La grève des médecins libéraux se poursuit. Ce jeudi, alors qu’un appel à manifester était lancé, le docteur Frédéric Scheiber a suivi le mouvement. Installé à Hussigny-Godbrange depuis 1992, le généraliste explique pourquoi cette grogne fait sens, vu du Pays-Haut meurthe-et-mosellan.
Pourquoi avez-vous décidé de vous mettre en grève ce jeudi ?
Docteur Frédéric Scheiber : « Il y a toujours eu dans le Pays-Haut une grande unité des médecins. Depuis environ six mois, nous ressentons des difficultés toujours plus importantes dans la prise en charge des patients, notamment les nouveaux. Nous avons du mal à les voir, alors que nous cumulons douze ou treize heures de consultations par jour. Le Pays-Haut est un désert médical, où notre activité a toujours été le double du reste du département. Mais en trente-deux ans d’exercice, c’est la première fois que j’en arrive à ce constat : on fait ce qu’on peut et ça ne suffit pas ! »
À quoi est-ce dû ?
« Le numerus clausus, mis en route dès 1971. Son but était de diminuer le nombre de médecins, sous prétexte de réduire les dépenses de santé. Les gouvernements successifs ont poursuivi sa dégradation. Jusqu’en 1993, où il a atteint le minimum : 3 500 médecins formés, toutes spécialités, contre plus de 8 300 en 1971. Les vannes ont été rouvertes, un peu, en 2006. Et en 2021, nous sommes passés au numerus apertus, pour mieux coller à la réalité. Mais il faut dix ans pour faire un médecin… Le pire sera pour 2024, avant un retour, en 2035, au niveau de 2021. Pendant dix à quinze ans, ça sera la misère. »
L’État ne peut pas passer une décennie sans agir…
« L’idée du ministère de la Santé et de la Sécurité sociale est de confier les soins à des infirmiers, kinés, pharmaciens. Selon moi, cette délégation des tâches représente un risque pour nos patients, car le métier et les études ne sont pas les mêmes. Je serai incapable de gérer des stocks de médicaments ! Dans ma maison de santé, à Hussigny, je n’ai aucun souci à encadrer des infirmières, un kiné, une sage-femme. Mais gérer une infirmière dans une commune distante, soignant des patients qui ne sont pas les miens… Il n’est pas question que je prenne cette responsabilité. »
L’une des principales revendications n’est-elle pas la revalorisation de la consultation à 50 € ?
« Dans mon cabinet, je peux financer une secrétaire, car nous avons les reins solides, une large patientèle. Chaque mois, c’est 8 000 € minimum : le loyer, la secrétaire, les charges, etc. Mais à 25 € la consultation, les jeunes confrères ne peuvent pas se payer de secrétaire. Donc ils sont débordés. Je trouve légitime de les soutenir dans cette revendication. On ne peut pas accepter que la consultation reste à 25 € en France, alors que la moyenne européenne est à 50 €. Et nous, nous sommes à cent mètres du Luxembourg, où ce tarif double attire les jeunes médecins. »
Vous avez porté le projet de maison de santé sur Hussigny. Cet outil porte-t-il ses fruits ?
« Si j’ai une réussite dans ma carrière, c’est celle-là. En complément, je suis, depuis trois ans, maître de stage universitaire pour encadrer des internes. Mon ex-associé, le docteur Lionel Emeraux, vient de partir à la retraite. Ce projet va me permettre, début février, d’accueillir une nouvelle associée, une de mes anciennes internes. Et j’espère, dans ce mouvement positif, trouver un troisième médecin. Cela nous permettra d’augmenter la capacité d’accueil et de prévoir, dans les six ans à venir, mon départ. »