Accueil | A la Une | Black History Month : «Il nous faut regarder ce passé en face»

Black History Month : «Il nous faut regarder ce passé en face»


Madeleine Yougye : «Sans ce partage d’une histoire commune, le risque, c’est de nourrir le conflit au lieu de l’échange.»

La deuxième édition du Black History Month vient de s’ouvrir au Luxembourg, avec un programme riche, entièrement consacré à l’histoire – souvent invisibilisée – des peuples noirs.

Lancé au Luxembourg l’année dernière par la toute jeune ASBL One People, le Black History Month – ou Mois de l’histoire des Noirs – veut à la fois célébrer, reconnaître et commémorer la richesse historique et culturelle des personnes noires. C’est aussi un moment pour valoriser les contributions et accomplissements des Africains du continent et des Afro-descendants à travers le monde, afin de mettre en lumière leur rôle dans notre société.

Avec un programme mêlant lectures, spectacles, conférences, projections, concerts et expositions, le Black History Month montre tous les défis qu’ils ont surmontés, mais aussi ceux auxquels ils doivent encore faire face au quotidien, avec l’objectif de sensibiliser le public.

«Quand on parle de négritude, les gens imaginent spontanément un groupe monolithique, ce qui est très éloigné de la réalité, nous sommes issus d’une vraie diversité», explique Madeleine Yougye, cofondatrice de One People. «Le Black History Month vise à partager l’histoire de ces différents peuples noirs, qu’on n’enseigne pas à l’école et dont on ne parle pas.»

Si le Black History Month existe aux États-Unis depuis les années 1970, et a été répliqué au Canada puis au Royaume-Uni dans les années 1980, en Europe, on ne trouve aujourd’hui aucune manifestation comparable. La faute notamment à la montée de l’extrême droite sur le Vieux Continent, analyse Madeleine Yougye : «Clairement, c’est compliqué d’introduire cet outil de lutte contre le racisme dans un tel climat. Certains pays ne veulent pas reconnaître leur passé colonial, de faux chiffres sur l’esclavage sont divulgués, etc.»

D’où la nécessité, voire l’urgence, de rétablir les faits : «Sans ce partage d’une histoire commune inscrit dans un circuit officiel, le risque, c’est de nourrir le conflit au lieu de l’échange entre les communautés.» Elle souligne combien ce passé est dur à accepter de part et d’autre, mais prévient aussi que le mettre sous le tapis n’est pas la bonne solution, car il explique les mécanismes et rapports de domination à l’œuvre dans la société actuelle.

«Ça se traduit par des préjugés»

Dans les manuels scolaires, ces pages sombres de l’histoire ne figurent toujours pas de manière détaillée. «On ne trouve rien sur la participation du Luxembourg à la campagne belge de colonisation par exemple. Pourtant, ça a existé.» Des trous dans la mémoire collective que certains acteurs publics cherchent désormais à combler.

À l’image du musée national de la Résistance et des Droits humains : du 14 octobre au 18 novembre, place du Brill à Esch-sur-Alzette, il consacrera une exposition à «La persécution des personnes à peau noire au Luxembourg» lors de la Seconde Guerre mondiale. «Il nous faut regarder ce passé en face», tranche-t-elle.

La passionnante histoire des empires de l’Afrique ancienne est à découvrir dans quatre docu-fictions. Photo : dr

Car il continue d’influencer nos représentations des décennies plus tard. «Ça se traduit par tous les préjugés et comportements d’éviction qu’on peut avoir, et une peur partagée. Les uns craignent qu’on touche à leurs privilèges, les autres s’enferment dans la colère de ne pas être entendus.»

Le Plan national contre le racisme promis par le gouvernement devrait être présenté dans les prochains mois, un pas dans la bonne direction pour Madeleine Yougye : «Ce plan, on y travaille en collaboration avec le ministère de la Famille, et on aimerait d’ailleurs que le Black History Month puisse y être inclus. On sent une vraie volonté d’avancer, la dynamique est positive.»

