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[BGL Ligue] «Si le Swift avait été une entreprise, il serait déjà en faillite»


Il s’occupait du matériel sur son temps libre et occupait le reste à regarder les comptes. (Photo : archives lq/mélanie maps)

BGL LIGUE (MATCHES EN RETARD) Directeur à la retraite de grandes surfaces, l’ex-bénévole hesperangeois Justin Randriatsoaray a, sur son temps libre, mené une «petite» étude de la gestion du Swift. Et il ne comprend pas comment ça marche…

Il a presque l’air gêné d’exhiber ses grandes feuilles «paperboard» recouvertes de chiffres. «Vous comprenez, si je fais ça, c’est parce que j’aime ce club», commence Justin Randriatsoaray, qui a passé des années à jouer les hommes de l’ombre dans le vestiaire, à regarder les chiffres s’agiter, du haut de son DEA en économie. «Ce n’est pas pour critiquer, c’est pour aider. Je vois tout l’argent que le sponsor investit dans cette équipe et je me demande s’il sait comment tout ça est utilisé. Mais pour moi, c’est illogique. Si le Swift était une entreprise, il serait déjà en faillite.»

C’est ce que le Malgache a conclu après des heures et des heures passées chez lui, à Bertrange (le Bertrange français, pas le Bertrange luxembourgeois), à compulser toutes sortes d’informations, de rapports financiers surtout, à les croiser avec ce qui se fait à l’international ou encore sur le sol luxembourgeois. Alors que Hesperange, pointé à onze points du leader differdangeois, traverse une crise majeure depuis la grève d’un effectif se plaignant de retards de paiement, ses conclusions prennent une résonance toute particulière.

Ce club conçu pour tout gagner, et qui dépense beaucoup plus que les autres pour y parvenir, n’a finalement remporté, depuis sa remontée en 2020, qu’un seul trophée. Un titre de champion en 2023. C’est bien peu. Et cela explique aussi sans doute l’impatience et les troubles au sein du club. Une politique sportive à revoir? En tout cas, quasi systématiquement en Europe, plus gros budget et effectif le mieux valorisé égalent titre. Pas au Luxembourg. C’est qu’il doit y avoir un problème quelque part. Justin a mené l’enquête…

Une taille d’effectif sans intérêt…

Pourquoi tant de joueurs au Swift? Pour avoir le choix. Certes. Mais 47 joueurs en 2021/2022, 38 en 2022/2023, 46 en 2023/2024, cela a agacé absolument tous les coaches qui se sont succédé sur le banc de touche. Et pour cause, Justin Randriatsoaray a réussi à isoler une constante : quel que soit le technicien, il utilisera toujours le même nombre de joueurs. Une étude des coaches ayant le mieux performé ces dernières années en BGL Ligue montre que les onze joueurs les plus utilisés de leurs effectifs se partageaient 70 à 77 % du temps de jeu. Et que seize joueurs seulement de ces effectifs trustaient entre 87 et 94 % des minutes sur le terrain.

La saison passée, seize joueurs de l’effectif de Carlos Fangueiro puis Roland Vrabec avaient passé moins de 500 minutes sur le terrain sur toute la saison de DN. Mais un seul (Stolz) avait joué plus de 1 900 minutes (sur 2 700 possibles). C’est dire la dilution des temps de jeu. Faut-il y chercher une raison de l’échec? Sous Carzaniga, l’année du titre, ils avaient été cinq, quasiment six, au-dessus des 2 000 minutes. Bref, proches d’un fonctionnement normal. Pour un résultat «normal» : une couronne.

D’ailleurs, ce mode de constitution de l’effectif est pour le moins anachronique. En Europe, même les clubs aux gros moyens financiers et conçus pour écraser la concurrence ont cessé de bâtir des groupes pléthoriques. Le Real compte 23 joueurs, Manchester City 24, le Bayern Munich 27 et le Paris Saint-Germain 26…

… et surtout qui coûte cher : au moins 1,5 million pour rien sur trois saisons

Partant du principe énoncé par les coaches qui ont dit leur envie d’un effectif restreint en arrivant au Holleschbierg (c’est-à-dire… tous), mais aussi de l’évidence que 26 garçons pourraient amplement suffire, Randriatsoaray a tiré sur le fil. Combien coûte la constitution d’un «loft», mis en place par certains entraîneurs? À hauteur d’un salaire minimum par joueur intégré à ce «loft» de façon réelle ou virtuelle (un joueur qui n’apparaît pas dans le groupe peut être considéré comme surnuméraire, de facto), ces garçons inutilisés représentaient un surcoût de 580 000 euros lors de la saison 2021/2022, 345 000 euros en 2022/2023 et 620 000 euros en 2023/2024. Montant total sur trois saisons pour ces joueurs qui n’auront que très, très peu servi : 1,545 million.

