Sur Instagram, le compte «Balance ta start-up Luxembourg» publie des témoignages de victimes de harcèlement au travail avec l’objectif de mettre un coup de pied dans la fourmilière.
Alors qu’au Luxembourg deux salariés sur dix affirment être victimes de harcèlement moral au travail, selon la Chambre des salariés, et que le cadre légal n’a pas bougé depuis 2009, un nouveau compte Instagram, lancé dernièrement, a pour ambition d’épingler les employeurs qui pourrissent la vie de leurs salariés.
Baptisé «Balance ta start-up Luxembourg», il reprend le modèle de son grand frère français du même nom, créé il y a un an et suivi par près de 200 000 personnes, dont le but est de libérer la parole des victimes et de dénoncer les abus dans la start-up nation. À travers des séries de témoignages publiés sur la plateforme, les internautes découvrent les coulisses de certaines sociétés à la vitrine étincelante, mais aux pratiques douteuses.
Derrière l’avatar luxembourgeois se cache une jeune femme, que nous appellerons Nina, déterminée à lever le voile sur les conditions de travail imposées dans certaines entreprises du Grand-Duché, elle qui a connu le cauchemar du harcèlement moral. «C’était au début de ma carrière, je croyais avoir décroché le poste de mes rêves, mais j’ai vite déchanté», confie-t-elle sous le sceau du secret.
Fraîchement diplômée dans le domaine des services, passionnée par son métier, ses compétences sont rapidement repérées : un manager lui fait miroiter un CDI dans une boîte jeune et dynamique, au sein d’une équipe soudée. «Il m’en a mis plein les yeux, en décrivant des missions très intéressantes et en se vantant de n’avoir que des employés heureux, libres de définir eux-mêmes leur fiche de poste et même leur rémunération», rapporte-t-elle.
Mais dès ses premiers pas, c’est la douche froide : «J’ai d’abord senti un vrai malaise auprès des autres collègues, et puis, ma cheffe directe a démissionné quelques jours après», se souvient-elle. «J’ai très vite été confrontée à une masse importante de travail et une pression maximale. J’étais fliquée, je devais rendre compte de tout ce que je faisais dans la journée, et chaque lundi, des objectifs titanesques m’étaient imposés. Le climat était délétère : toutes les semaines, quelqu’un quittait la société ou se mettait en arrêt maladie.»
Le manager se montre gentil et calme, tout en faisant régner la terreur au sein des équipes. Elle est ainsi convoquée un matin, à son retour de congés, et encaisse les pires reproches, dont celui de ne pas avoir travaillé pendant ses vacances. En quelques mois à peine, Nina assiste aux crises de larmes des collaborateurs, dont certains s’écroulent dans l’open space, et à deux visites de l’Inspection du travail, sans jamais en connaître les suites. Elle tient tant bien que mal et finit par démissionner à son tour moins d’un an plus tard.
Premières révélations ce vendredi
Cette expérience l’a profondément marquée et a compliqué son parcours professionnel par la suite : «J’avais perdu toute confiance en moi, je n’osais plus m’exprimer. Il m’a fallu des mois pour passer à autre chose», raconte Nina, aujourd’hui en poste dans une société où tout se passe pour le mieux.
C’est en voyant son ancien employeur régulièrement mis en avant sur les réseaux sociaux pour son management moderne et son attachement au bien-être des salariés que Nina, connaissant trop bien l’envers du décor, a décidé de sauter le pas et de créer «Balance ta start-up» au Luxembourg : «Je sais ce que c’est d’avoir peur, de ne pas pouvoir parler. Je veux soulever ce problème de société qui est mis de côté depuis trop longtemps», précise la jeune femme, soutenue par une avocate dans sa démarche.
Le compte est déjà suivi par un millier de personnes et les témoignages commencent à affluer via les commentaires ou en message privé, avec des noms qui reviennent plus souvent que d’autres. «Je vérifie que la personne travaille effectivement dans la boîte qu’elle met en cause et je veille à ce qu’un certain nombre d’éléments que je collecte accréditent les propos de ces témoins», explique-t-elle, prête à dénoncer publiquement les employeurs les plus toxiques.
Voir cette publication sur Instagram
D’ailleurs, elle compte ouvrir le bal dès ce vendredi : «J’ai recueilli suffisamment de témoignages crédibles à propos d’une société en particulier, dont je publierai le nom vendredi soir avec des récits de victimes», annonce-t-elle, précisant que l’ensemble des entreprises sont concernées, pas seulement les start-up. «J’ai même reçu des signalements pour l’administration publique.» Elle espère que le mouvement prendra et suscitera un débat utile pour mieux protéger les travailleurs à l’avenir.
– Le service «Stressberodung» de la Chambre des salariés propose jusqu’à cinq consultations individuelles aux salariés concernés, en collaboration avec la Ligue d’hygiène mentale. La confidentialité est garantie et ce service est gratuit. Contact par mail à stressberodung@csl.lu ou par téléphone au 27 494-222.
– L’association Mobbing propose également des séances individuelles avec des consultants soumis au secret qui accompagnent les victimes dans leurs démarches. Un dossier peut être ouvert, la procédure prévoyant un contact avec l’employeur pour trouver une solution. Coût : 30 euros. Contact par mail à mobbingasbl@mobbingasbl.lu ou par téléphone au 28 37 12 12.
– Pour tout ce qui concerne le droit du travail, la délégation du personnel ou les syndicats sont aussi compétents. En février, l’OGBL lançait ainsi une campagne de sensibilisation contre le harcèlement, appelant à briser le silence. Contact via la page web contact.ogbl.lu.
– Vous pouvez aussi vous rapprocher d’un avocat spécialisé ou encore vous tourner vers l’Inspection du travail et des mines, par mail à contact@itm.etat.lu ou par téléphone au 24 77 61 00.