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Ce que vivent les frontaliers… ailleurs qu’au Luxembourg


Michel Charrat, rencontré à Belval, suit le dossier des frontaliers du côté suisse. La situation semble bien plus tendue qu'au Grand-Duché ! (photo Hubert Gamelon)

Les tensions qui existent parfois entre Luxembourgeois et frontaliers ne sont que des griffures de chat, à côté des tensions en Suisse. Michel Charrat, rencontré à Belval, nous raconte.

Michel Charrat a travaillé plus de 40 ans en Suisse. Il était jeudi à Belval dans le cadre de la 20e conférence de la Mission opérationnelle transfrontalière (MOT), en tant que président d’une association de frontaliers qui travaillent en Suisse (le GTE).

Quelles sont les relations entre les Suisses et les frontaliers ? Au Luxembourg, des frictions existent parfois avec les Français…

Michel Charrat : Nos relations avec les Suisses sont plus difficiles que par le passé. C’est paradoxal : il est plus facile de travailler en Suisse aujourd’hui (des accords bilatéraux existent), il y a plus de frontaliers aussi… mais une vague populiste monte d’année en année. La tendance est de surfer sur le sentiment antifrontalier.

Les frontaliers français sont combien en Suisse ?

Il ne faut pas dire « frontaliers français » mais plutôt « de France ». Car tous les employés qui franchissent la frontière ne sont pas français ! Nous sommes 200 000 frontaliers de France, chiffre qui comprend 45 000 Suisses résidant en France, ainsi que 20 000 employés des institutions internationales.

Deux cent mille frontaliers venant de France vers la Suisse, c’est énorme ! Au Luxembourg, nous en sommes à 90 000 frontaliers français.

Pour donner un autre chiffre, on compte 500 000 passages de voitures en aller-retour par jour à la frontière suisse.

Ça doit être monstrueux pour la circulation…

La mobilité est un problème énorme. Entre la région d’Annemasse et Genève, l’un des pires points de friction, les automobilistes mettent parfois jusqu’à deux heures pour faire moins de 30 kilomètres !

Deux heures aller-retour ?

Non, deux heures aller.

Y a-t-il des moyens de transport alternatifs ?

Il y a des bus, mais ce n’est pas suffisant. Du coup, des gros projets sont en train d’émerger : le « Léman Express », sorte de RER entre Annemasse et Genève, est en construction. Le projet doit aboutir en 2019, mais ça fait bientôt 100 ans qu’on en parle ! D’autres trams transfrontaliers sont également prévus, notamment au départ de la frontière ouest de la Suisse.

Revenons sur le sentiment antifrontalier. En quoi est-il précisément plus fort ?

Des lois parfaitement inadmissibles sont mises en place. Ce sont les fameuses « préférences cantonales » que le canton du Tessin (frontière italienne) avait adoptées en premier. Un employeur doit d’abord proposer un travail à un résident avant de le proposer à un frontalier. À notre sens, c’est une discrimination incompatible avec les accords bilatéraux entre la France et la Suisse.

L’argument de l’emploi « piqué » par les frontaliers est parfois utilisé aussi au Grand-Duché.

Oui, mais de telles lois seraient impossibles chez vous, car le Luxembourg est un pays de l’Union européenne : la libre circulation des travailleurs est la règle.

Dans quels secteurs travaillent les frontaliers en Suisse ?

Tous les secteurs ! Des emplois saisonniers qui étaient avant occupés par une main-d’œuvre du sud de l’Europe sont maintenant occupés par des frontaliers. Des secteurs à forte valeur ajoutée, comme l’horlogerie, connaissent des restructurations assez drastiques depuis quelques années.

Quels impacts ont ces lois de préférence nationale en Suisse ?

L’emploi frontalier ne diminue pas, au contraire. Dans le canton de Genève (282 km²), il a augmenté de 6% en 2016 et on compte 121 000 frontaliers imposés à la source. D’une façon globale, certains secteurs ne peuvent pas se passer de la main-d’œuvre frontalière : l’hôpital de Genève fonctionne à 50% avec des employés frontaliers !

Ces lois n’ont donc aucune conséquence ?

Si, elles briment les chômeurs frontaliers. Il faut s’accrocher à son travail parce que si on le perd, il peut théoriquement être proposé à un résident.

Entretien avec Hubert Gamelon