Avec November, Matt Fraction se frotte au polar sombre et violent, dans la plus pure tradition américaine. Au milieu des corps, des billets de banque et des souvenirs, trois femmes cherchent à survivre dans un monde d’hommes.
Habituellement, Matt Fraction préfère les justiciers, avec ou sans masque. On lui doit ainsi deux séries chocs, avec gros flingue et superpouvoir : soit Casanova, agent secret énervé, mais élégant (avec son joli nœud papillon) et Sex Criminals, l’histoire de deux amants qui, lorsqu’ils jouissent, peuvent figer le temps… Dans une veine moins conceptuelle, il a aussi signé Hawkeye (Œil-de-faucon en français, un héros Marvel), récompensé d’un prix Eisner.
Au milieu des capes qui flottent au vent et de la planète Terre à sauver, November, pour le coup, détonne dans le paysage. Un concours de circonstances, dirait aujourd’hui l’auteur américain, âgé de 47 ans.
En 2009, en effet, sa femme (l’auteur Kelly Sue DeConnick) et lui-même se sont retrouvés, involontairement, au cœur d’une chasse à l’homme, avec flics, hélicoptères et fusils, qui s’est terminée juste devant chez eux. Quelques jours plus tard, ils sont tombés sur un pistolet chargé, abandonné dans les buissons.
Trois destins pris dans une même toile criminelle
Un polar, tiré d’une histoire vraie comme on dit, germe alors dans la tête Matt Fraction. Ce sera November, édité en quatre tomes aux États-Unis chez Image Comics, traduit et réduit à deux tomes en France chez Sarbacane. «C’est intéressant de voir ce qui se passe quand vous mettez des personnages ordinaires dans ces circonstances folles!», confiait-il au Comic-Con de San Diego.
Pour sa première incursion dans l’univers du thriller poisseux et sombre, il en a choisi trois. Des femmes que tout oppose : il y a Dee, junkie, boiteuse et «survivante»; Emma-Rose, une «bonne samaritaine» tombée au mauvais endroit, au mauvais moment; et enfin Kay, flic déchue rongée par la culpabilité qui «lutte contre son obsolescence».
La première, pour un salaire conséquent, est chargée de déchiffrer un code mystérieux. La seconde, elle, trouve une arme dans la rue (tiens donc), tandis que la dernière, standardiste frustrée et alcoolique, va chercher à se rattraper d’anciennes magouilles… Trois destins pris dans une même toile criminelle. «On est les rouages d’une machine invisible», affirme l’une d’elles.
Tout est sombre dans November
Tout est sombre dans November : les rues, les personnages, le quotidien… Un récit qui, dans son humeur cafardeuse, célèbre la tradition du polar américain à la James Ellroy.
Tout y fait référence : les flics pourris, les règlements de comptes, les trafics, les coups de feu, les complots, les paumés qui cherchent à égayer leur vie et les corps (comme les billets de banque) qui s’entassent. Sans oublier cette ville carnassière, prison aux bas-fonds sordides et aux rues inquiétantes, avec, tout en haut, un homme mystérieux qui semble tirer les ficelles… Autant d’arguments qui font dire à Matt Fraction : «C’est l’histoire la plus formelle que j’ai écrite!» On veut bien le croire, bien que ça ne soit pas aussi simple qu’il y paraît.
Il faut le reconnaître : les deux tomes (sortis cette année en France en mars et novembre) s’apprécient en bloc. Car le diptyque, sous ses faux airs de thriller facile, prend un malin plaisir à brouiller les repères : il y a déjà cette narration déstructurée, qui passe d’une protagoniste à l’autre et fait de nombreux sauts temporels, parfois peu évidents à saisir. Il y a ensuite ce découpage, rythmé, varié et très cinématographique, souligné par le pastel du coloriste Matt Hollingsworth.
Il y a enfin (et surtout) le dessin hypotonique d’Elsa Charretier, rare Française à s’être fait un nom outre-Atlantique avec la franchise Star Wars ou auprès du non moins renommé George R. R. Martin. Une combattante, à l’instar de ces trois femmes cherchant à survivre dans un monde d’hommes.
November (deux tomes),
de Matt Fraction et Elsa Charretier.
Sarbacane.
L’histoire
Chaque matin, avant l’aube, Dee va au travail. Son boulot? Déchiffrer un code caché dans un journal et le radiodiffuser depuis le toit de son immeuble. Chaque jour, à la même heure. Un travail payé cash.
L’intermédiaire? Douteux. Le commanditaire? Aussi. Les conséquences si échec de la transmission? Malheureuses. Et que se passera-t-il le jour où il n’y aura pas de code à transmettre? Une étrange affaire à laquelle se greffent deux autres femmes : Kay, une flic, et Emma-Rose, une jeune battante.