Constat sans doute encore pire pour Randriatsoaray : la saison passée, l’effectif au complet du F91 (indemnités joueurs et entraîneurs), qui a fini 3e, a coûté presque autant (630 000 euros) que ce seul «loft» hesperangeois, tandis que celui de Differdange, 1er… a coûté moins encore : 515 000 euros.

Avec 1,335 million, une masse salariale (joueurs) presque trois fois supérieure à celle du champion

En 2023, parmi les clubs européens, le Swift était, comme on peut s’y attendre, largement au-dessus du lot en termes de masse salariale. Les chiffres consultés par l’ancien responsable du matériel du club hesperangeois font d’ailleurs état d’une augmentation constante de ce montant au Holleschbierg : 2,6 millions en 2021, 3,1 en 2022 (+20 %), 4,2 en 2023 (+34 %). Outre la réflexion à mener sur l’optimisation du fonctionnement du club dans son ensemble, soulevée par l’ancien directeur de magasins Leclerc, Intermarché ou Casino, c’est le chapitre sur la masse salariale des joueurs qui parle.

Le Swift aurait-il entamé une réflexion profonde sur son mode de fonctionnement? Avec «seulement» 33 joueurs dans le vestiaire cette saison (treize de moins qu’en mai dernier), les indemnités pour les joueurs et entraîneurs ont considérablement baissé. Le Swift avait déjà fait -17 % entre 2022 et 2023 (de 1,6 million à 1,335), cela peut-il encore baisser en 2024? Cela devrait. C’est l’idée. Mais il restera de toute façon encore largement au-dessus de clubs aujourd’hui… devant lui au classement. Les masses salariales du FCD03 et du F91? En 2023, elles étaient respectivement, comme annoncé plus haut, de 515 000 euros (-9 % par rapport à l’année précédente) et 630 000 euros (-28,5 %). C’est-à-dire que les deux clubs dépensent plus de la moitié moins pour un meilleur résultat en championnat. Il y a là matière à réflexion.

Le seul club du «Big four» à avoir un solde de transferts négatif : -400 000 euros en deux ans

Cela fait quelques années que les clubs du pays se sont engagés dans des démarches visant à vendre, à l’étranger notamment. Tous sauf… le Swift apparemment. Puisque comme l’a relevé Justin Randriatsoaray dans les états financiers des clubs du top 4 habituel, Hesperange a dépensé des sommes astronomiques pour acheter ses joueurs. 205 000 euros en 2022 et 300 000 euros en 2023. Ses ventes de joueurs ne lui ayant rapporté «que» 60 000 euros en 2022 et 40 000 euros en 2023, il aura dépensé la bagatelle de 400 000 euros ces deux dernières années pour se forger une équipe.

Dans le même temps, si Differdange était encore légèrement déficitaire en 2022 (-30 000 euros), il a inversé la tendance en 2023 (+65 000), c’est le F91 qui casse la baraque, notamment avec ses jeunes : lui qui n’a déboursé que 10 000 euros en moyenne ces deux dernières années pour recruter, a pris un chèque de 120 000 euros en 2022 et un autre de 145 000 euros en 2023. Quant aux données du Progrès, plus difficiles à trouver, elles indiquent qu’en 2023, le club a gagné 50 000 euros, mais avec des sommes gelées et pas encore comptabilisées car débloquées seulement à partir de signatures de joueurs ou de performances justifiant l’attribution d’une prime. Sans compter les 20 % que toucherait le club en cas de transfert de Florian Bohnert quittant Bastia. Bref, le Swift, lui, est loin de tout ça alors même que ses joueurs, qualitativement parlant, pourraient très facilement repartir à l’étranger en échange de devises…