Alors qu’au Luxembourg, le chemin vers l’inclusion dans l’emploi des personnes avec handicap est encore long, certains exemples sont encourageants : celui de Charles Kails, autiste, montre que tout devient possible quand chacun fait un pas.
Là où un tas d’autres candidats comme lui se seraient tus, lui, a annoncé la couleur dès son entretien d’embauche : il est autiste. «De haut niveau» ou «Asperger» comme on l’entend encore, même si ces dénominations sont aujourd’hui délaissées.
En clair, le jeune homme n’a aucune déficience mentale, mais réagit fortement aux stimuli sensoriels, et n’est pas très à l’aise avec les conventions sociales.
«Mon cerveau ne filtre pas les informations sensorielles»
Ainsi, pour ce grand gaillard de 31 ans, la vie au bureau comporte son lot d’obstacles : une conversation à la machine à café lui demande beaucoup d’énergie, tandis qu’une réunion peut prendre des airs d’ascension de l’Everest au niveau concentration.
Ce qui a tendance à décharger ses batteries : «Mon cerveau ne filtre pas les informations sensorielles, ça entraîne une fatigue insurmontable par moment. Les bruits ou lumières intenses entravent sans arrêt ma journée», décrit-il.
Dans ces cas-là, le calme et l’obscurité de la «contrathèque» – endroit confidentiel où sont archivés tous les contrats de l’entreprise – offrent un refuge parfait. C’est là que Charles travaille, chargé de la gestion et de la numérisation.
Un passé compliqué
Si le trentenaire est aujourd’hui capable de faire face à ces montagnes russes, son autisme lui a rendu la vie dure par le passé. «À l’école, ça a été compliqué. J’ai subi les moqueries, j’ai été harcelé. Ni mes parents ni mes professeurs ne savaient vraiment quoi faire avec moi», raconte-t-il pudiquement.
Le diagnostic d’autisme, posé à l’âge de 21 ans, lui permet enfin de mettre un mot sur cette différence qui le caractérise, mais que personne n’a pu définir jusque-là.
À la caisse d’un supermarché : «C’était l’enfer»
Son parcours scolaire marqué par de multiples redoublements, Charles obtient finalement son bac à 24 ans, et son entrée dans la vie active s’avère compliquée.
«J’étais au contact des clients, en boulangerie, puis à la caisse d’un supermarché. C’était l’enfer, j’étais épuisé mentalement», se souvient-il, conscient aujourd’hui que c’était perdu d’avance.
Encouragé à être transparent avec l’employeur
Tout change en 2017 lorsque, épaulé par l’Adem et la Fondation Autisme Luxembourg (FAL), il réoriente sa recherche d’emploi avec des critères adaptés, et pousse la porte de Post qui cherche du renfort pour son service juridique.
«Ma psychologue m’avait encouragé à leur parler de mon autisme dès l’entretien. J’étais un peu nerveux, mais les personnes en face de moi ont très bien réagi», sourit-il.
«Des pauses quand j’en ai besoin»
Au début, il ne travaille que 20 heures par semaine, le temps de trouver de nouveaux repères : «C’est un service où tout le monde est concentré et où il n’y a pas de va-et-vient. Je me suis acclimaté très facilement», commente Charles.
Dans ces conditions favorables, il enchaîne désormais 30 heures hebdomadaires : «Je m’organise de manière autonome, avec des pauses quand j’en ressens le besoin.»
Collègues et manager sensibilisés
Briefée en amont par le psychologue de l’entreprise (lire ci-dessous), son équipe s’est tout de suite montrée tolérante : «Mes collègues ne passent pas leur temps à me poser des questions, et je vois dans leur façon de me parler qu’ils essayent de m’éviter toute surcharge, c’est agréable», se réjouit le jeune homme, qui peut aussi compter sur la bienveillance de son chef, Nicolas Rendu.
Sensibilisé à l’autisme dans le cadre familial, il a tout de suite pris l’assistant junior sous son aile : «À l’époque, il était tendu, renfermé, avec une attitude très différente. Lentement, il s’est métamorphosé», constate son manager, peignant le portrait d’un employé souriant, à la blague facile.
