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Ayélé Amah-Tchoutchoui : «Le lien intergénérationnel est un soutien»


Originaire du Togo, Ayélé Amah-Tchoutchoui a grandi en Italie. C’est là qu’elle a rencontré son papi de cœur, Alvaro.

Arrivée au Luxembourg il y a six ans, Ayélé Amah-Tchoutchoui a créé une association qui promeut les relations humaines et notamment intergénérationnelles. Elle nous explique sa création et ses objectifs.

Forte de son expérience personnelle, Ayélé Amah-Tchoutchoui a fondé en février dernier l’association B.R.E.C.K. À seulement 24 ans, la jeune présidente souhaite promouvoir les liens intergénérationnels.

Ce sont eux qui l’ont aidée à grandir lorsqu’elle était enfant, puis à s’intégrer au Luxembourg lorsqu’elle y a immigré. Son objectif : offrir une expérience aussi positive à d’autres personnes.

Comment est née l’association B.R.E.C.K ?

Ayélé Amah-Tchoutchoui : Elle est née de mon expérience personnelle. Durant mon enfance, j’ai participé à des activités et ateliers dans une maison de retraite via une association.

C’est là que j’ai rencontré mon « papi » de cœur. Quand il est mort, je me suis dit que je voudrais bien faire quelque chose de similaire pour rapprocher les générations.

Pouvez-vous détailler votre histoire avec votre papi de cœur ?

Quand j’avais environ 12 ans, avec une association italienne qui faisait des activités pour les enfants, je me suis rendue dans une maison de retraite pour avoir une première expérience avec les personnes âgées. C’est là que j’ai parlé avec ce papi d’un peu moins de 80 ans, Alvaro. On a commencé à s’écrire des lettres.

Au fur et à mesure, je demandais à mes parents d’aller le voir ensemble. Je lui faisais des dessins, je lui racontais des histoires. Je lui tenais compagnie dans sa solitude. Et moi, ça m’a aidée à mieux me connaître. Ça a duré trois ans. Il était tout le temps présent pour moi, il me faisait des cadeaux.

Ma famille et moi avons immigré en Italie, nous n’avions pas vraiment de soutien familial. Alors ça m’a réellement aidée d’avoir quelqu’un hors de ma famille. Avoir un papi, c’était assez cool. J’ai encore mes grands-parents, ma grand-mère, mais elle est au Togo, donc nous n’avons pas vraiment de relation.

Quand Alvaro est décédé, mes parents ne voulaient pas trop que j’aille voir sa tombe. Je me souviens, quand j’étais petite, ma première pensée c’était : « Qui ira lui déposer des fleurs? » Parce que je savais que lui, il n’avait plus personne. Il était très âgé, il était tout seul. Et moi, j’étais un peu la seule qui le connaissait encore et qui était au courant de sa situation.

Mais je n’ai jamais pu déposer de fleurs sur sa tombe. Nous sommes partis d’Italie quand j’avais presque 18 ans. Quand je suis revenue, j’ai appelé la maison de retraite, j’ai cherché un moyen de les contacter… Je n’ai jamais réussi. L’association B.R.E.C.K, c’est aussi un moyen de lui rendre hommage et de lui dire : « Je ne t’ai pas oublié. Voilà, ce sont mes fleurs. »

Combien êtes-vous dans l’association ?

Nous sommes trois. Moi, j’ai un profil plutôt administratif. Cristian, qui a 27 ans, se charge du design graphique et du site internet. Et Gregorio, qui a 22 ans, s’occupe des vidéos et de leur montage. Nous avons trois profils différents, c’est ce qui nous aide dans l’association.

Nous sommes tous les trois italiens, nous avons grandi en Italie avant de venir au Luxembourg. Nous nous sommes rencontrés ici. Mon histoire personnelle a rejoint le même vécu que Cristian avec son grand-père.

