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Dirk Fransaer : «Ce n’est pas la taille du pays qui détermine la qualité de sa recherche»


Dirk Fransaer voit le futur dans l’IA et les ordinateurs quantiques, et ce, dans tous les domaines. (Photos : julien garroy)

Le directeur par intérim du Luxembourg Institute of Science and Technology (LIST), Dirk Fransaer, revient sur les missions et les enjeux de l’institut luxembourgeois, qui fête cette semaine son dixième anniversaire.

C’est l’une des entités les plus reconnues du pays. Le LIST fête ce jeudi 19 décembre sa dixième année d’existence, avec une cérémonie officielle en présence du Grand-Duc Henri. Depuis une décennie, l’institut luxembourgeois, qui compte désormais plus de 900 collaborateurs, œuvre afin d’épauler l’industrie du pays, dans tous les domaines, comme l’environnement, la sécurité, l’éducation, la culture, le développement durable, etc.

Une vraie fierté pour son directeur, Dirk Fransaer, en poste depuis une petite année par intérim, en attendant la nomination d’un tiers. Il revient pour nous sur les missions et l’importance du LIST au Luxembourg.

Si bon nombre de nos concitoyens entendent régulièrement parler du LIST, rares sont ceux qui sont vraiment capables d’expliquer ce qui se cache derrière ses murs. Pouvez-vous nous expliquer, concrètement, les missions de l’institut?

Dirk Fransaer : Bon alors (il rit), le LIST est considéré, tout comme le Liser (NDLR : Luxembourg Institute of Socio-Economic Research) et le LIH (Luxembourg Institut of Health), comme un organisme de recherche et de technologie (RTO, en anglais) : il développe des technologies de pointe et fournit des produits et services innovants à l’industrie et à la société.

D’autres instituts de ce type existent ailleurs dans le monde : le premier date de 1933, il s’agit du TNO aux Pays-Bas, qui a été construit après la Première Guerre mondiale. Actuellement en Europe, il doit exister une centaine d’organisations comme la nôtre. Elles servent toutes, principalement, à renouveler l’industrie.

L’objectif de ces instituts est de traduire les innovations de base, qui se font à l’université, pour les appliquer dans l’industrie. Mais aussi dans les ministères, les hôpitaux, etc. La particularité du LIST, c’est que nous pouvons développer tout ça ici, dans notre bâtiment. Du niveau 1, « j’ai une idée », au niveau 9, « elle est prête pour le marché ». Notre organisation sert donc à mettre les inventions en pratique.

L’écosystème luxembourgeois est jeune : l’université n’a que vingt ans, le LIST, dix ans, c’est la particularité du pays qui fait aussi sa richesse.

L’organisation fête ses dix ans cette semaine : que retenir de cette décennie?

Que ce n’est pas la taille du pays qui détermine la qualité de sa recherche. Je pense que la recherche ici, au LIST et de manière plus globale au Luxembourg, est très bonne. Nous attirons vraiment des talents du monde entier : il y a plus de 66 nationalités représentées. Nous essayons d’attirer les meilleurs. Et cette excellence aboutit à une reconnaissance européenne aussi. Nous travaillons sur beaucoup de projets européens et avons reçu plusieurs financements de la part du Conseil européen de la recherche. Nous avons aussi, cette année, un accord avec une société allemande, qui va vendre ce que nous avons développé. Donc oui, nous pouvons être fiers de cette dernière décennie.

Le plus grand défi du Luxembourg? Diversifier son économie

Pouvez-vous nous citer des projets du LIST qui, aujourd’hui encore, ont un effet sur la vie des Luxembourgeois?

Le LIST est actif dans les domaines des matériaux, de l’environnement, des technologies digitales et des ressources spatiales. Les exemples concrets pour le grand public se trouvent certainement dans le domaine de l’environnement. Nous venons de publier un rapport sur nos collaborations avec le ministère de l’Environnement, du Climat et de la Biodiversité et son administration de l’Environnement, qui reprend pas mal d’exemples.

Nous pouvons citer la surveillance des pollinisateurs ou des espèces exotiques envahissantes. Même si ce n’est plus de saison, nous pouvons aussi évoquer la surveillance des eaux de baignade dans les étendues d’eau au Luxembourg. Chaque année, le LIST fournit les analyses permettant d’autoriser ou non la baignade en fonction de la présence d’algues bleues toxiques. Une application participative, « BloominAlgae« , a d’ailleurs été lancée. Tous ces exemples sont très concrets.

Pourquoi est-il important d’avoir un institut comme le LIST aujourd’hui au Luxembourg?

Je pense que le grand défi du Luxembourg depuis trente ans, et encore plus ces dernières années, c’est de renouveler, diversifier son économie. Le pays dépend toujours énormément du secteur financier et bancaire, mais cette domination diminue d’année en année.

