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Centres de compétences : le personnel se sent «méprisé»


Le Centre pour le développement intellectuel à Roodt-sur-Syre accueille 430 enfants encadrés par près de 300 personnels EPS. (Photo : christelle brucker)

Heures supplémentaires non comptabilisées, missions irréalistes : les huit centres de compétences du pays font leur rentrée aujourd’hui, sur fond de tensions avec le ministre de l’Éducation nationale qui reste sourd aux appels de détresse du personnel.

Alors qu’une nouvelle année scolaire débute pour le personnel éducatif et psycho-social (EPS) des huit centres de compétences du pays, le litige qui oppose le ministre de l’Éducation nationale à ces 700 éducateurs gradués, psychologues, ergothérapeutes, psychomotriciens, orthophonistes, et autres professionnels accompagnant les élèves à besoins spécifiques assombrit ce jour de reprise.

Si un accord sur le volume de travail et certaines missions a été conclu en novembre dernier entre Claude Meisch et trois syndicats d’éducateurs affiliés à la CGFP, il est loin de faire l’unanimité au sein de la profession, et pour cause : écarté des discussions, le personnel EPS des centres de compétences ne se sent pas représenté par ce texte, à mille lieues de la réalité du terrain.

« Des tâches floues et irréalisables »

«Cet accord prévoit des tâches floues et irréalisables», dénonce ainsi une éducatrice graduée, membre de l’APCCA, l’association du personnel des centres de compétences et de l’agence. «Il traduit une méconnaissance totale de notre métier et des défis auxquels nous sommes chaque jour confrontés.»

Car tous les personnels EPS n’exercent pas en centre de compétences. Beaucoup font partie des équipes de soutien des élèves à besoins éducatifs particuliers ou spécifiques (ESEB), des services socio-éducatifs dans les lycées (SSE) ou des services de psychologie et d’accompagnement scolaires (SePAS) : ce sont en fait leurs représentants qui ont paraphé l’accord en question.

«On se sent méprisés parce que cette concertation sur la définition de nos tâches, on l’attend depuis longtemps», poursuit l’éducatrice, qui gère un groupe de cinq enfants en cycle 4 au Centre pour le développement intellectuel (CDI) de Roodt-sur-Syre.

Or, le ministre s’est empressé de refermer la porte qui avait été ouverte : «On a été conviés à de nombreuses réunions, au cours desquelles nous étions d’ailleurs en ligne avec la CGFP. Puis, on a découvert un matin dans la presse que l’accord s’était fait sans nous», raconte une psychomotricienne du CDI, également membre de l’APCCA.

Elle confirme que les dispositions ne correspondent pas au travail effectif des équipes en centre de compétences : le volume horaire prévu pour le personnel est ainsi largement en deçà des heures prestées (lire ci-contre).

La charge de travail largement sous-estimée

Pour mesurer à quel point l’accord conclu ne correspond pas au travail réellement fourni, le personnel EPS du CDI s’est livré à un rapide inventaire. «On a répertorié toutes nos heures et on est bien loin du compte. L’accord prévoit 60 heures de concertation par an entre professionnels, notamment avec les équipes éducative, rééducative et diagnostique, là où 136 ont été nécessaires l’an dernier», s’agace l’éducatrice.

«Il plafonne aussi à 18 heures nos tâches administratives alors que nous en avons effectué 65 l’année dernière, soit plus du triple», pointe-t-elle, expliquant que cela couvre les bilans des élèves, la gestion des dossiers, les rapports de réunions et certaines tâches liées à la classe.

Et cela ne s’arrête pas là. Alors que les centres de compétences ne sont pas reconnus comme établissements scolaires, au CDI, les équipes EPS enseignent pourtant les programmes officiels en les adaptant à chaque élève, avec du matériel qu’il faut souvent bricoler, et fixent aussi des objectifs à atteindre par l’élève en termes de langage ou encore d’autonomie.

