Pour le 120e anniversaire de la naissance de l’écrivain, père du célèbre commissaire Maigret, les éditions Dargaud mettent les bouchées doubles avec une biographie et une nouvelle collection consacrée à ses romans «durs». Découverte.
Cette année, à Liège, terre d’origine de ce maître du polar et père du célèbre commissaire Maigret (1903-1989), on n’a pas oublié le 120e anniversaire du héros. Ainsi, un peu partout dans la ville, début mars, Georges Simenon était à l’honneur, dont au musée Grand Curtius qui, à travers une belle sélection de photographies, racontait l’écrivain-reporter dans ses voyages à travers le monde, quatre ans durant (entre 1931 et 1935), de l’Afrique à l’Europe de l’Est. Voir le monde et vivre plusieurs vies (rappelons qu’il a signé ses premières œuvres de nombreux pseudonymes), voilà ce qui motivait l’homme, et voilà ce qui allait nourrir ses histoires, surtout celles qui s’affranchissaient du genre policier, à ses yeux trop codifié.
Une comédie humaine du XXe siècle, dictée par les personnages qui l’animent et non plus par les mécanismes d’un scénario huilé, que l’on retrouve aujourd’hui chez Dargaud, sous l’impulsion du fils de l’auteur, John Simenon, entouré d’une «dream team» conquise depuis belle lurette par les écrits du père : José-Louis Bocquet et Jean-Luc Fromental. On doit même à ce dernier, plus rapide que tout le monde, un premier hommage (De l’autre côté de la frontière, 2020, déjà chez Dargaud). Il se confie sur le site de l’éditeur : «Il y a une telle richesse dans ces romans exotiques! Dire que certains font de lui un « romancier immobile« ! Pour moi, il est résolument du côté des « étonnants voyageurs »».
Une bibliographie foisonnante
Nécessaire pour ne pas se perdre dans une bibliographie foisonnante, le trio a donc fait des choix : d’abord s’intéresser aux livres publiés par Georges Simenon sous son nom propre (soit à partir de 1929). Et donc ensuite mettre de côté le fameux commissaire (au centre de 75 romans et 28 nouvelles) et privilégier les romans dits «durs» (117 au compteur). «S’il les a appelés ainsi, c’est qu’ils étaient durs à écrire!», témoigne John Simenon. Un terme qui convient aussi au style de l’écrivain, précis et tranchant, ainsi qu’aux atmosphères des récits et à la vérité qu’il y peint : celle d’une humanité nue que des circonstances poussent à aller au-delà d’elle-même.
Considéré comme le premier d’entre eux, Le Passager du Polarlys (édité en 1932) comble désormais un vide : celui de voir enfin la BD s’intéresser à l’univers du maître belge, alors que le cinéma (et ses 70 adaptations), la télévision et le théâtre s’y sont emparés depuis des années. Pourtant, le médium est idéal pour brosser, en «one shot», ces histoires «plus noires, plus psychologiques». À bord du bateau à vapeur (que Georges Simenon a vraiment arpenté), on y est vraiment : il y a la mort d’une femme à Montmartre, suivie d’un autre décès sur le cargo en partance vers les glaces norvégiennes, sans oublier la disparition d’un mystérieux passager et la présence d’un ex-prisonnier à bord, comme d’un officier pas très net.
La bande dessinée est un médium légitime pour l’adaptation des romans « durs »
Pour lancer cette nouvelle et prometteuse collection, qui s’est fixé un rythme de deux sorties par an et ce, au moins jusqu’en 2026, un tandem est à l’œuvre : José-Louis Bocquet, donc, qui parle là d’un «roman immersif», et le talentueux dessinateur, Christian Cailleaux, «qui devrait être peintre officiel de marine!», poursuit-il. Ses traits au crayon, fins et délicats, et ses couleurs, mettent en effet dans l’ambiance, froide, sombre et quasi surréaliste. Suivra, dès le mois d’août, un autre duo : Jean-Luc Fromental (scénario) et Bernard Yslaire (dessin) pour la version graphique du classique La neige était sale, «le grand roman existentialiste» de Simenon.
José-Louis Bocquet et Jean-Luc Fromental se relaieront ainsi à chaque nouvelle parution avec, à leurs côtés, un dessinateur différent. Pour le coup, on aura le droit, en 2024, aux adaptations de Barrio Negro (dessinée par Javi Rey) ainsi que des Clients d’Avrenos (Laureline Mattiussi). De quoi appuyer la biographie Simenon, l’Ostrogoth, (intitulée de la sorte «pour son côté rebelle», précise le fils), racontant les années 1920 de l’écrivain, et prévue en triptyque (deux tomes sont déjà sortis cette année). Qu’on se le dise, Georges Simenon a le vent en poupe. Et ça ne fait que commencer!
En bref
Simenon, l’Ostrogoth, biographie de José-Louis Bocquet, Jean-Luc Fromental et Loustal. Troisième tome à paraître cette année
Le Passager du Polarlys, de José-Louis Bocquet et Christian Cailleaux
La neige était sale, de Jean-Luc Fromental et Bernard Yslaire. Sortie en août