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Au Quai Steffen, le Luxembourg polyglotte


Le club se réunit chaque mardi de l’année de 19 h à 22 h.

Le café attenant à la gare de la capitale accueille chaque mardi les membres du plus vieux club de langues du pays.

Il est à peine 19 h quand le fond de la salle du café Le Quai Steffen se met à vibrer : les chaises raclent le sol, les banquettes se creusent pour accueillir de nouveaux venus, les vestes sont accrochées à la hâte. «Moien», «Hi», «Bonjour» fusent de tous côtés, suivis de rires. En quelques minutes, un brouhaha plurilingue emplit les lieux. Rien d’inhabituel au Luxembourg, si ce ne sont les dictionnaires et les petits drapeaux posés sur les tables. C’est Volkert Behr, le président du Club polyglotte, qui les a disposés quelques minutes auparavant.

Depuis deux ans et demi, la brasserie sert de port d’attache aux amoureux des langues du mardi soir, pendant trois heures. En 26 ans d’existence, le club a déjà connu plusieurs lieux de rendez-vous, qui ont malheureusement fait faillite. «On reste toujours fidèles jusqu’au dernier jour», sourit Volkert Behr.

Volkert Behr. (photo Julien Garroy)

Des membres continuent d’arriver, comme à une fête entre amis, sans fin. Le président les accueille chaleureusement, guide les nouveaux vers la table de leur choix, fait les présentations. On déplace une chaise, on se serre un peu plus, on se fait signe d’un sourire. Tous sont là pour pratiquer la langue voulue, avec au moins un locuteur confirmé par tablée. «Oser parler sans être interrompu et sans glisser dans une autre langue», résume Volkert Behr en repensant à ses années, où il apprenait le luxembourgeois et tentait de faire la causette avec des commerçants pour s’exercer. Mais en entendant son accent, ils lui répondaient systématiquement en allemand, sa langue maternelle. «Ici, on a de la patience», se réjouit-il. Peu importe le niveau, tout le monde est le bienvenu.

«C’est comme une petite famille»

Les langues proposées sont le luxembourgeois, l’allemand, le français, l’anglais, l’italien… «Si l’une manque, par exemple, le cantonais ou le mandarin, alors on va essayer de la proposer», indique encore Volkert Behr. Le vrai défi étant de trouver un natif. «Les tables sont établies en fonction de l’offre et de la demande.» Certaines soirées rassemblent 10 personnes autour de l’allemand, d’autres seulement deux. En tout, ils sont entre 30 et 40 à se retrouver chaque mardi en buvant un verre. Les habitués représentent environ 30 % des membres, 30 % viennent de temps à autre et 30 % sont plus volatils, calcule Volkert Behr. Et si les profils sont variés, près de 70 % ont fait des études supérieures.

Au fil des ans et à la demande générale, le club a commencé à proposer des activités en dehors des cafés. D’abord lors du week-end de la Pentecôte, puis pour des séjours d’une semaine à vélo en Italie, en Pologne, en Suède, mais aussi des randonnées en Allemagne, à la Réunion et même en Nouvelle-Zélande. «C’est comme une petite famille», glisse Volkert Behr. Des amitiés se nouent et parfois se transforment en véritables histoires d’amour, même s’il rechigne à en parler, de peur, dit-il, que des hommes viennent seulement pour tenter de séduire. Lui-même a rencontré sa femme dans le club, mais insiste-t-il, «c’est un club de langues, pas un club de rencontres».

Pendant la crise sanitaire, les membres du club se retrouvaient virtuellement. Étonnamment, les tables en ligne, via Teams et Zoom, existent toujours et attirent encore. «Il y a même des gens du Japon qui se lèvent à 4 h du matin pour assister aux sessions en italien», raconte-t-il en riant.

Le Club polyglotte est géré par un petit comité de quatre membres : un président, un trésorier et deux responsables qui s’occupent notamment des sorties. Et l’avenir ? Volkert Behr rêve d’un vrai site internet pour centraliser les informations. «Je crois que mon ami Chat GPT va m’aider», sourit-il. Il voudrait aussi équiper le club d’une tablette pour gérer les inscriptions sur place plutôt que par courriels, souvent perdus dans les spams. Tout cela en gardant les frais au minimum : avec une cotisation annuelle de 3 euros, la banque prélève déjà 4 euros de frais par mois. Mais par-dessus tout, le président souhaite «garder la qualité», autrement dit, veiller à ce que chacun parle vraiment la langue inscrite sur sa table. Pour que la recette inchangée depuis un quart de siècle continue de faire parler.

Toutes les infos sur la page Facebook du Club polygotte Luxembourg.

«J’adore rencontrer des gens de différents pays»

Les membres viennent dans ce club pour parfaire une langue, mais pas seulement.

À la table du luxembourgeois, ce mardi, entre autres participants, Nelson et Josiana. (photo I. S.)

Peu importe la table, les conversations vont bon train. Autour de la langue anglaise, les sujets partent dans tous les sens : la ville de Bruxelles, les champignons, l’art ou encore les vacances. Ruby, professeur d’anglais et membre du Club polyglotte depuis deux mois, s’en amuse. «J’adore rencontrer des gens de différents pays», dit-elle. Nadine, elle, insiste sur l’esprit d’ouverture et le sentiment de sécurité qui règnent : «Ici, on ne demande pas ton âge, ton métier ou si tu es marié. C’est l’ouverture qui compte.» D’ailleurs, il suffit de regarder autour pour s’en convaincre : on y croise des Turcs, des Belges, des Anglais, des Portugais… un condensé du pays en fait.

Nelson et sa collègue Josiana suivent des cours de luxembourgeois à l’Institut national des langues et profitent ici depuis près d’un an d’une mise en pratique. Ils sont allés dans plusieurs clubs de langues auparavant, indique la jeune femme, mais apprécient que celui-ci soit ouvert même pendant les vacances scolaires. «C’est un complément de ce que l’on voit en cours», précise-t-elle, avant de reprendre la conversation avec un capitaine de l’armée turque. Il y a aussi des figures qui forcent le respect. Volker Behr, le président, raconte avec malice l’histoire de ce Français capable de parler 25 langues. Une performance qui l’impressionne, lui qui en parle pourtant sept.

«Monsieur Dupont» ou «John Doe»

À quelques chaises de là, à la table autour de laquelle on s’exprime en français, Gianni – étudiant tardif en poésie, né en Belgique, comme il se présente – a la parole. Il est en train d’expliquer l’expression qu’il vient d’employer, comment «monsieur Dupont» est l’équivalent du «John Doe» anglais pour désigner une personne lambda. Lui vient surtout, comme nombre des personnes rencontrées ce soir-là, pour «socialiser». «C’est vraiment pas mal, surtout pour les personnes qui ne connaissent pas grand monde quand elles arrivent au Luxembourg», dit-il en désignant Alexandre. Ce dernier approuve dans un français teinté d’accent russe : «Si tu es seul, ça aide.»

Car au-delà des langues, c’est bien un cercle d’amitiés qui se crée. Comme en atteste Ibrahim, un cuisinier égyptien membre du club depuis 15 ans. Ses yeux brillent, révélant un enthousiasme débridé, quand il relate l’organisation récente d’un repas préparé pour une quarantaine de membres, gratuitement, par pure générosité. D’ici, les participants repartent souvent en ayant appris de nouveaux mots, mais surtout en ayant fait le plein de chaleur humaine.

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