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Bodycams : plus à charge qu’à décharge


Les Sages se demandent s’il ne faudrait pas prévoir le cas de figure d’un déclenchement de l’enregistrement audiovisuel à la demande des personnes concernées.

Le Conseil d’État exige des précisions dans le projet de loi concernant les caméras-piétons portées par les policiers, à qui les auteurs du projet attribuent trop de pouvoirs.

Les bodycams ou caméras-piétons sont un outil à double sens, autant au service de la police que de la population et fonctionnent donc à charge et à décharge. C’est écrit noir sur blanc dans l’exposé des motifs du projet de loi encadrant leur usage. Mais en y regardant de plus près, le Conseil d’État reste sceptique.

Les auteurs du projet de loi indiquent que la première finalité des caméras-piétons est d’ordre préventif. «C’est un outil de prévention des violences physiques et verbales et des menaces faites envers les policiers», précisent-ils en vantant sa «capacité de désescalade de situations conflictuelles» qui devrait conduire à «une diminution des agressions exercées contre les policiers».

La deuxième finalité des enregistrements est la constatation des infractions et la poursuite de leurs auteurs par la collecte de preuves. Dans l’esprit des auteurs du projet de loi, si la capture d’images «contribue à la justification de la légalité et de la légitimité des actions de la police»,  elle protège aussi les citoyens «en cas de comportement fautif de la police».

Si les intentions paraissent claires dans l’exposé des motifs, elles le sont moins dans le texte de loi qui ne reprend pas, dans l’énonciation des finalités du traitement, cette notion de protection du citoyen en cas de comportement fautif des policiers. Le Conseil d’État exige d’ajouter cette troisième finalité et se demande même si le gouvernement ne devrait pas prévoir le cas de figure d’un déclenchement de l’enregistrement audiovisuel à la demande des personnes concernées par les interventions de la police grand-ducale. À ce sujet, les Sages regrettent que le projet de loi prévoit que l’initiative de déclencher la caméra revient au seul membre de la police grand-ducale.

Le citoyen ne peut ni s’opposer à l’enregistrement ni le demander, d’ailleurs. Les auteurs du projet de loi précisent qu’en France, le projet de loi adopté par l’Assemblée nationale prévoyait pourtant la possibilité que l’enregistrement pourrait également être déclenché à la demande des personnes concernées par les interventions. «Il semble important que la garantie que peut constituer l’enregistrement des interventions puisse être utilisée de manière bilatérale, aussi bien pour conforter les agents dans leurs missions, que pour garantir les droits des individus concernés dans leurs relations avec les forces de l’ordre», écrivaient les auteurs français. Le Sénat s’y est opposé, craignant que ce moyen «pourrait contribuer à affaiblir l’action des forces de l’ordre». Les Luxembourgeois ont suivi les Français sur ce point.

Grave ingérence

Reste que le Conseil d’État a émis une seule opposition formelle dans son avis sur le projet de loi. Les policiers ont obligation d’avertir quand ils enclenchent la caméra, une annonce orale qui peut toutefois échapper aux policiers pour des raisons de stress ou de danger immédiat, selon les auteurs du projet. Si le Conseil d’État peut admettre que dans certaines hypothèses l’avertissement peut être matériellement impossible, il refuse de cautionner un texte qui «réserve une place trop grande à l’appréciation de la police grand-ducale». Les Sages estiment que le facteur du stress inhérent à une action policière «ne saurait justifier une entorse à la règle générale». Cette disposition se heurte au principe constitutionnel de proportionnalité applicable en matière de protection de la vie privée, juge le Conseil d’État qui propose de modifier cet alinéa.

Il rappelle encore que le fait d’effectuer des enregistrements audiovisuels de personnes sans leur assentiment, le cas échéant dans des lieux privés, «constitue une ingérence importante dans l’exercice du droit à la vie privée» garanti par la Constitution, par la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales et par la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne. Pour qu’une telle ingérence soit admise, «il faut qu’elle soit prévue par la loi et réponde à des finalités limitativement énumérées par les textes conventionnels, parmi lesquelles figurent la sécurité publique, la sûreté publique, la défense de l’ordre et la prévention des infractions pénales, mais seulement dans la mesure où cette ingérence peut être considérée comme nécessaire dans une société démocratique».

La Commission consultative des droits de l’homme, qui doit rendre son avis cette semaine, ne manquera pas de le souligner à son tour.