Un hommage à Amilcar Cabral

Au cœur de cette édition 2024, un hommage à Amilcar Cabral, militant indépendantiste assassiné en 1973. Il a dirigé la lutte armée de libération nationale en Guinée-Bissau et pour le Cap-Vert contre le colonialisme portugais. Alors que cette année marque le centenaire de sa naissance, le Black History Month braque les projecteurs sur son héritage.

«Beaucoup de gens ne savent pas qui c’est, y compris de jeunes Afro-descendants. Parler de lui est donc crucial, la transmission de cette histoire est très importante», poursuit-elle. L’œuvre de Cabral sera l’occasion d’explorer la mémoire des diasporas au Grand-Duché lors d’une soirée programmée demain à Esch-sur-Alzette, qui affiche déjà complet, et lors d’une table ronde le 19 octobre sur le panafricanisme, idéologie qui prône l’unité et la solidarité entre les peuples africains. 

En parallèle, le Black History Month plongera dans l’histoire ancienne du continent africain, ses grandes civilisations, royaumes et empires à travers les âges. Là encore, alors que pendant des siècles, la période précoloniale de l’Afrique a été négligée, déformée ou ignorée par les historiens, l’idée est de lui redonner tout son lustre à travers une série de documentaires-fictions projetés aux Rotondes.

Le premier, consacré à l’empire zoulou, sera projeté ce mercredi 2 octobre en présence du réalisateur (lire ci-dessous). Puis, le 9 octobre, place à l’empire du Mali, fondé par Soundiata Keïta au XIIIe siècle, les 16 et 21 octobre étant respectivement focalisés sur ceux du Soudan et du Burkina Faso. «Personne ne connaît ces empires, c’est le néant. Alors qu’on a tous appris la Prusse ou Napoléon…», déplore Madeleine Yougye. «Encore une fois, c’est nier la réalité.»

Des actes de bravoure largement oubliés

Enfin, la thématique de la Seconde Guerre mondiale sera l’un des fils rouges des animations de ce mois d’octobre, la place des Afro-descendants durant cet épisode restant largement méconnue. Les empires coloniaux ont enrôlé des hommes et des adolescents, organisant des conscriptions obligatoires dans de nombreux villages au profit de leurs forces armées.

En plus de l’exposition du musée national de la Résistance, le 26 octobre au Cercle Cité à Luxembourg, une conférence (en français et anglais) permettra de comprendre le rôle des Afro-descendants pendant le conflit en mettant en évidence leurs sacrifices et actes de bravoure, peu approfondis dans les livres d’histoire.

À noter, le 23 octobre au centre Opderschmelz à Dudelange, l’artiste luxembourgeoise Chantal Maquet, dont les parents ont été colons, racontera son histoire familiale dans une lecture-performance reliant passé et présent, et creusant des thèmes comme le colonialisme luxembourgeois, le postcolonialisme et le racisme.

Le programme complet (une trentaine d’événements) est consultable sur le site de l’association. Les inscriptions peuvent se faire directement en ligne.

onepeople.lu

L’empire zoulou, ce mercredi soir aux Rotondes

Découvrez l’histoire des grands royaumes et empires africains d’avant la colonisation à travers la projection-débat «L’Empire zoulou, le peuple du ciel». Connaissez-vous l’empire du Mali sous le règne de Soundiata Keïta, le royaume du Burkina Faso dirigé par la reine Yennenga, ou l’Afrique du Sud de Shaka Zulu?

Comprendre l’histoire de l’empire zoulou permet de mieux appréhender la complexité des interactions entre cultures ainsi que la richesse des héritages africains. Ce documentaire-fiction en français (sous-titré en anglais) montre comment l’empire a préservé sa cohésion sociale et son unité, même après la mort de Shaka en 1828, et de quelle façon la région a résisté à la colonisation européenne jusqu’à la fin du XIXe siècle.

Rendez-vous à 19 h, 3 place des Rotondes à Luxembourg, entrée gratuite, réservation sur onepeople.lu.

L’héritage du militant indépendantiste Amilcar Cabral, assassiné en 1973, est au cœur de l’édition 2024. Photo : dr