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Bob Dylan, l’énigme déchiffrée


Apôtre de la folk et prix Nobel de littérature, Bob Dylan occupe une place essentielle dans la culture pop depuis plus de 60 ans. Une bible colossale rend hommage à cet artiste aussi fameux qu’énigmatique.

On parle de lui comme d’une icône ou encore d’un monument de la culture américaine. On connaît ses chansons, un grand nombre parues depuis la fin des années 1950, jusqu’à celles de son plus récent album, Rough and Rowdy Ways (2020). Aujourd’hui, Bob Dylan a 82 ans et le visage émacié.

On le célèbre dans un ouvrage immense, sorti simultanément dans le monde entier et titré Bob Dylan. Mixing Up the Medicine. Plus de 600 pages pour un «livre panoramique», selon l’éditeur américain Callaway, pour ce qu’on définit déjà comme la bible «dylanienne», agrémentée de plus de 1 100 images rares, le tout sous la direction de Mark Davidson et Parker Fishel, deux des meilleurs experts de la star américaine.

Né le 24 mai 1941 à Duluth, dans le Minnesota, le jeune Robert Allen Zimmerman était grandement inspiré par l’un des poètes essentiels du XXe siècle, Dylan Thomas. Alors, il ajouta le prénom du Gallois au sien – ce fut l’acte de naissance de Bob Dylan. Dans l’Amérique des premières années 1960, se glissant dans les pas du chanteur folk Woody Guthrie, Dylan devint, avec Joan Baez, l’une des figures de la protest song qui a inspiré et illuminé la beat generation nourrie aux mots, romans et poèmes de Jack Kerouac, Allen Ginsberg ou encore Lawrence Ferlinghetti.

Présentant Bob Dylan. Mixing Up the Medicine (titre qui fait référence à une ligne d’un grand classique de Dylan de 1965, Subterranean Homesick Blues), l’éditeur français, Seghers, explique : «En 2016, le public découvre l’existence d’archives secrètes de Bob Dylan, trésor de plusieurs milliers de pièces inestimables, manuscrits originaux, carnets de notes et brouillons de chansons, œuvres d’art, photographies, films et enregistrements live ou en studio.

Conservée au Bob Dylan Center à Tulsa, cette collection est aujourd’hui l’un des plus vastes fonds d’archives consacrés à un artiste moderne.» Cette découverte des archives secrètes du «Zim», c’est le New York Times qui, le premier, l’a évoquée, faisant état de quelque 6 000 pièces ayant appartenu à l’artiste. Ce fut un événement. Parce que, depuis toujours, il y a une énigme Dylan…

Dans une récente enquête, on pouvait lire dans M, le magazine du Monde : «À l’été 1964, (Bob Dylan) bascule dans l’introspection et le symbolisme, recourt à l’écriture automatique sous l’influence de son ami le poète beat Allen Ginsberg. Une technique qu’il utilise alors dans les interviews. Ceux qui l’invitent à préciser ses « messages » reçoivent des réponses absurdes ou hostiles.»

L’énigme Dylan, donc. Au fil du temps et de sa carrière, il a assuré le minimum syndical, refusant l’essentiel des demandes d’interview de la presse. Alors, tout et son contraire a pu être dit et écrit sur Bob Dylan : des louanges pour son côté novateur et initiateur, des critiques pour son soutien – un temps – à la papauté ou pour son attribution en 2016 du prix Nobel de littérature.

Des commentaires à son sujet, Bob Dylan donne la sensation de s’en être accommodé, comme s’il était bien au-dessus de toutes ces contingences terrestres. En 2001, dans une de ses rares confidences, il glissait : «Chacun sait qu’il y a une flopée de livres qui sont sortis ou qui vont sortir prochainement à mon sujet. Aussi, j’encourage quiconque m’a rencontré, entendu ou même aperçu à se joindre au mouvement et à pondre son propre bouquin. Sait-on jamais, il se pourrait que quelqu’un porte en lui un grand livre…»

Dans l’immédiat, le grand livre, on l’a entre les mains. Au fil des chapitres de Bob Dylan. Mixing Up the Medicine, en textes, photos et documents, une vie défile, suivant au plus près la chronologie. Bob Dylan, c’est un accident de géographie, une façon de vivre, le son des rues, c’est survivre dans un monde cruel, ici et maintenant. Bob Dylan, c’est, comme l’écrivent Mark Davidson et Parker Fishel, le mouvement perpétuel de l’illusion. La sensation que là, au coin de la rue, on verra surgir Mr. Tambourine Man

Bob Dylan. Mixing Up the Medicine, sous la direction de Mark Davidson et Parker Fishel. Seghers.

Un Nobel discuté

Sur la liste des prix Nobel de littérature, entre la Biélorusse Svetlana Alexeievitch en 2015 et le Britannique d’origine japonaise Kazuo Ishiguro en 2017, Bob Dylan pour l’édition 2016… Si l’Académie suédoise avait distingué des dramaturges – Dario Fo en 1997 ou Harold Pinter en 2005 –, jamais un auteur-compositeur-interprète n’avait été récompensé…

Le «folk singer», en piste depuis les premières années 1960, a cassé tous les codes. Ce Nobel-là déclencha immédiatement des cris d’horreur chez les tenants de la tradition, tandis que les «modernes» applaudissaient des deux mains. Voilà donc un Nobel discuté, et discutable…

Et Dylan de rester fidèle à sa réputation. Ainsi, après avoir attendu deux semaines avant d’annoncer qu’il acceptait le prix, il refusa de se rendre à Stockholm pour recevoir le prix, prétextant un agenda très chargé. C’est Patti Smith qui l’a représenté, lisant le discours que Dylan avait envoyé à l’Académie Nobel le matin de la réception – depuis, elle le tient pour un mufle.

Quelques mois plus tard, Bob Dylan fit dans le plus grand secret le voyage à Stockholm. Dans les statuts de l’Académie, il est prévu que si le récompensé ne se déplace pas pour recevoir son prix, il ne peut empocher le chèque – 800 000 euros! – qui accompagne la distinction.

Dylan le businessman

On peut être un des pères fondateurs de la pop culture et aussi un homme d’affaires averti. La preuve avec «le Zim» qui, fin 2020, a explosé la banque! À 79 ans, il a bousculé l’industrie musicale en cédant l’ensemble de ses droits d’auteur à la major Universal, pour la bagatelle de 300 millions de dollars – Bruce Springsteen et Neil Young ont rapidement imité l’exemple du précurseur.

Un nouveau rapport à l’art et à l’argent… Selon un expert de l’industrie musicale, les droits d’auteur «permettent de toucher des dividendes sur la diffusion d’un titre à la radio ou en streaming, sur des ventes d’album ou sur leur utilisation dans une publicité ou un film», tandis que les détenteurs des droits d’enregistrement «peuvent décider de futures rééditions».

En juillet 2022, peut-être à court de liquidités ou ayant de nouveaux gros besoins, Dylan a vendu ses droits d’enregistrement à Sony, qui portent quasiment soixante ans de carrière ainsi que sur les «droits des futures nouvelles sorties» de chansons, selon un communiqué.

Au moment de la signature de l’accord, pas moins de 29 albums étaient concernés. Montant du deal : plus de 200 millions de dollars pour Bob Dylan, portant ainsi le bénéfice de ses droits à un demi-milliard de dollars. De quoi passer une retraite au soleil…