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Avec « Monolith », Kraton soigne son metal


(photo Daniel Wahl/Melt Studio)

Voilà treize ans que Kraton calme progressivement le jeu, passant du death metal des origines au doom. Mieux : après trois albums faits maison, voilà que le dernier bénéficie de l’expertise d’un studio. Entretien.

Il fallait bien se lancer : après de nombreuses années à enregistrer avec les moyens du bord, Kraton s’est dit qu’il était temps de passer à la vitesse supérieure. Et il a mis les moyens à la hauteur de ses envies. D’abord en se frottant au professionnalisme de Tom Gatti et Billy Kauffmann aux Unison Studios (Differdange). Ensuite en emballant le tout avec soin (pochette, photos, clip…).

Au bout, il y a Monolith, quatrième disque qui suit Ker (2011), World Eater (2013) et Unto Arcadia (2019). Avouons-le, il les domine tous d’une bonne tête avec un son écrasant, jamais lassant, toujours puissant, qui s’étire sur un tempo en mode ralenti. De quoi rendre heureux le guitariste et co-fondateur Jacques Zahlen qui, avec le reste du groupe – Patrick Kettenmeyer (basse), Mike Bertemes (voix), Ken Poiré (guitare), Véronique Conrardy (batterie) –, semble enfin avoir trouvé l’écrin et le style qui collent parfaitement à leurs nouvelles ambitions.

Kraton existe depuis treize ans. Pourtant, voici seulement son premier disque enregistré en studio. Pourquoi une si longue attente ?

Jacques Zahlen : Pour notre premier album, on avançait à tâtons, par sûrs de notre style. Quant au second, il a été enregistré en direct dans notre salle de répétition. Pour le troisième, on était un peu trop naïfs, pas trop confiants non plus. Étant un groupe plus à l’aise en live, penser au studio n’est pas un réflexe immédiat. Ce n’est pas dans notre ADN. Mais avec du recul, on regrette ce choix, bien que toutes ces hésitations fassent partie de notre histoire, et ce que Kraton est aujourd’hui.

Monolith a été réalisé à Differdange. Qu’avez-vous gagné avec cette décision de sortir de vos habitudes ?

Si on croit en les chansons, ça en vaut la peine. Voilà trois ans que l’on a commencé à travailler dessus. Il y avait du potentiel, il fallait se lancer. On voulait rompre avec l’amateurisme, que ça sonne comme quelque chose de professionnel, avec tout ce que cela implique en termes de préparation et d’investissement. Surtout, que le studio ne trompe pas : on reçoit ce que l’on donne.

C’est-à-dire ?

Si on est à la fois sérieux, prêt et lucide sur ce que l’on veut y faire, c’est plutôt efficace. À condition aussi que ceux à la production comprennent nos intentions, ce qui a été le cas. Ce qui est beau, c’est de voir l’album se construire comme un puzzle : il y a d’abord la batterie, puis la basse et les guitares qui se rajoutent. Enfin la voix. Il y a comme du suspense dans l’air. Au fil de cette avancée, on se dit : « Mais comment ça va finir? » Et au final, on s’est regardés, sans échanger un mot mais conscients que l’on avait fait le bon choix d’être là, dans ce studio.

Dire que le vrai metal est une musique qui se crée et s’enregistre à la maison, c’est une connerie!

Vous avez enregistré toutes les guitares car votre acolyte, Ken Poiré, faisait… un tour du monde ! Racontez-nous cela…

(Il rigole) Mieux : il a été embauché alors qu’il traversait la planète! C’est un ami avec lequel j’ai joué, par le passé, dans Sublind. Il m’a dit que si, un jour, j’avais besoin de lui, de ne pas hésiter à le contacter. On n’avait plus de guitariste, je l’ai appelé et il dit oui, à une seule condition : l’attendre! Quand on a enregistré Monolith, il était aux Philippines, je crois… Maintenant qu’il est de retour au Luxembourg, on ne compte plus le laisser partir!

Qu’avez-vous perdu en allant en studio ? Une forme de liberté, d’indépendance ?

Ceux qui disent que le vrai metal est une musique qui se crée et s’enregistre à la maison, façon DIY (Do It Yourself), n’existent plus. Ou alors, ils se mentent à eux-mêmes, car c’est une connerie que de penser ça! Non, si on a perdu quelque chose, c’est de l’argent, bien qu’il soit préférable ici de parler d’investissement.