Nous pensions tous les deux que c’était important pour la nouvelle génération d’avoir une conscience d’entraide. Nous pensions aussi que, parfois, quelqu’un qui n’a pas le même âge que nous, peut donner une piste de résolution de problèmes et une façon de voir les choses.

Nous nous sommes dit que l’association pourrait aussi être un moyen d’intégration. Comme nous sommes venus d’un nouveau pays, le fait de parler avec des personnes plus âgées que nous, ça nous a beaucoup aidés dans notre parcours, pour apprendre la langue, pour connaître les informations sur le pays.

Il y a aussi deux bénévoles dans l’équipe. Eux aussi sont jeunes, ils ont 16 et 17 ans. Pour l’instant, ils écrivent des projets et s’occupent de quelques tâches administratives.

Pourquoi l’équipe n’est composée que de jeunes de moins de 30 ans ?

Nous croyons que les jeunes peuvent créer le changement. Nous voulons apporter quelque chose de nouveau. C’est pour ça que nous voulons travailler sur les réseaux sociaux, que nous avons un beau site internet .

Nous voulons montrer que les jeunes peuvent apporter une vision différente et des choses que l’on ne voit pas partout.

Qu’est-ce que le nom B.R.E.C.K veut dire ?

Ça veut dire « pont » en luxembourgeois. D’une part, c’est une façon de montrer que notre intégration est assez réussie et que nous voulons vraiment nous approcher du Luxembourg.

D’autre part, c’est pour montrer l’objectif de l’association. Nous ne voulons pas seulement créer un lien entre les personnes âgées et les jeunes, mais créer un pont entre tous les différents groupes sociaux et briser les stéréotypes de l’âge.

Qu’est-ce qu’un « pont de solidarité » ?

Pour moi, le pont de solidarité, c’est un lien invisible entre les générations. Nous voulons vraiment qu’il y ait une certaine solidarité, une certaine entraide entre les différents groupes sociaux.

Avec la rencontre d’Alvaro, je me suis sentie vraiment écoutée. Cela m’a guérie et m’a aidée à grandir. Et lui, cela l’a aidé dans ses difficultés.

Quelles sont les actions de l’association ?

Ce sont des actions qui ont pour but de diminuer et briser les stéréotypes, d’encourager à aller vers les autres et vers les personnes plus âgées. Nous espérons créer une aide mutuelle pour les jeunes et pour les personnes âgées ou les gens qui viennent d’arriver au Luxembourg, qui peuvent se sentir seules.

Nous voulons travailler dans les maisons de retraite, dans les lycées, pour sensibiliser à cette thématique. Montrer que l’on a tout le temps besoin les uns des autres, même si on n’a pas le même âge.

Nous voulons faire des actions sur le plan national bien sûr, mais également aller un peu plus loin. Nous avons notamment écrit des projets au niveau européen.

Notre but, ce n’est pas seulement de faire des activités avec les personnes âgées, mais avec et entre les différents groupes sociaux : enfants, adolescents, adultes et seniors.

Démoralisée à son arrivée au Luxembourg, c’est grâce à des personnes plus âgées qu’elle qu’Ayélé Amah-Tchoutchoui a trouvé de la motivation.

Avez-vous déjà commencé vos actions ?

Nous sommes dans la phase de contact et nous avons déjà écrit plusieurs projets.

Nous avons contacté des maisons de retraite pour proposer de faire des vidéos sur TikTok. Nous aimerions avoir la possibilité d’interviewer des personnes âgées pour qu’elles puissent donner des conseils à la nouvelle génération. Nous avons aussi soumis un projet pour pouvoir attribuer des tuteurs aux jeunes en difficulté et en décrochage scolaire.

Récemment, nous avons reçu un bureau à Luxembourg de la part du SNJ au sein de l’ »Incubator ». C’est un espace de rencontre où il y a plusieurs associations. C’est pratique pour faire des réunions, se rencontrer et faire des recherches.

Nous espérons pouvoir lancer nos premières activités dès septembre ou octobre.

