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Ces femmes migrantes vulnérables aux violences et à l’exploitation


Jessica Lopes (à gauche) est membre du CA de l’ASTI. Camille Devaux, Chaouabi Zeineb et Laurence Hever (de gauche à droite) travaillent sur le terrain, au guichet info migrants. (Photos : julien garroy)

Exploitation au travail, violences domestiques, traite humaine… Des membres de l’ASTI racontent ces problématiques auxquelles les femmes migrantes sont exposées, et démontrent les lacunes juridiques qui les accompagnent.

C’est un constat mondial : les femmes migrantes sont le premier groupe vulnérable à la violence. Selon l’Organisation des Nations unies (ONU), 83 % des personnes exploitées sexuellement dans le monde sont des femmes migrantes. Le Luxembourg n’échappe pas à ce problème. «Les personnes en situation administrative irrégulière subissent des violences quotidiennes allant de l’exploitation par le travail à la précarité extrême ou aux risques accrus de violence domestique et de traite humaine», explique Jessica Lopes, membre du conseil administratif de l’ASTI. Une soirée conférence était d’ailleurs organisée hier soir pour parler de cette problématique.

Ces cas de femmes migrantes victimes de violences, les assistantes sociales et les équipes de terrain de l’ASTI ne les connaissent que trop bien. Camille Devaux, Laurence Hever et Chaouabi Zeineb travaillent toutes les trois au guichet info migrants. Leur travail consiste, entre autres, à recevoir des personnes pour les informer et les rediriger vers les bonnes structures. Il leur arrive donc régulièrement de recevoir des femmes migrantes victimes de violence. «Il n’y a pas très longtemps, une femme enceinte de 7 mois, avec un petit garçon de 2 ans et 8 mois, est venue me voir dans mon bureau et m’a expliqué qu’elle était victime de violences conjugales. Elle avait peur pour sa vie», relate Camille Devaux, assistante sociale.

Pour l’aider, l’ASTI a suivi les démarches pour lui faire quitter le domicile familial en la faisant rentrer dans un foyer de femmes en détresse. Laurence Hever, elle, se souvient du cas d’une jeune femme recrutée du Brésil par une famille brésilienne. «Elle n’était pas payée et était abusée sexuellement», explique-t-elle. Il leur a fallu faire un long travail de reconstruction de confiance, en lien avec Médecins du monde. «On a réussi à la régulariser, mais ça a pris plus d’un an.» En tant qu’assistante administrative, Chaouabi Zeineb est également confrontée à de tels cas. «Une dame m’a appelée pour parler d’une amie à elle, exploitée par son employeur. Je lui ai donné rendez-vous pour l’aider. Mais le jour J, elle a appelé une heure avant pour annuler le rendez-vous, par peur», raconte-t-elle.

Des entraves propres aux femmes migrantes

De novembre 2023 à novembre 2024, sur les 1 400 personnes venues voir les équipes du guichet info migrants sur place, 60 femmes sont venues expressément pour parler de violence. «Mais nous ne répertorions que la raison principale de la venue, souvent, elles viennent pour discuter d’autres choses et la violence est un autre sujet abordé lors du rendez-vous», explique Laurence Hever. Il est donc dur pour elles d’avoir des chiffres concrets. «Il faut noter que nous ne sommes pas un service pour victimes de violence, alors que ça fait beaucoup de cas», ajoute Jessica Lopes.

Le problème au Luxembourg, c’est que, pour accéder à leurs droits et les faire respecter, les femmes ressortissantes des pays tiers doivent d’abord obtenir leurs titres de séjour. Alors, lorsqu’une femme sans papiers se présente à la police pour dénoncer un acte de violence, deux procédures se lancent : si tout se passe bien, sa plainte est prise en compte, mais, en parallèle, sa situation irrégulière est dénoncée à l’autorité de l’immigration, ce qui aboutit la plupart du temps à une obligation de quitter le territoire. «La grande majorité des femmes ne vont pas porter plainte parce que la perspective du retour est inconcevable pour elles», constate tristement Jessica Lopes.

Les femmes ayant un titre de séjour ne sont pas toujours mieux loties. «Si leur titre dépend d’un conjoint ou d’un emploi où elles sont exposées à de la violence, elles ne sont pas toujours au courant qu’elles peuvent demander un titre de séjour autonome», souligne Jessica Lopes. Aux raisons qui poussent toutes les femmes à se taire lorsqu’elles sont victimes de violences s’ajoutent donc d’autres problématiques propres aux personnes migrantes telles que la barrière de la langue et l’exclusion des droits sociaux. «Ce sont des entraves. En plus, le fait d’aller à la police demande un courage monstre. C’est un grand processus et à la moindre barrière, les femmes font marche arrière et n’y retournent plus. Elles acceptent des situations inacceptables parce qu’elles n’ont pas le choix.»

Le guichet info migrants de l’ASTI se trouve au 19, rue de Beggen à Luxembourg. Ses équipes reçoivent les personnes migrantes pour les informer sur la loi immigration.

Les lacunes de la loi immigration

Selon l’ASTI, la première lacune de la loi immigration, c’est qu’elle ne prend en considération que la violence physique, pas les autres formes de violences. «Un paragraphe dit que si la femme arrive à prouver qu’elle a été victime de violence, elle peut obtenir un titre de séjour indépendant», explique Laurence Hever. La possibilité d’agir existe donc, mais ne peut pas être garantie car elle dépend de la libre appréciation du ministère quant aux preuves fournies. «Sauf que, sans cette garantie, la femme ne va tout simplement pas porter plainte parce que ce sera une situation d’incertitude qui va se rajouter à toutes les autres incertitudes qu’elle a déjà.»

La loi exige également une bonne raison à l’immigration, soit une chose comme un travail, soit une personne, conjoint ou famille. «Le fil rouge de cette loi, c’est donc le lien de dépendance.» Il faut, par exemple, avoir établi un contrat de travail avant d’immigrer ou être pris en charge par quelqu’un de sa famille. «C’est un gros problème car cela fait accepter de l’exploitation ou de l’abus pour pouvoir avoir et garder le titre de séjour», estime Laurence Hever.

«Et surtout, nous n’avons pas eu un seul cas où les auteurs ont été punis», note Jessica Lopes. Les cas où les plaintes aboutissent sont déjà rares, mais les cas où des sanctions sont incombées aux auteurs n’existent tout simplement pas. «Évidemment, cela encourage les auteurs à continuer et les victimes à ne rien dire.» C’est pour tenter de résoudre ces problématiques que l’ASTI, grâce à ses retours de terrain, fait pression sur le gouvernement.

Une brochure pour les aider

C’est sur cette même problématique que les associations Passerell et Médecins du monde se sont réunies pour créer et lancer leur brochure «Hands off, Droits & ressources pour les femmes migrantes victimes de violences domestiques et les professionnel·les qui les accompagnent». Cette brochure rappelle les droits que les femmes migrantes victimes de violence ont, notamment au travers de la convention d’Istanbul. Conseils pratiques, orientations vers les services spécialisés et informations juridiques concrètes y sont répertoriés pour fournir l’aide nécessaire aux femmes dans le besoin.