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[Bibliothèques insolites] En prison, la lecture sans écrin


Géraldine Thill s'occupe de l'atelier reliure dans lequel se trouve la bibliothèque du Centre pénitentiaire. (Photo : julien garroy)

Ce nouvel épisode de notre série sur les bibliothèques du pays nous emmène à Schrassig, au Centre pénitentiaire de Luxembourg. Rares sont ceux à l’avoir déjà fréquentée.

Bien que la lecture constitue un moyen d’évasion indiscutable, le Centre pénitentiaire de Luxembourg ne la traite pas comme une menace. La preuve : à l’instar des autres prisons du pays, il possède une bibliothèque réservée aux détenus. Toutefois, ici, on est loin de la médiathèque accueillante. Pas de tables pour s’installer, pas de fauteuils moelleux, pas de coin lecture feutré. Il s’agit essentiellement d’un lieu de stockage.

La bibliothèque occupe aujourd’hui un coin de l’atelier reliure. Quatre rayonnages métalliques blancs y sont alignés, remplis d’environ 14 000 livres rangés selon leur cote. Installé au bout des étagères, le coin bureau a un aspect purement fonctionnel. La gestion quotidienne est assurée chaque matin par un détenu, chargé de centraliser les demandes de ses compagnons.  Il travaille sous la supervision de Géraldine Thill, relieuse de métier depuis 25 ans. «La bibliothèque était déjà là en 2021 quand j’ai commencé à travailler ici», précise-t-elle. Un atelier lecture aurait bien existé «dans le temps», mais aujourd’hui les détenus lisent surtout en cellule.

La bibliothèque est constituée de quatre rayonnages. (Photo : julien garroy)

Trois livres pendant deux semaines

Petite particularité du corpus de cette bibliothèque : sa diversité en langues. Le catalogue propose en effet des ouvrages écrits dans une trentaine de langages, allant de l’allemand à l’arabe en passant par le japonais, le danois ou l’estonien. Depuis leur cellule, les détenus consultent ce catalogue papier et peuvent commander jusqu’à trois livres pour deux semaines, avec possibilité de prolongation. «Il y a une vingtaine de demandes par semaine, ça varie», calcule Géraldine Thill. Des demandes pour des romans, des ouvrages de psychologie, des manuels pour étudier et même des livres de cuisine… «Un peu de tout», résume-t-elle.

Le circuit est bien réglé : les détenus remplissent une fiche d’emprunt mentionnant l’auteur et le nom de l’œuvre désirée, puis les livres demandés sont préparés sur un chariot. Un détenu le récupère alors avec un agent pénitentiaire pour procéder à la distribution dans la prison. Tous les détenus ont le droit d’emprunter. Et quand les ouvrages reviennent abîmés – ça arrive parfois –, Géraldine Thill sait comment les réparer.

Les détenus remplissent une fiche d’emprunt. (Photo : julien garroy)

Mais à quoi sert une bibliothèque dans une prison? La responsable répond d’abord de façon pragmatique : «Pour occuper ceux qui ne vont pas travailler dans les ateliers par exemple.» Elle est aussi utile pour apprendre, «se changer les idées» et «rester dans le nouveau monde».  La population, qui peut grimper jusqu’à 443 prisonniers, est de «tous les âges» et «très diversifiée», si bien que la responsable n’a pas repéré un type de livres particulièrement demandés.

Idem quand il s’agit de savoir si les femmes lisent plus que les hommes, comme c’est le cas en dehors des lieux d’incarcération (60,5 % des femmes lisent des livres, contre seulement 44,5 % des hommes en Europe). Dans les faits, il y a plus d’hommes que de femmes au CPL, reprend-elle, et donc plus d’hommes que de femmes parmi les emprunteurs.

Si la lecture est présentée comme une activité qui participe à la réintégration – c’est d’ailleurs ce qu’indique la Fédération internationale des associations et institutions de bibliothèques, l’IFLA –, il peut sembler étonnant que la bibliothèque n’ait pas de budget consacré. Géraldine Thill ne peut passer de commandes ni procéder à des achats, et le prêt interbibliothèques n’existe pas.

En fait, les livres proviennent de dons, plus ou moins récents. La responsable indique qu’elle supervise le contenu des rayons, excluant en particulier les œuvres traitant de la guerre ou du terrorisme. Pas d’ouvrage pornographique non plus, ajoute-t-elle. Elle n’a pas reçu de formation spécifique de bibliothécaire et s’est formée toute seule au logiciel de gestion : «Si on veut, on peut tout apprendre», assure-t-elle.

Ce fonctionnement doit toutefois évoluer un brin. La bibliothèque est appelée à déménager à l’étage de l’atelier, dans une pièce réservée. Les murs sont déjà prêts à recevoir les étagères. D’une pierre, deux coups : l’atelier de reliure gagnera en place et la «bibliothèque (qui) n’a rien à faire dans l’atelier» sera un peu à l’abri des bruits.

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