du Tour de France. Il a pris sa retraite à l’âge de 65 ans, ce qui lui a permis d’être le premier supporter de Frank et d’Andy, durant leur carrière. Aujourd’hui, il suit toujours le cyclisme et il reste fidèle à sa passion, la chasse.