Le troisième pirate élu à la Chambre des députés est tout nouveau en politique. Portrait de ce moussaillon de 33 ans qui a les pieds bien sur terre.
«Installez-vous dans la salle de conférences. Monsieur Polidori n’a pas encore son propre bureau ici», nous glisse-t-on dans un sourire à notre arrivée au siège du Parti pirate en Ville-Haute à Luxembourg. Pas encore de bureau et pour cause : Ben Polidori, qui vient d’être élu député et siégera aux côtés de Sven Clement et Marc Goergen à la Chambre, est un nouveau visage de la vie politique grand-ducale, apparu pendant la campagne des législatives dans la circonscription Nord.
Lorsque le trentenaire s’avance pour nous saluer, l’on reconnaît sans peine celui qui, à la proclamation des résultats des élections, avait été photographié dans les bras de Sven Clement, le sourire extatique, les yeux derrière ses lunettes rondes embués de larmes. Ce sont d’ailleurs à peu près les seules images de lui qui figurent sur le web, exceptées quelques-unes datant de l’époque, pas si lointaine, où il était footballeur. Quant aux informations à son sujet, elles sont bien minces : des articles de presse mentionnent sa carrière de milieu de terrain offensif à Käerjeng, Dudelange ou Wormeldange jusqu’en 2021 et son profil LinkedIn indique qu’il occupe une fonction de responsable informatique chez Post.
Ben Polidori, d’un abord chaleureux et réservé, semble encore sous le coup de l’émotion, quatre jours après la proclamation des résultats*. À l’évocation de cette soirée où le suspense avait été à son comble, sa voix se fait plus joyeuse. «Je ne suis pourtant pas quelqu’un de sensible», nuance-t-il, lorsqu’on lui rappelle qu’il avait eu toutes les difficultés du monde à s’exprimer devant les micros, tant l’émotion le submergeait. Il est vrai que plus l’entretien se poursuit et plus celui qui aura 34 ans dans un mois se montre déterminé et rationnel.
Une nouvelle vie se profile
Né à Esch-sur-Alzette d’un père responsable des achats dans une enseigne de bricolage et d’une mère propriétaire d’une station-service puis d’une vidéothèque à Luxembourg, il vit jusqu’à ses 18 ans à Dudelange. Il suivra ensuite ses parents qui emménagent en Allemagne. À 19 ans, il quitte l’école avant de décrocher son diplôme de fin d’étude – «je n’étais pas un mauvais élève, mais j’ai traversé une période difficile. Mes professeurs n’ont pas compris que j’arrête, il y a eu des discussions à la maison, se remémore-t-il amusé, mais pour moi, c’était le moment d’entrer dans la vie active».
Il trouve un emploi dans une petite société d’informatique à Bertrange et la quitte, deux ans plus tard, pour entrer chez Post. Là, embauché comme installateur, il a «la chance de (s)e montrer sur certaines situations» et grimpe les échelons jusqu’à aujourd’hui, où il dirige une équipe spécialisée dans le développement de produits. Dans l’entreprise, on ne tarit pas d’éloges sur lui : «sérieux», «travailleur», «bienveillant», «disponible», «mûr», «sachant gérer ses équipes», «humble»… Il paraît faire l’unanimité.
Ce poste, le pirate va devoir le quitter pendant les cinq prochaines années. Le congé légal de 20 heures par semaine octroyé aux députés durant leur mandat lui semble insuffisant au vu de ses ambitions. Il a bien l’intention de «travailler au maximum» sur ses dossiers et continuer d’«avoir le temps de discuter avec les gens qu’on représente». Depuis les résultats des élections, c’est donc une nouvelle vie qui se dessine, à laquelle rien le prédisposait : dans sa famille, de sensibilité plutôt socialiste, on ne parlait jamais de politique, ni quand il était jeune, «ni maintenant», rigole-t-il.
Conseiller communal depuis 2022
Quelles raisons ont donc poussé cet étranger à la politique à se lancer dans une telle aventure? Ben Polidori tente de retracer le fil des évènements. Devenu père d’une petite fille en pleine crise du covid – «ça change la façon de penser» –, il rejoint les pirates. Au début, «pour les soutenir, même si je n’avais pas épluché en détail leur politique. Mais ce qu’ils disaient sur la famille, le logement et surtout sur la transparence, sur l’implication des citoyens à la vie politique m’a attiré».
En 2022, il se présente aux élections communales de Vichten où il habite depuis quatre ans avec sa femme, Kim, qui est enseignante. Il devient alors l’un des membres du conseil, avec la volonté de «changer les choses qui ne (lui) plaisent pas». Lui qui avait pourtant cessé de jouer au football pour concilier plus sereinement vies professionnelle et familiale, le voilà qui s’engage activement dans le nouveau comité du Parti pirate de la circonscription Nord. Une idée toujours en tête, celle de vouloir «faire la différence».
«Nous aussi, on aime le Luxembourg»
Les cinq sièges gagnés par l’ADR, lors des élections législatives, constituent, comme pour la plupart des observateurs de la vie politique grand-ducale, une surprise pour le pirate. Même s’il reconnaît que les thèmes abordés dans la campagne «provocante» du parti réformateur intéressent les électeurs. Toutefois, Ben Polidori ne veut pas leur laisser le monopole du discours sur les étrangers ou la langue luxembourgeoise. «Nous aussi, on aime le Luxembourg et la croissance du nombre d’étrangers ou la langue sont des thématiques plus complexes que de se dire simplement pour ou contre.»
Durant la campagne des législatives, il peut compter sur le soutien de sa famille. Son père et lui parcouraient, certains jours, près de 400 km pour accrocher les panneaux et autres affiches électorales. Une période de travail intensive qui finit par payer, puisqu’il obtient 4 804 voix. Quant au fait de ne pas avoir d’expérience en politique, cela ne l’effraie pas. «Pour moi, la vie a toujours été un challenge d’un point de vue professionnel ou familial… On doit apprendre tous les jours, c’est important de ne pas se contenter de ce que l’on a», explique cet autodidacte.
Quatre jours après la proclamation des résultats, Ben Polidori esquive dans un rire les questions sur les enseignements à tirer de ces législatives ou sur les prochaines élections européennes. Trop tôt, selon lui. Mais il reconnaît qu’il ne serait pas contre le fait de se représenter à la Chambre dans cinq ans, si l’expérience lui a plu. D’ici là, parions que le web regorgera d’occurrences à son nom.
* L’entretien a eu lieu le jeudi 12 octobre.