Des missions qui débordent du cadre scolaire et compliquent l’organisation au quotidien puisqu’aucun créneau supplémentaire ne leur est alloué pour autant : «Cela nous met dans la position délicate de devoir choisir, en fin d’année, à quelle réunion de bilan on va se rendre ou pas, et pour quel enfant. Pas le choix, il faut prioriser», regrette la psychomotricienne.

Fait étonnant, l’accord prévoit 40 heures annuelles pour des échanges avec les parents et les professionnels, soit exactement le même volume horaire que pour n’importe quel enfant du fondamental : «Or, le suivi de nos élèves à besoins spécifiques nécessite des contacts étroits et réguliers», rappelle la jeune femme.

Cette masse d’heures supplémentaires, non prises en compte par le ministère, dépend donc du bon vouloir des employés : «On s’investit corps et âme, mais après des années, on s’épuise», note l’éducatrice, inquiète pour l’avenir de sa profession et la qualité de la prise en charge des enfants.

La plupart des élèves du CDI y sont scolarisés à temps plein et ne fréquentent pas l’école de leur commune. Photo : christelle brucker

Un manque de reconnaissance de plus en plus pesant, alors que les conditions de travail se détériorent : «Ces dernières années, il y a énormément de demandes. Même les professionnels en libéral sont débordés», soulignent les deux femmes, dont les semaines atteignent parfois 50 à 60 heures, loin des «32 heures auprès de l’enfant» pour lesquelles elles sont rémunérées.

«Autour de chaque enfant, il y a des parents, des enseignants, de la guidance, des assistants en classe, des bilans, des réunions, des trajets entre les écoles. Rien de tout ça n’est pris en compte», dénoncent-elles.

Un travail «hors classe» non quantifié

«Notre direction nous demande d’accomplir de plus en plus de tâches, indispensables au suivi, certes, mais pour lesquelles nous manquons de temps», épingle l’éducatrice graduée, qui rappelle que tout ce travail «hors classe» n’est pas quantifié.

Un climat qui provoque des démissions en cascade et qui alimente la pénurie de personnel dans le secteur : «Les gens sont épuisés. Beaucoup partent dans le privé, lassés d’attendre indéfiniment une clarification de nos missions. Les nouvelles recrues se découragent vite, car le job n’est pas attractif vu l’amplitude horaire : à temps plein avec une vie de famille, c’est impossible», tranche sa collègue.

Une insécurité qui génère du stress supplémentaire

Autre conséquence, sans définition claire de leur rôle et de leur mission, les personnels EPS peuvent facilement être mobilisés pour toutes sortes de tâches, qui peuvent changer du jour au lendemain, sans recours possible. Une insécurité qui génère du stress supplémentaire.

Alors que le ministre a déjà fait savoir qu’il considère ce dossier bouclé et que de nouvelles discussions incluant l’APCCA sont exclues, l’OGBL-SEW envisage désormais de déposer une plainte (lire ci-contre) pour débloquer ce litige et permettre enfin aux personnels EPS des centres de compétences de se faire entendre.

Une plainte pour sortir de l’impasse

Près d’un an après la signature de l’accord entre Claude Meisch et une partie des représentants syndicaux seulement, l’OGBL-SEW indique avoir été reçu par le ministre en février dernier pour réclamer de nouvelles discussions, ce à quoi il a opposé une fin de non-recevoir. «On a alors saisi la commission de conciliation de la fonction publique», rapporte Frédéric Krier, secrétaire central. «Or, elle ne s’est jamais réunie, car la CGFP et le ministère ont fait savoir que pour eux, il n’y a pas de litige.»

Sans cette étape, impossible d’aller plus loin ou d’entamer une grève. «C’est pour entrave à ce droit que nous prévoyons de porter plainte auprès du tribunal administratif», annonce-t-il, martelant qu’ils veulent simplement «négocier et définir une fois pour toutes les missions des personnels EPS des centres de compétences».