Un petit nouveau a débarqué dans le monde des labels indépendants au Luxembourg : Muaaah! Records, chapeauté par trois copains des Rotondes, ressort des albums cultes, jamais pressés en vinyle. Une petite entreprise guidée par la passion.
Deux bacs à vinyles sont disposés à l’entrée du Ratelach, le bar niché au cœur de la Kulturfabrik : à gauche, c’est la malle aux trésors d’un nouveau label dédié aux (res)sorties sur vinyle, fondé par Marc Hauser, Nicolas Przeor et Yann Gelezuinas et qui répond au doux nom de Muaaah! Records. Si les trois compères des Rotondes se sont délocalisés à Esch le temps d’une «listening party», c’est pour fêter leur troisième et nouvelle sortie dans le lieu même où le «split EP» Treasure Chest at the End of the Rainbow / Mutiny on the Bounty avait été enregistré en 2005. Espiègles, ils ont aussi mis en avant un exemplaire de leurs disques dans le second bac, sur lequel est affichée la mention «Albums luxembourgeois que vous devez posséder» (et dans lequel on trouve, pêle-mêle, Cyclorama, Mount Stealth, No Metal in This Battle…).
Le but est de sortir des disques qui sont, à nos yeux, « muaaah! »
Pour ce label de potes, la fête se passe en famille. Ils ont même apporté leur propre bière, dont l’étiquette est à l’effigie de leur logo, un visage qui ressemble comme deux gouttes d’eau au Dude du film The Big Lebowski. En réalité, l’homme en question s’appelle Karl Humbug, «un ancien des Rotondes qui, dès qu’il aimait quelque chose, avait pour habitude de dire : « C’est muaaah! »», explique Nicolas Przeor en mimant le fameux «chef’s kiss». «Le but est de sortir des disques qui sont, à nos yeux, « muaaaah! »», résume simplement le trio.
Alors, qu’est-ce qui a décidé trois copains toujours fourrés ensemble à passer le pas ? Le guitariste de Mutiny on the Bounty réfléchit : «On est tous les trois des passionnés de vinyles et des collectionneurs. Pour nous, il était naturel de trouver un moyen d’entrer dans cette industrie.» Le magasin de disques était une première idée, sur laquelle le trio a beaucoup fantasmé. Mais «la façon la plus simple et la plus complète d’avoir un pied dans le vinyle, c’était de fonder un label», assurent-ils. «Ça nous permettait deux choses : déjà, comprendre comment tout cela fonctionne, puis sortir des trucs qui étaient inédits en vinyle.» Quand le projet de label est devenu «plus concret», chacun a dressé sa petite liste d’albums cultes jamais pressés sur galette noire. Au fond, de quoi publier des albums à un rythme régulier et sur plusieurs années…
Leur premier disque, sorti en septembre dernier et tiré à 300 exemplaires, est signé d’un quatuor post-rock de Chicago, aujourd’hui défunt, Volta Do Mar. At the Speed of Light or Day est sorti à l’origine à l’automne 2001, et «pour moi, pour les mecs de Mutiny et tous les groupes avec qui on traînait à l’époque, ça a été un album hyper-important», assure Nicolas Przeor. Une œuvre formatrice qui méritait bien d’inaugurer le label et lui donner le ton.
Le début de l’aventure a été rapide, à la grande surprise du trio. «On a envoyé un mail aux membres du groupe. Deux heures plus tard, on avait une réponse : ils étaient super chauds! Étonnés, même, qu’on vienne leur demander ça vingt ans plus tard…» Nicolas Przeor en parle même comme d’«un vrai coup de chance», y compris du point de vue juridique : «C’est la question la plus difficile qui se pose dans ces cas-là. Mais avec Volta Do Mar, on n’a pas eu de problèmes de droits : ils avaient sorti le CD eux-mêmes, sur leur propre label, et étaient donc propriétaires de tous leurs enregistrements.»
On a attendu huit mois avant de l’avoir entre les mains, ce premier disque !
