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[Bande dessinée] Sous le vernis du «Salvator Mundi»


Comment un tableau, cédé pour quelques dollars en 2005, a-t-il pu être revendu près d’un demi-milliard de dollars douze ans plus tard ? C’est l’objet de l’enquête menée par Antoine Vitkine qui, après un documentaire, revient à la charge en BD.

C’est un tout petit tableau (65 x 45 cm) qui va être l’objet d’un emballement sans précédent : découvert en 2005 à Bâton-Rouge (Louisiane), usé, poussiéreux et «très repeint», vendu dans la foulée pour quelque 1 175 dollars, il se retrouve pourtant, douze ans plus tard, au cœur d’une vente aux enchères ultra-médiatisée chez Christie’s.

Un dernier coup de marteau et le monde entier est en émoi : le Salvator Mundi (soit le «Sauveur du monde» en latin) vient de partir pour la somme de 450 millions de dollars, adjugé à Mohammed ben Salmans (dit «MBS»), le prince héritier d’Arabie saoudite, devenant alors la toile la plus chère du monde, et ce, en raison d’un nom : celui de Léonard de Vinci, à qui l’œuvre est attribuée. À tort ou à raison ?

C’est tout l’objet de l’enquête menée par le journaliste Antoine Vitkine qui, durant deux ans, de New York à Londres jusqu’à Riyad, va chercher à lever le voile sur le mystère qui entoure ce tableau, aussi nébuleux qu’un «sfumato», et répondre à certaines questions toutes aussi brumeuses : quelles sont les intentions de l’acheteur, longtemps resté inconnu ? Pourquoi la toile n’a-t-elle pas été exposée au Louvre en 2019 pour la grande rétrospective Léonard de Vinci ? Et pourquoi, encore, le Salvator Mundi a-t-il aujourd’hui disparu des radars ?

Après un documentaire pour France 5 en 2021 (Salvator Mundi : la stupéfiante affaire du dernier Vinci), il «prolonge» ici son travail avec un dessinateur (Éric Liberge) et un confrère spécialisé dans les paradis fiscaux (Sébastien Borgeaud). Au bout, comme l’indique le sous-titre, la promesse d’une «folle histoire».

Celle-ci raconte surtout une chose : que les coulisses du marché de l’art ne sont guère fréquentables, un monde d’ultrariches aux liens très étroits avec les milieux économiques et politiques. Pas à pas, ou plutôt couche après couche, on suit l’étonnante trajectoire d’une œuvre considérée comme «la Mona Lisa au masculin», en raison de son sourire identique à celui de La Joconde.

Un véritable feuilleton même, en raison d’un casting imparable : un oligarque russe, un prince arabe, un vieux marchand d’art new-yorkais, un homme d’affaires suisse roublard, un joueur de poker corse, un spécialiste anglais de la Renaissance, un golden boy, un président de la République, des experts, des diplomates, des universitaires…

Jamais la réflexion sur une peinture n’a été à ce point polluée par son prix, les médias, les intérêts et l’ego des puissants

Entre leurs mains, au gré des tractations, des intermédiaires et des mensonges, la toile va prendre de la valeur – jamais, en si peu de temps, un œuvre d’art n’en avait pris autant. Avec bonne foi (ou non), chacun va alors prendre part à la création d’une icône, notamment ceux qui, coûte que coûte, voient dans ce portait du Christ la rare signature de de Vinci (on lui connaît seulement une vingtaine d’œuvres), comme cette restauratrice ou ce spécialiste qui, malgré des avis divergents, arrivera à convaincre la National Gallery de Londres de préférer le sien…

Au bout de la chaîne, alors que l’authenticité du tableau est peu à peu mise en doute (il serait l’œuvre d’un des jeunes assistants du génie italien), on frise même l’incident diplomatique entre la France et l’Arabie saoudite. Le musée du Louvre est sous pression, tandis que «MBS» cherche à rentrer dans ses sous, ne lâchant pas l’idée d’en faire la pièce maîtresse du plus grand musée du monde arabe…

Si à ce jour, comme le précise Antoine Vitkine en postface, «il n’existe aucune certitude» quant à l’origine du tableau, il y en a une autre : «Jamais la réflexion sur une peinture n’a été à ce point polluée par son prix, les médias, les intérêts et l’ego des puissants», écrit-il. Façon thriller, et à travers un dessin qui arrive, parfois, à se montrer inventif, l’ouvrage montre comment un mystère artistique est devenu un trophée mondial mis en vitrine à des fins spéculatives et de marchandages politiques.

Le triptyque «art, argent et pouvoir» prend tout son sens et affiche sa puissance, révélateur d’une époque aux mécanismes pervers. Dire qu’il y a plus de 500 ans, le Salvator Mundi était balloté sur les chemins caillouteux de la campagne italienne, simplement protégé par un drap. Une simplicité qui laisse songeur.

L’histoire

C’est aujourd’hui la peinture la plus chère du monde. Jamais dans l’histoire économique, un bien n’a pris autant de valeur en si peu de temps. Depuis 2005, cette peinture aura été l’objet de maintes spéculations, de convoitises effrénées et d’invraisemblables imbroglios.

Malgré une incertitude initiale sur sa paternité et sa restauration, le Salvator Mundi a été présenté comme une œuvre autographe de Leonard de Vinci, exposée comme telle, vendue puis revendue un demi-milliard, certifiée authentique par des experts de Christie’s et quelques universitaires. Mais la réalité est plus trouble, percutant le marché de l’art et la politique.