Avec ce disque, on a trouvé le style que l’on cherchait depuis toujours

Le résultat final en valait-il la peine ? 

Oui, on est très satisfaits, bien que, pour y arriver, il ait fallu dire stop. On a en effet passé un temps dingue à revoir les détails, même les plus insignifiants. Un vrai travail de fourmi… Et comme on est cinq à décider, ça prend du temps. Attention, ça n’est pas une question d’égocentrisme, mais de perfectionnisme. Moi, je n’en pouvais plus : je me suis dit qu’à ce rythme-là, on allait se retrouver avec un disque totalement différent. Il fallait alors accepter de le laisser vivre sa vie, comme voir son enfant grandir et partir pour le lycée (il rigole).

Monolith surpasse ses trois prédécesseurs en termes de son, de production. Sera-t-il alors difficile de les réécouter ? 

Pour moi, oui, bien que World Eater ait encore un certain charme…  Dans un sens, c’est assez compréhensible : tout cela n’est qu’un processus naturel, une évolution logique. Avec ce disque, on a trouvé le style que l’on cherchait depuis toujours, et avec lequel on veut continuer. C’est un nouveau départ, et qui sait, peut-être que ça va nous ouvrir d’autres portes. Mais cela n’implique pas pour autant une rupture totale, d’enterrer ce qui a été fait jusque-là. Ce serait une erreur, car on est le fruit de notre passé.

Quelles perspectives attendez-vous alors ? 

On est trop vieux pour avoir des rêves de rockstars ! Idéalement, on aimerait tourner dans le nord de la France et en Angleterre. Des endroits plus en accord avec notre musique, là où la météo n’est pas très bonne…

Justement, Kraton propose un metal sombre. Correspond-il à votre regard sur le monde ? 

Oui. Il y a beaucoup de mélancolie, de douleurs aussi, mais c’est pour mieux les évacuer et aller vers la lumière, l’espoir.

Votre musique, sûrement grâce à la férocité des guitares, évite d’être plombante. Êtes-vous d’accord ?

Le nom Kraton correspond à une masse terrestre, pesante, stable. En somme, une forme de gravité qui scotche au sol. Cela se ressent bien dans notre son. Mais le danger de ce genre musical est d’être ennuyeux sur la longueur, d’où la nécessité d’accrocher l’oreille en permanence. Être lourd, d’accord, mais dans le bon sens du terme.

Dans le metal, il y a toujours cette envie d’aller vite, parfois dans une forme de démonstration. Kraton, lui, décélère…

Jouer quelque chose de difficile et de technique avec beaucoup de notes, ce n’est pas dans nos principes. Ce qu’on veut faire, c’est passer une émotion à travers des éléments musicaux simples. C’est l’ambiance qui importe, l’atmosphère, les vibrations… Même pour nous, c’est une question de sensations : quand une chanson fonctionne, elle peut vous amener à la transe. Sans LSD!

Ralentir la cadence, c’est naturel chez vous ?

Ce n’est pas parce qu’on est âgé qu’on n’arrive plus à jouer vite (il rigole). Surtout que l’on n’a jamais joué des morceaux à fond la caisse. Disons qu’aujourd’hui, on a réussi à maîtriser la bête, être là où l’on voulait arriver. Bien qu’en musique, rien n’est jamais vraiment arrêté. Il y a encore plein de choses à découvrir.

Au Luxembourg, l’attrait pour le metal ne faiblit pas. Que pensez-vous de son évolution ?

Oui, le genre a trouvé sa place dans le pays, au cœur de la scène culturelle. Même les grandes stations de radio s’y mettent, bien que le metal reste une musique de niche. Si l’on veut être plus en lumière, mieux vaut changer de style et faire de la pop! Selon moi, une chose importante est à noter : il y a moins de nouveaux groupes qu’au début des années 2010, mais avec les moyens mis à (leur) disposition, ils sont d’un très bon niveau. Moins de quantité, mais plus de qualité!

Dans cette scène, quelle place peut défendre Kraton ?

Celle, d’abord, d’offrir en concert une ambiance peu commune, que peu arrivent à mettre en place. Et s’il y a bien une chose qui nous distingue, c’est le tempo. Tous les autres groupes sont bien plus nerveux que nous!

Rockhal (Club) – Esch-Belval. Samedi à partir de 20 h 30.  Support : Asathor.