C’est ensuite que les choses se sont (gentiment) corsées. Entre les délais dus au covid et «l’affaire Adele», soit la production massive de l’album 30, de la chanteuse anglaise (500 000 vinyles!), qui a engendré d’énormes retards sur les lignes de production, «on a attendu huit mois avant de l’avoir entre les mains, ce premier disque!». Pour sa sortie suivante, Muaaah! Records a alors changé d’usine de pressage : comme la première, elle est située en Allemagne, mais celle-ci ne se dédie qu’aux clients indépendants. Plus question de se faire piéger par une star de la pop…
Inventifs et débrouillards, les trois copains ont aussi retravaillé la pochette de l’album de Volta Do Mar. À l’origine, l’«artwork» signé Larry Price, qui représente une silhouette débout sur un rocher, au milieu de la mer et sur un fond jaune orangé, devait être réutilisé. Mais, l’artiste l’ayant conçue pour un CD, l’œuvre d’origine s’adaptait mal à la qualité de la pochette du vinyle. «Elle est sortie toute pixélisée, bref, inexploitable.» Alors le trio propose à l’artiste de réinventer la pochette, en collaboration avec leur graphiste maison, Max Nilles, pour un résultat psychédélique à souhait, réutilisant le dessin d’origine sur un nouveau fond bleu-mauve et avec des couleurs pétantes, qui rendent l’objet encore plus curieux.
Pour leur nouvelle sortie, les choses étaient beaucoup plus simples, forcément. «Quand on était en tournée avec Mutiny, on nous l’a souvent demandé, ce disque. Il semble que c’était le moment de le faire», estime Nicolas Przeor. Et mercredi soir, les haut-parleurs du Ratelach crachent ces mêmes compositions enregistrées à la Kufa il y a 18 ans. La réédition est la ligne directrice du label, mais pour ces passionnés, se poser des limites serait un arrache-cœur. Ils se sont déjà fendus d’un pas de côté en avril, en sortant le «split EP» des groupes alternatifs Stegonaute et Nulle-Part, en cassette. Un autre format qui revient, quoique destiné à une niche, avouent-ils, mais ils avaient de quoi écouler les tout derniers exemplaires (sur soixante cassettes produites) qu’ils avaient apportés avec eux.
La prochaine sortie du label est attendue pour le 23 juin. On restera au Luxembourg avec d’autres copains, ceux d’Artaban, mais plus pour une réédition. C’est le nouvel album des frères Charles et Max Nilles – le même qui a réinventé la pochette de Volta Do Mar –, Rec. Play. Rewind., qui sera publié sous le regard satisfait de l’homme du logo de Muaaah! Records. «On est en famille. Quand Artaban nous demande si on veut sortir son nouvel album, on dit oui», expliquent-ils. Et d’étendre leur credo bien au-delà des liens d’amitié qu’ils ont pu forger. «On est d’abord intéressé par la réédition, mais on sait aussi qu’il y a énormément de groupes qui sont en demande pour sortir leur musique sur vinyle. Si on juge que ce que fait tel groupe est cool, pourquoi hésiter?»
«À la base de ce label, il y a un sentiment de famille et de camaraderie. Ce qu’on fait, c’est une passion plus qu’autre chose», lâche le trio. Et d’ajouter, en s’esclaffant : «Comme ça, on ne dépense plus seulement nos thunes pour acheter des disques, mais aussi pour en fabriquer!» Apporter une pierre à l’édifice du vinyle sans se prendre au sérieux, voilà le credo de Muaaah! Records, qui, à l’image de ses trois têtes pensantes, refuse de jouer de prétention. «On ne fait même pas de distribution ou de promotion, comme le ferait n’importe quel label indépendant. Nous, on se concentre sur la production. Si on peut sortir des nouveautés de groupes locaux, les faire tourner sur quelques dates où on peut vendre des disques, qui sait ce que ça pourrait donner?»
Et puisque l’on parle de faire tourner les artistes du label, les copains de Muaaah! Records aimeraient-ils un jour voir Volta Do Mar reformé sur la scène des Rotondes? «Le rêve!», lâchent-ils à l’unisson. «À vrai dire, ils avaient abordé le sujet quand on était en contact, mais ça semble difficile : deux des membres vivent en Grèce et les deux autres à un bout et l’autre des États-Unis. Je crois cependant qu’avec notre idée un peu folle, on a déclenché chez eux un sentiment de nostalgie très touchant. La première chose qu’ils nous ont dit, c’est : « Merci, on ne s’était pas parlé depuis des années », et ils se sont embarqués dans des échanges de souvenirs… Faire revivre ça, même l’espace d’un instant, c’est beau.» Avec tout ce qu’il a encore sous le coude, qui sait de quoi ce label est capable ?
www.muaaahrecords.com