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[BD] Radiographie d’un rock libre


(photo Glénat)

Ils défendaient une musique sans compromission, totale et engagée… Arnaud Le Gouëfflec et Nicolas Moog plongent dans les années 1980 en France et racontent l’histoire du rock alternatif avec celles et ceux qui l’ont fait vivre.

On le sait depuis 2013 et leur fructueuse collaboration au sein de La Revue dessinée : Arnaud Le Gouëfflec et Nicolas Moog aiment la musique, surtout celle qui se cache dans les marges, loin du mainstream et du bruit de fond numérique.

Un plaisir partagé qui, toutefois, se prend au sérieux comme en témoignait Underground (2021), déjà chez Glénat, compilation dans laquelle ils célébraient les rockeurs maudits et autres prêtresses du son, la plupart passés sous les radars mais à l’influence artistique toujours considérable.

À cette bible illustrée d’une scène avant-gardiste mondiale s’en ajoute une autre, plus pointilleuses encore : la belle aventure du punk et du rock dit «alternatif» en France, entre 1981 et 1989.

Une période d’une folle créativité, reflet d’une société en mutation, que le scénariste et le dessinateur n’ont pas connue, ou du moins, juste un petit bout comme ils le confient en début d’ouvrage : «On commençait à peine à en définir les contours que c’était déjà la fin».

Tout allait commencer pour eux avec l’écoute, au collège pour l’un et place de l’Esplanade à Metz pour l’autre, d’une cassette d’un groupe devenu le symbole de ce mouvement : Bérurier noir, collectif d’«agités», sa figure de proue parmi toute une constellation de formations satellitaires. Il en sera la locomotive, le modèle et le bourreau quand, le succès guettant, il décide d’arrêter l’aventure dans une grande fête à l’Olympia, trois jours durant.

La genèse, l’avènement et la mort des «Bérus» constituent l’épine dorsale de ce récit inventif, chronologique et choral, porté par les confidences de nombreux acteurs de l’époque. Logique, alors, d’y retrouver deux de ses piliers : le guitariste Loran et le manager Mastu (également fondateur du label Bondage).

Ce «truc qui déboule et qui pète tout»

Ce dernier, en préface, semble souhaiter bon courage aux deux auteurs car selon lui, «ce n’est pas facile d’illustrer la notion d’éthique». Le premier, lui, a les honneurs de toute la préface dans laquelle il reconnaît aussi la difficulté de la tâche, avant de saluer «une épopée magnifique» portée par une musique libre, un esprit sauvage et des valeurs humanistes. Il dira, plus tard, pour mettre une définition sur le mot «alternatif» : «Ne pas suivre le chemin que l’on aurait dû, et inventer sa vie».

Il faut remontrer aux années 1976-77 pour découvrir ce «truc qui déboule et qui pète tout», dirait Marsu. Il y a d’abord les influences d’ailleurs (Iggy Pop, New York Dolls) puis les précurseurs locaux (Stinky Toys, Métal Urbain, Les Olivensteins). Cela dit, il faudra attendre 1981 pour que la scène s’affirme et se montre (en cinq ans n’ont été enregistrés que dix 45 tours et un album, sorti plus tard, apprend-on dans le récent documentaire de Lionel Boisseau, Punk is not vraiment dead?!).

C’est parallèlement l’année où la gauche de François Mitterrand accède au pouvoir, pour rapidement décevoir. Car cette musique (et son impact) épouse de près l’histoire sociale et politique de la décennie à suivre, celle du tournant de la rigueur, de la cohabitation, des Restos du cœur, de la marche des Beurs, du Front national, des attentats d’Action directe, de la mort de Malik Oussekine.

Au milieu de ce tumulte surgissent un paquet de groupes, de Paris comme d’un peu plus loin. Certains sont connus (Ludwig Von 88, Parabellum, Les Garçons Bouchers, Les Wampas, Oberkampf, Les VRP, Les Thugs, Les Sheriff), d’autres moins (Camera Silens, Al Kapott, Les Collabos, Les Trotskids). Tous, de manière plus ou moins fidèle, partagent des principes : l’autoproduction et l’autodétermination créative (selon l’adage «Do It Yourself»), mais aussi une forme d’art total.

Le rock est la dernière aventure du monde civilisé

De cette indépendance farouche va naître, autour d’eux, tout un monde fait de labels indépendants (dont V.I.S.A.), de squats, de lieux de rendez-vous (l’usine de Pali-Kao, le jardin du Luxembourg, les Halles…), de fanzines et de radios libres. Au bout, des collectifs qui se créent, se mélangent et disparaissent, des concerts enlevés, des bagarres contre les skinheads et des compilations à mettre à fond dans les oreilles (Chaos in France, Kompilation).

Toujours bien documentés, s’appuyant de surcroît sur les souvenirs de certains musiciens, artistes ou fans (Didier Wampas, JeanYves Prieur, David Dufresne, Eric Sourice, Virginie Despentes…), Arnaud Le Gouëfflec et Nicolas Moog livrent un ouvrage documentaire de haute tenue et à l’épais trait noir, évoquant les espérances comme les désillusions d’une jeunesse pleine de rêves. Il se veut en tout cas le témoin d’une des plus belles utopies de la fin du XXe siècle en France.

«Le rock est la dernière aventure du monde civilisé», dit d’ailleurs Spi, d’OTH. Après la chute de mur de Berlin en 1989 (ouvrant la voie à l’ultralibéralisme) et la signature la même année de Mano Negra chez Virgin (et des Négresses vertes chez Warner), l’hommage se referme sur une galerie de portraits («que sont-ils devenus?») et une discographie sur laquelle on retrouve  l’hymne «La jeunesse emmerde le Front national», toujours scandé, trente ans plus tard, quand pousse l’extrême droite, comme ce fut le cas il y a quelques semaines. Toujours en marge, oui, mais pas encore mort.

Vivre libre ou mourir : punk et rock alternatif en France (1981-1989), d’Arnaud Le Gouëfflec  et Nicolas Moog. Glénat.

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