Martin Panchaud, un auteur suisse dyslexique, dépasse son handicap avec un ouvrage uniquement composé de symboles géométriques et de pictogrammes. Un geste audacieux qu’il habille d’une histoire riche en rebondissements. Une réussite totale.
C’est assurément la surprise de cette fin d’année. «La BD la plus unique du moment», ose même la radio Europe 1. Elle est l’œuvre de Martin Panchaud, 40 ans, auteur-illustrateur suisse vraiment pas comme les autres.
En effet, ce dernier souffre, depuis tout petit, d’une dyslexie sévère. «J’ai beaucoup de peine à lire et écrire correctement», confiait-il sur ARTE lors de la sortie de La Couleur des choses, son premier roman graphique.
Un handicap qui l’a obligé à trouver des solutions : ainsi, pour ses dédicaces, il est souvent accompagné d’un robot qui l’appuie dans sa tâche. Et pour ce qui est de l’acte créatif en lui-même, il a aussi dû dépasser son trouble, comme il l’admettait sur la chaine franco-allemande.
«J’ai toujours été attiré par les cartes météorologiques! Elles ont un côté assez émotionnel : il fait beau et on est heureux, il pleut et on est triste… J’ai voulu déployer ce langage-là pour raconter des histoires très humaines.»
Sa première tentative est déjà originale : une adaptation de Star Wars à travers une image de 123 mètres de long, toujours visible en ligne (www.swanh.net), qui a connu un sacré succès (plus de deux millions de vues), surtout après que l’acteur Mark Hamill (qui joue Luke Skywalker dans la saga) a recommandé l’expérience sur les réseaux sociaux.
Publié d’abord en allemand
Un coup d’essai qui va rapidement l’emmener sur le terrain de la BD, avec le même enthousiasme… et les mêmes contraintes.
Tant qu’à faire, pour rester dans la singularité, La Couleur des choses, à l’origine, a été réalisé en français avant d’être traduit en allemand devant le manque d’intérêt des éditeurs hexagonaux.
Die Farbe der Dinge trouve, lui, par contre, de fervents lecteurs : il rafle le prix suisse du Livre jeunesse 2021, est nommé BD de l’année par le quotidien berlinois Tagesspiegel, avant de figurer en bonne place aux prix Max et Moritz (la plus importante distinction en Allemagne pour le 9e art). Il n’en faut pas plus pour que l’ouvrage trouve enfin grâce en France, et c’est tant mieux, ne serait-ce que pour découvrir un système narratif et visuel innovant.
«En art, ne pas respecter la tradition ou l’autorité, c’est un atout!», se convainc Martin Panchaud. Et aux mots, il impose un geste qui déstabilisera plus d’un puriste! En effet, son histoire est intégralement dessinée en vue plongeante sans perspective, et tous les personnages sont représentés sous la forme de ronds de couleur. Un pour chaque protagoniste.
À mi-chemin entre l’expérimentation et le jeu vidéo
Pas de cases ni de bulles : une abstraction totale et un sens de la construction qui ramène à l’œuvre de Chris Ware, mais dans une veine plus drôle, et clairement moins intellectuelle. «L’idée, c’est de créer un nouveau pacte avec le lecteur, poursuit l’auteur. Lui demander de lire une image comme on lirait du texte. Ça offre une plus grande part à l’imaginaire!»
Techniquement, on est à mi-chemin entre l’expérimentation et le jeu vidéo – on pense ainsi aux premiers Grand Theft Auto (GTA), à Pacman ou encore Kick Off. Mais aussi à des schémas et autres plans dont la facture doit beaucoup à divers logiciels de mise en page et autres services de cartographie (Google Map, InDesign, Illustrator…).
Si, au départ, le procédé est déroutant, au fil de la lecture, il fonctionne à merveille, grâce à une mise en scène dynamique, des dialogues bien sentis et des rebondissements qui s’enchaînent. Sorte de thriller à l’anglaise, La Couleur des choses suit en effet les péripéties d’un adolescent, Simon, souffre-douleur de ses camarades et paumé au cœur de sa famille dysfonctionnelle.
Un humour qui fait mouche
Cherchant un moyen de se faire un peu d’argent, il va consulter une voyante et rafler le pactole aux courses, en misant les économies paternelles (volées) sur «Black Caviar». Mais comme son jeune âge l’empêche d’encaisser la somme, tout le monde va vouloir sa part du gâteau…
Aux questions sur le harcèlement, la quête d’identité et de sexualité, la violence familiale, répondent un humour qui fait mouche et des idées loufoques (comme cette histoire de la baleine B-52 ou encore la fabrication artisanale d’une «vaginette»).
Martin Panchaud, avec insolence et fraîcheur, bouscule les habitudes de lecture et montre qu’une BD, aussi minimaliste et radicale soit-elle, peut être pertinente. La voie est désormais ouverte.
La Couleur des choses,
de Martin Panchaud.
Éditions çà et là.
L’histoire
Simon, jeune Anglais de quatorze ans un peu rondouillard, est l’objet de moqueries de la part des jeunes de son quartier, qui le recrutent pour toutes sortes de corvées. Un jour qu’il fait les courses pour une diseuse de bonne aventure, celle-ci lui révèle quels vont être les gagnants de la prestigieuse course de chevaux du Royal Ascot.
Simon mise alors secrètement toutes les économies de son père sur un seul cheval et gagne plus de 16 millions de livres! Mais quand il revient chez lui, il trouve sa mère dans le coma et la police lui annonce que son père a disparu… Étant mineur, Simon ne peut pas encaisser son ticket de pari.
Pour ce faire, et pour découvrir ce qui est arrivé à sa mère, il doit absolument retrouver son père. Au terme d’une aventure riche en péripéties et en surprises, Simon, l’éternel perdant, deviendra un gamin très débrouillard…