[FOOTBALL] Une nouvelle étude scientifique montre les dommages du jeu de tête sur le cerveau des footballeurs. Le Luxembourg oscille entre inquiétude et fatalisme.
C’est un beau but qu’a inscrit Samir Hadji, dimanche, à la 46e minute de Differdange - Swift. Dans le jargon, on appelle ça un «coup de casque» et tout le monde, à part les Hesperangeois, s’est enthousiasmé sur cette nouvelle démonstration des énormes capacités dans le jeu de tête de l’avant-centre differdangeois aux plus de 230 buts en carrière.
Lui a fait comme d’habitude : il a exulté, salué et pris les félicitations comme elles venaient en rentrant aux vestiaires. Et puis il s’est posé et a avoué, ce lundi : «Le jeu de tête, cela fait quelques années que j’y réfléchis. Je ne vais pas aller jusqu’à dire que je perds la mémoire, mais j’ai cette impression qu’à chaque coup de tête, je perds des neurones. À ce point que j’ai tout simplement arrêté d’en faire à l’entraînement, des têtes. Je n’ai plus rien à prouver à mes entraîneurs dans ce domaine, alors, je garde ça exclusivement pour les matches, pour ne pas les multiplier.»
Il en rigole, mais on sent bien qu’une petite anecdote le fait gamberger. Ce jour où sa femme lui a demandé d’aller chercher du sel et qu’il est revenu après quelques secondes à peine pour… lui demander ce qu’il était censé aller chercher.
«Ah, mais j’ai ça aussi !», rétorque Jean Wagner. L’ancien défenseur de la Jeunesse et de Differdange, qui a construit une partie de sa carrière de joueur sur l’impact physique, est un retraité heureux qui assure pourtant aujourd’hui que «non, ça va bien. Je ne pense pas que j’aurais été plus intelligent si j’avais fait moins de têtes.»
J’ai cette impression qu’à chaque coup de tête, je perds des neurones
La matière grise, c’est là où se trouvent les neurones. La matière blanche, c’est là où s’établit la connexion entre eux. Sur une imagerie cérébrale classique, on remarque bien la différence.
Une étude américaine récente de l’université de Columbia, à New York, vient de montrer que pour les footballeurs qui se servent beaucoup de leur tête dans le jeu, cette frontière nette tend à s’estomper dans le cortex cérébral et que cette modification de la structure du cerveau affecte leur mémoire et leur capacité d’apprentissage.
Cette recherche, menée auprès de 352 footeux et 77 athlètes venant d’autres disciplines, les joueurs en ont vaguement entendu parler. D’autres ont même lu ce qui s’était écrit à ce sujet.
Notamment qu’au-delà de 1 000 têtes par an, à cause de ces chocs répétés, la zone blanche-grise se brouille, augmentant le risque de troubles neurologiques. In fine, un test a révélé que les grands joueurs de tête ont une moins bonne mémoire que les autres.
Du coup, le Folaman Gauthier Caron a attrapé la calculette parce que «c’est une vraie question !». «Là, si je multiplie le nombre de têtes supposé que je fais sur chacune des trois séances hebdomadaires sur toute une année et que j’ajoute les matches, où l’on en fait plus, je pense que je n’en suis pas loin, moi, des 1 000 têtes par an. Sans compter la dizaine de points de suture que j’ai reçus sur le crâne et les deux arcades pétées. J’en serai où dans cinq, dix ou vingt ans ? Je pense que c’est sûr : on aura des séquelles. À moins de se mettre aux ballons en mousse ? Bon après, si j’oublie tout, je serai le seul à ne pas être au courant.»
La pirouette cache à peine le malaise. Voire le fatalisme. Pas un des garçons que nous avons pu contacter ne connaît un «ancien» qui souffre de problèmes spécifiques. Du côté de Strassen, Tim Hall a déjà «entendu parler de problèmes de genoux, de hanches, de dos… Mais jamais de la tête. Mais s’ils ont Alzheimer, comment est-ce qu’ils s’en rendraient compte ?» Finalement, c’est bien là le problème : une perte de moyens cognitifs, ce n’est pas facilement quantifiable tant que ce n’est pas spectaculaire. L’anecdote de la salière restera toujours plus un gentil petit sujet à plaisanterie qu’une prothèse de hanche.
Si j’avais 20 ans aujourd’hui, ça me toucherait de savoir que je prends des risques
Ils préfèrent donc… ne pas y penser. Comme Julien Jahier par exemple. L’homme qui avait offert un titre au F91 en 2014 grâce à un triplé de la tête lors du dernier match de la saison contre le Fola. «Moi, les 1 000 têtes par an, j’y étais largement. Et d’ailleurs, je marque encore plus souvent de la tête en vétérans ! Et je ne m’arrêterai pas ! Ça fait partie du foot ! Cette étude, elle ne fera pas avancer les choses. Vous avez vu les règles évoluer dans le football américain après toutes les commotions qu’ils ont eues ? La FIFA ne se mouillera pas non plus. Ils rajoutent même des matches. Plus de matches, plus de têtes !»
Arrivé à 36 ans, le Mamérois Mickaël Jager, qui vit aussi beaucoup de sa caboche en tant que buteur, tient le même raisonnement : «Ce n’est plus maintenant que je vais préserver mon cerveau, même si j’estime que ce genre d’études devrait mettre la puce à l’oreille des fédérations. Si j’avais vingt ans aujourd’hui, ça me toucherait de savoir que je prends des risques. Mais la passion reprendrait le dessus et je continuerais de jouer avec mes armes.»
«Après, embraye Samir Hadji, pour nous, les attaquants, c’est encore différent des défenseurs : nos têtes, ce sont souvent des déviations. On risque surtout d’y perdre des cheveux, mais pour régler ce problème-là, on peut aller en Turquie (NDLR : faire des implants).»
Tim Hall, plus jeune, défenseur surtout et qui attaque tous les ballons pour leur faire mal, renvoie la question à plus tard : «Peut-être qu’un jour, je me dirai « Merde, le gars du Quotidien avait raison de venir m’en parler« …». Parfois, on ne voit le précipice que quand on est déjà en train de tomber.