Sanel Ibrahimovic est devenu joueur première licence début décembre 2019, après douze ans de présence au pays en tant que joueur non sélectionnable. Une petite histoire folle.
Pour ceux qui doutent encore des bienfaits des repas pris en commun au sein des clubs de foot, il leur faut absolument connaître l’histoire d’un Bosnien devenu première licence entre le plat principal et le dessert.
C’était le 7 décembre 2019, un peu avant un match de Coupe Wiltz – Jeunesse (3-0). Le président nordiste Michael Schenk est là, entouré des hommes forts de son secteur sportif et tous trois évoquent le passé avec Sanel Ibrahimovic, arrivé onze ans plus tôt de Bosnie.
Leur avant-centre, auteur de 130 réalisations en 217 matches de DN, deux fois meilleur buteur du pays, vainqueur de quatre championnats et quatre Coupes, passé par des clubs aussi prestigieux et huilés administrativement que la Jeunesse et le F91, leur annonce qu’il n’avait… jamais joué au foot de prairie avant de mettre les pays au Grand-Duché.
«Comment cela avait-il pu leur échapper?»
Michael Schenk hausse les sourcils et prend son bâton de pèlerin pour démarcher la FLF et la faire entrer en contact avec ses homologues bosnienne et croate. La réponse tombe une semaine plus tard : «Ibra» n’a jamais joué qu’au futsal dans ces deux pays. Plus drôle encore, sa première licence, il l’a donc signée à Wiltz. Il avait affronté la Jeunesse en tant que non-sélectionnable, il finira l’année 2019, contre Rumelange, en tant que sélectionnable.
«Une sacrée trouvaille, s’enthousiasme encore Dan Huet. Cela a étonné pas mal de gens, qui nous ont téléphoné. Comment se faisait-il, après tout, que le tout petit club de Wiltz ait pu découvrir ça quand cela avait échappé à toutes les grandes équipes dans lesquelles il était passé avant et où il était considéré comme étranger (NDLR : et où ça lui a parfois coûté sa place dans le groupe, comme au F91)? En même temps, vu tous les buts qu’il marquait en arrivant, qui aurait pu s’imaginer qu’il n’avait jamais enfilé de crampons auparavant?»
Wiltz n’aura pas pu profiter à fond de ce trésor qu’il a découvert en n’ayant même pas besoin de creuser bien profond. Se dénicher un première licence de plus avait une importance considérable la saison passée, mais depuis, le mercato estival du club nordiste s’est chargé de rééquilibrer ses comptes en matière de Luxembourgeois.
«C’est juste, sourit Huet, qu’on a eu l’impression de transférer deux fois le même joueur en six mois. On a pris un excellent attaquant en été et on a reçu un Luxembourgeois en hiver.»
Des efforts démesurés pour s’intégrer
Après tout, ce n’est que justice. Car s’il existe des joueurs première licence qui ne parlent pas un mot de luxembourgeois, Ibrahimovic fait lui des efforts démesurés pour s’intégrer depuis qu’il a posé son baluchon au pays.
Après avoir digéré le français pour pouvoir communiquer avec les Belges de l’effectif, il a embrayé sur l’idiome local au point, aujourd’hui, de «parler parfaitement la langue, s’étonne son directeur sportif, Robert Janssen. Et maintenant, il travaille dans l’administration des Ponts et Chaussées. Non, vraiment, ce gars est épatant. Il est capable de tout et bosse comme au premier jour. Aux tests VMA, il est toujours dans les cinq premiers.»
Et il marque toujours autant. C’est bien pour cela que le revoir en DN est un véritable bonheur. «Ibra» n’aura quitté l’élite qu’une saison. Histoire de mettre une grosse vingtaine de buts en quinze matches de PH, alors qu’il tournait déjà à un but toutes les 88 minutes lors de sa dernière saison dudelangeoise, où il était devenu un joker de luxe. Forcément, offrir la victoire aux siens contre le F91, lors du dernier amical de présaison (2-1), le week-end dernier, en dit long sur le rôle qu’il pourrait encore tenir dans ce championnat auquel il a tant manqué.
«Seul, il a marqué plus de buts en DN que toute mon équipe réunie, souffle Neil Pattison, l’entraîneur d’Etzella. C’est le type d’attaquant que tout coach au pays rêverait d’avoir et c’est un bon challenge pour mes défenseurs. Il faudra le bouffer.» On en revient à la nourriture?
«J’ai dit qu’il était spécialiste de cuisine bosnienne»
C’est drôle, douze ans plus tôt, «Ibra», éternel affamé, était pourtant arrivé un peu les mains dans les poches et Henri Roemer, alors président du FC Wiltz, avait trouvé une combine gastronomique pour le lancer. C’est ce qu’il avait en tout cas confié à nos confrères de So Foot, il y a quelques années déjà : «Le problème, c’était que pour qu’il puisse jouer, il lui fallait une autorisation de travail et donc, pour ça, justifier être spécialisé en quelque chose. Alors je l’ai embauché dans mon hôtel en disant qu’il était spécialiste de la cuisine bosnienne. Je ne sais même pas s’il sait cuisiner, il faisait les petits-déjeuners.»
Au petit-déj’, il y a donc un derby du Nord. Mais Sanel, devenu en douze ans «Ibra», n’oublie pas qu’il n’a jamais encore marqué en Coupe d’Europe et que son club n’a d’ailleurs jamais participé aux joutes continentales. Cela ferait un bon plat de résistance, non, pour un spécialiste de la cuisine luxembourgeoise?
Julien Mollereau
Wiltz – Etzella, samedi, 18 h 30, stade Am Pëtz.