Vous parlez de stéréotypes de l’âge. Quels sont-ils ?

Je pense que, lorsque l’on voit des personnes âgées, on peut se dire qu’elles ne servent plus à rien, qu’elles sont un peu inutiles à la société. Alors avec B.R.E.C.K, nous voulons briser tous ces préjugés et montrer qu’elles sont toujours partie active de la société.

Est-ce la tranche d’âge la plus touchée par la solitude ?

Nous avons regardé des chiffres au niveau européen. Au Luxembourg, c’est difficile d’avoir des chiffres. Les dernières statistiques du Statec datent de 2012 et n’ont jamais été mises à jour.

C’est pour ça que nous voulions contacter le Statec pour demander des nouvelles statistiques par rapport à la dépression chez les jeunes et chez les personnes âgées. Il y a une corrélation entre ces deux tranches d’âge. Il y a une sorte de pression sociale chez les deux.

Comment peut-on y remédier ?

Pour moi, ça passe vraiment par la sensibilisation. Montrer que la solidarité, c’est quelque chose qui existe. Et puis ça passe aussi par des petits gestes comme un bonjour, un comment ça va. Le fait de ne pas ignorer ce qui nous entoure, c’est déjà une forme d’aide.

Qu’est-ce que les liens intergénérationnels apportent à la société ?

Je dirais de l’entraide. Se dire que ce je vis en ce moment, d’autres personnes l’ont déjà vécu et que, s’il y en a qui ont réussi, moi aussi je peux le faire.

Par exemple, quand je suis arrivée ici, j’étais super démoralisée parce que je ne parlais pas la langue, que j’allais perdre beaucoup d’années à l’apprendre et à réintégrer le système.

Puis j’ai rencontré des personnes plus âgées que moi. Elles m’ont rassurée et m’ont dit : « C’est rien, tu vas y arriver, moi aussi ça a été difficile, moi aussi j’ai pris du temps pour m’intégrer dans le pays! ».

Le lien intergénérationnel, c’est un soutien.

Et aux personnes ?

Aux jeunes, ça apporte plus de conscience par rapport au monde et aux gens qui les entourent. Cela leur permet aussi de se dire qu’ils ne sont pas seuls dans leurs difficultés, qu’en aidant les autres, ils s’aident aussi eux-mêmes. Cela les responsabilise aussi de savoir qu’ils peuvent montrer l’exemple et avoir l’exemple de quelqu’un.

Aux personnes plus âgées, ça apporte plus de vitalité et moins de solitude. Un peu plus d’intégration aussi, parce que l’intégration ce n’est pas seulement les difficultés de la langue, c’est aussi de ne pas se sentir partie active de la société.

Pensez-vous que le Luxembourg est prêt pour ce genre d’initiatives ?

Nous n’avons pas peur d’être repoussés. Il y a quand même beaucoup de subjectifs qui peuvent se créer à travers la langue. C’est pour ça qu’on avait aussi en tête de créer des cours de langue luxembourgeoise. On veut faire plusieurs choses, donc on espère et on croit vraiment que ça va marcher.

Par exemple, ma mère, qui travaille au Centre d’initiative et de gestion locale (CIGL), rencontre énormément de personnes âgées, soit en maisons de retraite, soit dans des maisons privées. Parfois, elle n’arrive même pas à partir parce que ces personnes posent des questions, veulent parler avec les gens, elles ont besoin de ce contact humain.

Notre objectif, ce n’est pas d’offrir des services ou des logements comme d’autres associations. L’objectif, c’est vraiment de créer le contact humain. On croit que si on brise la barrière de l’âge, on crée une société un peu plus tolérante où il n’y a pas de différence culturelle ni professionnelle.

Un commentaire

  1. Bravo à Ayélé pour cette belle initiative qui a beaucoup d’avenir !
    Félicitations aussi à Camille Vari pour cette brillante interview qui fait honneur au journalisme !

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