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Carrières scientifiques : des postes réservés aux femmes à l’Université


À Belval, à peine 15% des étudiants en informatique sont des femmes, tandis que les professeures ne dépassent pas 28%. (Photo : adobe stock)

Alors que le manque de femmes dans les sciences et l’ingénierie devient inquiétant et que le Luxembourg peine à lever les barrières, le recteur de l’Université du Luxembourg annonce une mesure radicale.

Ces dernières années, la sous-représentation des femmes dans les domaines des sciences, de la technologie, de l’ingénierie et des mathématiques (STEM) a tendance à s’accentuer.

Au Luxembourg, à peine un quart des chercheurs sont des femmes, contre un tiers dans l’UE, et plusieurs rapports publiés en 2024 montrent que la place des filles et des femmes dans ces secteurs ne progresse pas, voire recule, en Europe et dans le monde. 

À l’Université du Luxembourg, où évoluent plus de 7 000 étudiants, les statistiques sont implacables : «Nos filières STEM comptent seulement 28% de jeunes femmes. Elles ne sont que 40% en mathématiques et à peine 15% en informatique», soupire le recteur Jens Kreisel, l’air grave.

Des écarts au niveau des candidatures

Pour lui, ce dernier chiffre est particulièrement inquiétant, considérant que l’informatique, comme l’intelligence artificielle, les sciences des données ou les supercalculateurs incarnent les technologies de demain. «Si nous n’avons pas suffisamment de femmes dans ces secteurs, elles ne participeront pas à façonner l’avenir», alerte-t-il.

L’Université, qui a un temps soupçonné des biais dans la sélection des élèves, a rapidement écarté cette hypothèse en se basant sur les taux d’acceptation en cursus scientifiques : 40%, chez les filles comme chez les garçons. Par contre, l’analyse des candidatures a révélé d’importants écarts : moins d’un tiers de jeunes femmes postulent pour intégrer une filière STEM.

«Une question de culture»

«Le problème prend donc racine bien avant. Dès l’école primaire, je dirais. Ce qui signifie que c’est une question de culture», conclut-il, citant nos voisins, la France, l’Allemagne, la Suisse, la Belgique ou les Pays-Bas, qui connaissent la même situation. Tandis que le Portugal, l’Espagne ou les pays nordiques s’en sortent beaucoup mieux.

«Ce n’est pas qu’une question d’égalité : en tant que société, on ne peut pas se permettre de perdre l’excellence des femmes dans les sciences», martèle-t-il.

Mentorat et interdisciplinarité

L’Université a ainsi lancé plusieurs initiatives, dont la campagne vidéo Girls In SciTech qui présente des femmes actives dans les sciences, avec l’idée de créer des modèles auxquels s’identifier. Depuis 2023, un programme de mentorat a aussi permis à 120 étudiantes en doctorat, post-doctorantes et jeunes professeures d’être soutenues.

Le recteur est aussi convaincu que l’interdisciplinarité est un levier efficace. «Nous savons que, dans ce cadre, on arrive à motiver beaucoup plus de femmes à soumettre leur projet de recherche.» Il a pu constater l’attractivité des formations interdisciplinaires de près, puisque ses propres filles ont choisi la bio-chimie et la bio-physique.

Les barrières invisibles perdurent et sont profondément ancrées

Pour Andreea Monnat, secrétaire générale du Fonds national de la recherche (FNR), il est grand temps de remettre certaines choses en question, au risque de voir se reproduire ce déséquilibre de génération en génération.

«Les barrières invisibles perdurent et sont profondément ancrées. Elles prennent la forme de stéréotypes précoces, de choix de carrière influencés dès l’enfance, de réseaux professionnels fermés, de biais inconscients dans le financement de projets scientifiques», pointe-t-elle.

Pas une question d’équité morale

Elle souligne que la présence des femmes dans les sciences n’est pas une question d’équité morale, mais un impératif scientifique : «Les équipes de recherche mixtes sont plus innovantes, produisent de meilleurs résultats et abordent les problèmes sous des angles plus variés.»

Et plaide pour un dépoussiérage de l’image de la recherche et de ceux qui la font : «Un enfant qui grandit sans jamais voir de femme scientifique, intériorise que ce n’est pas un métier pour les filles. Or, on ne peut aspirer à ce qu’on ne voit pas.»

«Offrons-leur une place à table»

En cela, la 4e campagne Women & Girls in Science et son programme pilote mettant en relation étudiantes et chercheuses expérimentées (lire ci-dessous) est essentiel : «Si nous voulons des chercheuses, des ingénieures, des expertes, nous devons leur offrir une place à la table, et pas une chaise d’observatrice», tranche Andreea Monnat.

Le FNR a déjà intégré des critères d’égalité dans ses programmes de financement, travaille avec des groupes nationaux et internationaux sur la diversité et l’inclusion, et a renforcé ses efforts de sensibilisation auprès du jeune public.

Des postes réservés aux femmes dès l’été

L’Université du Luxembourg a, quant à elle, décidé de passer à la vitesse supérieure. L’objectif qu’elle s’était fixée en 2020 – atteindre 30% de femmes parmi ses 300 professeurs en  2025 – ne sera pas rempli, malgré une série de mesures (comités de recrutement plus représentatifs, formations des présidents, discrimination positive à qualification égale).

Les professeures plafonnent à 28% toutes disciplines confondues et sont encore plus rares dans les sciences.

«D’où la nécessité de franchir un cap inédit, en publiant des postes uniquement réservés aux femmes. Dès cet été, on va ainsi ouvrir quatre nouveaux postes qui leur seront exclusivement destinés», annonce Jens Kreisel, déterminé à accélérer le mouvement.

«Nous devons aller plus loin et plus vite»

«Nous devons aller plus loin et plus vite. En tant que recteur, je veux imprégner ce changement de culture.»

L’Université technologique d’Eindhoven, qui avait lancé cette politique de recrutement radicale aux Pays-Bas en 2020, a subi une avalanche de critiques à l’époque. Cinq ans plus tard, la moitié des nouvelles recrues sont des femmes, contre 30% auparavant, et le nombre de professeures a bondi de 22 à 29%.

Jens Kreisel, Yuriko Backes, Stéphanie Obertin, et Andreea Monnat, ont signé ce lundi une convention commune. Photo : Julien Garroy

 

Women & Girls in Science : c’est parti

Lancée pour la Journée mondiale des femmes et des filles dans les sciences célébrée ce 11 février, la 4e édition de la campagne Women & Girls in Science comporte cette année trois actions phares : des vidéos inspirantes mettant en scène des chercheuses luxembourgeoises, une diffusion renforcée sur les réseaux sociaux, en ciblant particulièrement les jeunes femmes, et un nouveau programme pilote de mentoring et matchmaking.

Celui-ci prévoit un accompagnement personnalisé aux côtés de chercheuses confirmées, avec des rencontres et visites de laboratoires pour une immersion directe dans le monde de la recherche, ainsi qu’une grande conférence de clôture. De quoi pallier le manque de visibilité sur les opportunités et à l’absence de connexions avec le monde de la recherche qui constituent des freins majeurs à l’accès des jeunes femmes aux carrières scientifiques.

Soutenue par le ministère de l’Égalité des genres et de la Diversité et le ministère de la Recherche et de l’Enseignement supérieur, la campagne sera portée par le FNR, l’Université du Luxembourg et Research Luxembourg.