«Je reste vigilant quant aux situations à risque, comme le récent déménagement de nos bureaux, qui a inquiété Charles. Mais au quotidien, je ne vois pas son autisme», assure-t-il.
Une nouvelle vie indépendante
Si Charles préfère toujours les mails au contact trop direct du téléphone, et ne voit pas l’intérêt de parler météo à la machine à café, il progresse à pas de géant dans sa mission et pourrait voir sa carrière évoluer rapidement.
Un envol qui se reflète aussi dans sa vie personnelle puisqu’il vit seul, dans son propre appartement à Luxembourg, depuis octobre dernier. Comme un grand saut dans le vide après des années entouré de sa maman et de ses frère et sœurs.
«Reste à me discipliner sur les tâches ménagères»
«C’était un changement important, oui, mais j’aime être seul, et je suis habitué à avoir mon plan pour la journée. Reste à me discipliner un peu sur les tâches ménagères», lance-t-il en riant, lui qui apprécie cette indépendance toute neuve.
Heureux chez Post, avec son quotidien bien réglé, Charles peut envisager son avenir avec sérénité : «J’ai désormais trouvé ma place. Je pense qu’il serait difficile de trouver une meilleure qualité de vie», confie-t-il.
Et quand on l’interroge sur le regard de la société sur l’autisme, il dit constater un recul de la stigmatisation, mais aimerait surtout que le grand public soit mieux informé, ce qui désamorcerait à coup sûr les situations pénibles.
Encore des barrières à faire sauter
Pour Pascal Recchia, psychologue du travail, l’information est la clé de l’inclusion.
Les freins à l’inclusion sont-ils importants au Luxembourg ?
Malheureusement, oui, il y a encore des barrières. Du côté de l’employeur d’abord, qui ne sait pas vraiment à quoi s’attendre en recrutant une personne en situation de handicap, car les idées fausses perdurent : on s’imagine toujours quelqu’un en fauteuil roulant, alors que 70 à 80% des handicaps sont invisibles.
Les aides financières et aménagements possibles restent méconnus, et c’est souvent vu comme un problème au lieu d’une opportunité. Chez les collaborateurs, beaucoup pourraient entamer des démarches pour faire reconnaître leur handicap, mais ont peur d’être stigmatisés. Si l’entreprise se montre ouverte sur ces questions, ça les incitera à déclarer leurs difficultés et ouvrira la voie à une plus large inclusion.
Un employé handicapé est-il toujours perçu comme moins compétent ?
C’est dommage, mais c’est comme ça qu’on continue à présenter les choses : pour obtenir une participation aux frais de salaire d’un employé avec handicap, une entreprise doit justifier une perte de productivité, ce qui sous-entend qu’il est moins performant, alors que ce n’est pas forcément le cas. Tout ça alimente les préjugés.
Dans le cas de l’autisme, comment travaillez-vous? L’autisme couvrant un spectre très large, on agit toujours au cas par cas. Globalement, une personne autiste présente un profil hautement spécialisé dans un domaine en particulier, avec des difficultés à comprendre les codes sociaux et à interagir avec les autres. La question centrale est de savoir si la personne souhaite le révéler ou pas.
Ça a été déterminant pour Charles Kails ?
Oui, ça a fait toute la différence. C’est rare qu’une personne aborde d’elle-même la question du handicap lors de l’entretien, où on veut se présenter sous son meilleur jour. D’ailleurs, chez Post, parmi nos 29 collaborateurs en situation de handicap – hors situations de reclassement ou d’inaptitude – beaucoup le cache.
Le fait que Charles en parle a permis d’établir un cadre sur-mesure : j’ai pu échanger en amont avec sa psychologue, sensibiliser son équipe à l’autisme, et collaborer avec son manager pour anticiper les éventuelles appréhensions. Tout était réuni pour qu’il soit accueilli dans les meilleures conditions.
Un bel exemple d’inclusion au final ?
Absolument. Le fait de ne plus être en échec lui a fait beaucoup de bien, il est aujourd’hui épanoui, si bien qu’on a même augmenté progressivement son temps de travail à 30 heures par semaine, et ça se passe pour le mieux.