Il faut donc trouver d’autres industries, d’autres activités économiques, qui ne polluent pas trop, qui ne nécessitent pas de grandes zones industrielles, pour, à terme, renouveler l’industrie dans cinq ou dix ans. Nous ne voulons pas remplacer le secteur bancaire, mais apporter une diversification. Au moins, s’il se passe quelque chose dans la finance, nous pourrons nous reposer sur d’autres industries.

L’homme de 66 ans a pris la tête du LIST il y a un an.

Le Luxembourg peut-il jouer un rôle de précurseur en Europe au niveau scientifique?

Oui, c’est certain. Le Luxembourg est déjà connu dans le domaine spatial par exemple, ou encore dans la cybersécurité. L’intelligence artificielle commence aussi à se faire une place. Personne en Europe, à part peut-être la France, ne développe de système IA. Nous travaillons là-dessus et nous savons que cette intelligence artificielle va jouer un rôle dans nos travaux au LIST, mais pas seulement. Dans le gouvernement, l’éducation, l’économie aussi.

Dans son bilan 2023, sorti en juin dernier, le LIST dit vouloir être un « catalyseur du changement“. Qu’est-ce que cela veut dire?

Nous voyons ce qu’il se passe en Europe ces dernières années. Je ne parle pas seulement de la guerre en Ukraine, mais aussi des défis climatologiques et énergétiques qui s’imposent à nous. Il est clair que nous allons vers une transition. Nous devons donc être un moteur, un vrai catalyseur pour répondre à ces défis. C’est l’un des ordres de mission du LIST.

Plusieurs chercheurs se sont vu octroyer des bourses importantes ces derniers mois : c’est important pour vous?

C’est important, puisque cela apporte de l’argent, mais aussi une reconnaissance de notre travail de la part d’autorités d’importance. Cela prouve que les recherches menées ici au LIST sont, au minimum, d’un niveau européen, sinon mondial.

Le LIST a aussi joué un rôle essentiel durant la pandémie de Covid-19.

Tout le monde au Luxembourg connaît le rôle qu’a joué le LIST durant la pandémie. Le travail se poursuit d’ailleurs. Il y a des analyses en permanence qui sont faites, des échantillons qui sont collectés depuis le début de la pandémie. Il y avait huit projets distincts au départ, mais notre projet phare, c’est le Coronastep, qui a eu une grande influence sur la manière dont le gouvernement a géré la pandémie. Le Premier ministre faisait allusion aux analyses du LIST dans ses points presse. C’était vraiment un des indicateurs qui permettaient aux autorités de prendre des décisions.

Aujourd’hui, nous continuons à faire des analyses de présence de virus. Nous sommes les seuls à pouvoir voir si le Covid-19 est toujours présent au Luxembourg ou pas et s’il y a des remontées de cas, grâce aux analyses des chercheurs. Il y a moins de dépistages qu’en 2020, donc notre courbe permet de suivre la situation en temps réel.

Nous attirons des talents du monde entier

Ce type de partenariat émane-t-il du LIST lui-même ou l’institut répond-il à des demandes extérieures?

Dans le cas de la pandémie de Covid-19, nous nous sommes proposés. Nous faisions déjà des analyses d’échantillons en stock d’eau usée, mais nous analysions alors d’autres bactéries. Nous savions que le système fonctionnait et le gouvernement a été rapidement intéressé.

Mais ce sont souvent des échanges. Cela peut venir des entreprises comme de nous. Si nous voyons que la recherche, l’innovation est déjà bien avancée, nous pouvons leur demander si elles sont intéressées par un partenariat long, comme ce fut le cas avec Goodyear par exemple.

Que peut-on souhaiter pour l’institut en cette dixième année d’existence?

Je pense que d’ici à quelques années, des projets comme l’ordinateur quantique ou CubeSat, qui permet de recycler la chaleur pour produire de l’électricité, vont vraiment aboutir à de grands changements. Je suis assez convaincu que vers 2030, nous aurons de vraies applications des ordinateurs quantiques, qui vont générer des changements similaires à ceux actuels de l’IA.

Repères

État civil. Dirk Fransaer est né le 9 août 1958 en Belgique. Il est marié et a trois fils.

Carrière. Il a été administrateur délégué du VITO, l’institut flamand de recherche technologique – le plus grand institut de recherche de Belgique dans le domaine de la production durable et des technologies propres – pendant plus de 20 ans. Il a également travaillé comme professeur assistant à l’université de Gand dans le domaine de la recherche hydraulique, auprès de l’entreprise pharmaceutique Baxter sur les organes artificiels, et pendant 13 ans dans le domaine de la télédétection aérienne et par satellite.

Formation. Il dispose de deux diplômes d’ingénieur : l’un dans la construction, l’autre dans le biomédical.

Insolite. À 21 ans, il décroche son premier diplôme et devient le plus jeune ingénieur de Belgique.

Passe-temps. En dehors de son travail, qui lui prend «beaucoup trop de temps», Dirk Fransaer aime visiter le Luxembourg.