Six mois après le lancement de la police locale au quartier Gare et à Bonnevoie-Nord, les commerçants racontent leur quotidien inchangé, marqué par l’insécurité qui perdure et la baisse de fréquentation.
Dans un commerce de Bonnevoie à Luxembourg, le gérant, Toni*, ne peut s’empêcher de rire jaune lorsque les mots sécurité et quartier Gare sont accolés : «Les beaux quartiers, on les laisse tranquilles et les gens que l’on ne veut pas, c’est bienvenu ici.»
Il évoque le regroupement près de la gare de structures telles que le foyer pour sans-abri Obenthalt, le centre de shoot Abrigado et la cantine sociale Vollekskichen, qui attirent une population dont une partie fait figure de mauvaise clientèle.
«Tu es tout le temps sur les nerfs, parce que tu te fais insulter, et il y en a une paire qui essayent de me voler. Combien nous en avons mis à la porte avec ma collègue», raconte-t-il. Cambriolé quatre fois en six mois, il concède que «travailler ici, c’est fatigant».
Sandrine*, installée depuis plus de vingt ans dans sa boutique, est sans équivoque : «Il n’y a pas de sécurité ici, aucune.» Quid de la nouvelle unité de police locale qui a pour but de renforcer la présence policière dans cette partie de la capitale ?
«Je ne vois aucun policier, rétorque Sandrine, sauf pour aller manger au kebab du coin.» Un son de cloche bien différent de celui de la bourgmestre. Lydie Polfer se dit en effet satisfaite du travail effectué par les vingt agents de proximité et assure avoir récolté des «retours positifs des citoyens».
S’adapter au contexte
Évidemment, les commerçants ne sont pas les seuls à déplorer l’insécurité ambiante. Depuis des années, les riverains de la gare se plaignent, alertent et manifestent. Dans le quartier Gare et à Bonnevoie-Nord, certains quittent même les lieux.
«Le turnover est très important. Ceux qui en ont les moyens quittent le quartier», nous confie Benjamin, l’un de ceux qui restent. Déménager est un luxe, surtout pour les commerçants implantés depuis des années et qui ont fidélisé une clientèle.
Alors pour rester, l’adaptation est de mise. Tandis que Toni a «doublé sa vigilance», Sandrine a, elle, revu son modèle économique. En constatant que la population âgée qui fréquente son magasin sort moins, par peur de l’insécurité, elle «propose d’aller directement au domicile des clients». Par conséquent, elle n’ouvre plus que deux jours et demi par semaine.
Angelo ferme, lui, les portes de son bar situé près d’une église à Bonnevoie le mardi en journée et le jeudi en soirée. Ces fermetures coïncident avec les distributions alimentaires qui se tiennent dans le lieu de culte.
Des toxicomanes s’y rendent en nombre et causent quelques nuisances, selon le barman. «Il y a presque 200 personnes qui viennent, qui jettent par terre des seringues ou des bouteilles et qui veulent venir aux toilettes ici, le tout sans consommer.»
«De moins en moins de monde»
«Il y a de moins en moins de monde qui se balade dans le quartier et c’est encore pire quand il fait nuit tôt», constate Franck*, installé près du parking Fort-Neipperg. À cause de la réputation des quartiers Gare et Bonnevoie, «automatiquement, il y a moins de monde», ce qui n’aide pas à entrevoir un avenir radieux pour les nombreux commerces vacants.
Selon les derniers chiffres communiqués par la Ville, 83 cellules commerciales sont vides au quartier Gare, dont une vingtaine situées à des endroits pourtant fréquentés : l’avenue de la Gare, celle de la Liberté et la place de Paris.
Imitant les frontaliers qui ne perdent pas de temps avant de monter dans leur train (lire ci-dessous), les locaux semblent aussi limiter leurs déplacements. Éric, fleuriste dans le magasin de sa mère à Bonnevoie, ne se voile pas la face : «Le quartier n’est pas forcément aimé par les gens.»
Cependant, il met également l’accent sur une baisse de la consommation liée au covid et à l’inflation. Un avis partagé par un opticien qui considère que «l’environnement n’est pas le seul facteur».
Toujours est-il que les faits divers qui émaillent la vie des quartiers Gare et Bonnevoie-Nord ne sont certainement pas une bonne publicité, mais pour y remédier, les commerçants ne jurent pas tous par une présence accrue de policiers. «Le problème, c’est comment aider les gens à la rue et je ne vois pas en quoi la police va intervenir en leur faveur», lance Éric.
L’opticien, lui, attend une meilleure répartition géographique des services sociaux, trop nombreux dans un périmètre restreint selon lui. «Mais ce n’est pas un souhait, apparemment ils mettent ça de côté», regrette-t-il amèrement, en visant les responsables politiques.
* Ces prénoms ont été changés